Le Laboratoire Technique s'attaque aux secrets de la couleur dans la bande-dessinée ! Techniques utilisées, étapes et passage au numérique, le Laboratoire vous explique tout ce qu'il faut savoir sur cet élément indispensable d'une BD.
Article initialement publié en décembre 2013 dans le magazine Pop Fixion #2
Au moment de lire cet article vous pourrez sans doute constater que vous êtes entourés de couleurs : un ciel gris, un gobelet vert, un emballage jaune, un tube de colle bleu, une affiche orange, un pull violet… Bref nous vivons dans un monde coloré grâce aux lois de la physique, et cela est naturel pour nous. Nous pensons et nous voyons en couleur, et de tout temps la création s’est faite en couleur contrainte par les limites techniques contemporaines. Des quelques pigments présents dans les peintures préhistoriques aux millions de couleurs affichées par nos écrans, l’image a toujours chercher à représenter la couleur. La bande dessinée n’est bien entendu pas en reste, et sa mise en couleur est aujourd’hui devenue la norme. Le noir et blanc étant plus souvent un choix économique qu’un choix de style.
Coloriste est un vrai métier qui ne s’improvise pas, voir les couleurs ne suffit pas il faut les connaître et arriver à les retranscrire sur le papier. C’est bien pour cela que le dessin est souvent dissocier de la couleur, le dessinateur aura la maîtrise du trait et le coloriste la maîtrise chromatique. Coloriser un dessin ce n’est pas simplement choisir des couleurs, il faut créer des teintes, penser à l’exposition lumineuse, sélectionner une technique adéquate…La couleur va totalement changer l’ambiance d’un dessin, c’est pour cela qu’elles doivent être soigneusement choisies et être adaptées au contexte de la scène, à l’histoire qu’elle veut raconter.
Pour arriver à comprendre comment utiliser les couleurs, le coloriste est probablement l’artiste graphique qui va le plus s’inspirer et s’imprégner de l’image dans toutes ses formes : la photo, le cinéma, la nature… L’observation de tout ce qui l’entoure est en effet une capacité essentielle à avoir pour arriver à représenter le réel et s’en affranchir quand il le faut. Bien que le métier possède des spécificités, il faut garder à l’esprit que cette activité de coloriste a aussi été développée pour soulager les dessinateurs qui n’ont pas le temps pour faire la mise en couleur, la bande dessinée est une industrie et il faut pouvoir répondre aux contraintes de production d’un ouvrage.
La colorisation traditionnelle
Aujourd’hui, il existe de très nombreuses techniques de colorisation qui sont pour la plupart très anciennes. Ainsi l’utilisation de l’aquarelle, dont la création remonte à plusieurs centaines d’années, est toujours la plus courante. Il suffit pour cela de posséder trois éléments essentiels : de l’eau, des pinceaux et des pigments. Les pigments pouvant se retrouver sous plusieurs formes, en godet pour une utilisation directe, en tube pour contrôler plus facilement la quantité de pigments souhaité et faire des mélanges ou bien sous forme d’encre liquide pour la simplicité d’utilisation.
L’aquarelle va jouer sur deux choses : la dilution des pigments et la superposition des couches de couleurs. A partir de là tout est possible, créer des dégradés, appliquer une couleur de fond sur la planche pour lui donner une ambiance particulière, obtenir des zones opaques ou translucides, la seule limite sera la technique du coloriste.
L’aérographe a quant à lui été un objet très prisé il y a quelques dizaines d’années dans le milieu de la bande dessinée. C’est en quelque sorte un mini pistolet à peinture qui va projeter des couleurs sur le papier. Un technique particulière qui possède quelques atouts, sa grande polyvalence lui permettant d’être extrêmement précis mais aussi de couvrir de très grand zone de dessins, et le fait qu’il puisse utiliser plusieurs sorte de pigments (à l’huile, encre…) pour différents rendus.
Les différentes méthodes de peintures (gouache, acrylique…) sont aussi utilisées pour coloriser des cases de bande dessinée, mais elles sont assez peu utilisées car longues à mettre en œuvre et que la retranscription fidèles des textures est difficile à obtenir une fois l’ouvrage imprimée.
Enfin certaines techniques plus marginales existent, c’est le cas du feutre qui peut très bien être utilisé pour une mise en couleur simple et rapide mais restant toutefois limité en termes de rendu. Les mélanges de couleurs étant impossibles, tout comme la réalisation d’un travail complexe sur les textures et dégradés.
Où met-on la couleur ?
Une fois la technique choisie il faut l’appliquer sur une planche, et là deux grandes écoles existent : la couleur directe ou la couleur sur un bleu.
En couleur directe, le coloriste va utiliser directement les dessins originaux pour appliquer la couleur, il n’y a donc pas le droit à l’erreur. De plus le dessin original disparaît en quelque sorte, et le travail du dessinateur ne peut plus être récupérer.
La mise en couleur sur un bleu consiste à utiliser une copie de l’original en gris ou bleu sur du papier spécial. L’encre de ce bleu a la particularité de ne pas se diluer à l’eau pour permettre la colorisation à l’aquarelle notamment. Une fois la planche colorisée un calque de l’original est apposé dessus pour retrouver l’encrage original obtenir le dessin final.
Lors de la mise en couleur, le coloriste peut aussi préserver des zones de blanc en utilisant du drawing gum, une substance proche du latex qui apposée sur une zone, empêchera la couleur de s’incruster. Une fois gommé, il laisse place à la feuille vierge de toute couleur. Ces zones sont parfois essentielles dans la composition d’une planche, pour faire ressortir certains éléments, certaines couleurs.
La colorisation à l’ère du numérique
Depuis une vingtaine d’années, l’informatique a envahie notre vie quotidienne et celles des coloristes. En effet la colorisation traditionnelle possède de nombreux inconvénients: c’est long, il faut scanner les planches avec les bons paramètres et il est très difficile de corriger les défauts. C’est pour cela que la colorisation numérique est devenue la norme, encouragée par de nombreux éditeurs de bandes dessinées pour des raisons économiques. Bien qu’il y ait eu de très mauvaises colorisation avec cette technique dues à des coloristes ne maîtrisant pas l’outil informatique, on peut dire qu’aujourd’hui le numérique peut donner d’aussi bons résultats que les techniques traditionnelles. Tout passe ainsi par l’utilisation de logiciels spécialisés (Photoshop, Painter, Manga Studio) et d’une tablette graphique.
La colorisation va ainsi s’effectuer sur le scan du dessin original à l’aide de différents outils virtuels ayant pour missions de reproduire des techniques traditionnelles (aérographe, pinceau…) et d’une palette de couleurs numériques. La méthode emploie des calques qui définissent des zones du dessin, un calque unique peut être utilisé où seuls les traits noirs et encrés du dessin ne seront pas touchés par la couleur ou bien des calques multiples où chaque couleur aura son propre calque. En plus de ces calques de couleurs, d’autres calques pourront être ajoutés pour créer des effets de lumières, des reflets et autres textures.
La couleur s'affranchit du dessin
Il arrive parfois que l’utilisation de la couleur se fasse sans les limites du dessin, on s’approche ainsi plus de la peinture. Une base crayonnée pourra servir de support ou alors la couleur sera utilisée directement sur la page blanche. Les artistes utilisant ces méthodes ne sont d’ailleurs plus qualifiés de dessinateurs ou de coloristes, ce sont plus des illustrateurs. Chaque couleur devient ainsi une partie du dessin, il faut lui donner une forme, une épaisseur, une ombre… La technique prend bien entendu beaucoup plus de temps que de réaliser une bande dessinée traditionnelle, on verra donc ces dessins plus souvent dans des romans graphiques et autres projets spéciaux. Néanmoins avec l’avènement du numérique la production de ces peintures, maintenant virtuelles, est devenue beaucoup plus rapide, et on peut retrouver ce type de dessin dans des série régulières.
Au final coloriser une bande dessinée est un travail qui demande patience, technicité et observation. Le coloriste est vraiment un spécialiste des couleurs et il doit absolument maîtriser ses outils et ses connaissances pour réussir sa mise en couleur. Cette tâche peut sembler accessible et pas si difficile à réaliser, en particulier pour les dessinateurs, et pourtant elle demande des réelles compétences qui ne s’improvisent pas. La couleur est au final un indispensable de la bande dessinée, et bien qu’on puisse se faire happer par un noir profond, sans celles-ci nos lectures nous paraîtrait souvent biens fades.