Homère, de la poésie à la fantasy

Qui ne connaît pas Homère ? Plus important, qui a lu Homère ? Paradoxalement, l'écrivain le plus célèbre de l'histoire de l'Occident perd de son importance de nos jours, alors qu'il a probablement posé les fondations d'un genre plébiscité comme la Fantasy.

Homère est un aède, c'est à dire un poète de l'Antiquité grecque. Il semble avoir vécu au 8ème siècle avant Jésus Christ, à l'époque où la culture grecque dominait les civilisations occidentales. On attribue à Homère l'écriture de l'Illiade et de l'Odyssée, les deux chef-d’œuvres qui ont traversé les siècles pour influencer notre culture moderne. J'utilise le terme attribuer car l'existence même d'Homère n'est pas avérée. Certains partagent l'idée qu'il s'agit d'un prête-nom pour le regroupement de plusieurs textes. La tradition se mélange à la légende, faisant d'Homère un aveugle aux origines disputées par plusieurs villes grecques. Des biographies antiques cherchent à combler le vide entourant la vie de cet artiste, mais son existence même se mêlent aux doutes historiques entourant l'épopée troyenne. Rome fut fondé à la même époque, et l'on sait combien cette histoire est parfois floue, mêlant propagande, vanité généalogique et perte des archives historiques. Il faut prendre chaque élément avec des pincettes, de nombreux être humains ayant utilisés à leur profit les récits d'Homère et de ses comparses.

LE PLUS CÉLÈBRE AÈDE

Homère est connu pour avoir écrit une chronique de la Guerre de Troie et de ses conséquences sur ses protagonistes. Cette guère s'est déroulée plusieurs siècles avant sa naissance, probablement vers le 13ème siècle avant JC. Ce poète est parfois crédité comme l'auteur d'autres œuvres, notamment comiques (Batrachomyimachia et Margitès) ainsi que les Hymnes homériques, mais leur datation est parfois repoussée aux siècles suivants. Il ne faut pas voir Homère comme Platon ou Erasme, des hommes qui ont vécu dans leur temps. C'est plus une figure mythique, celle du poète qui nous compte le destin tragique d'hommes d'un ancien temps.

En effet, dans la mythologie grecque, il est distingué 5 races d'hommes, sans aucun rapport avec la couleur de peau ou l'origine géographique. C'est Hésiode, un contemporain d'Homère, qui nous rapporte ce mythe des races. Il y a tout d'abord la race d'Or, créé par Cronos. Pour faire simple, ce sont d'heureux chômeurs écolos qui émergaient depuis des semences dans le sol. La race d'argent est celle d'agriculteur orgueilleux, une race qui ne rend pas hommage aux dieux et qui fut punie par Zeus. Vint ensuite la race de bronze, guerrière, qui s'autodétruisit. Lui succéda la race des héros qui connut les demi-dieux. C'est la race d'Héraclès, d'Achille et de Persée, celle de la Guerre de Troie. C'est la race mythique par excellence, celle des hommes parfaits car justes et braves. Les mythes se réfèrent à eux car c'est l'exemple à suivre pour la race de fer, la race actuelle, la nôtre, celle à qui s'adresse Homère, ses lecteurs.

C'est en cela que les récits d'Homère ont forgé si profondément la culture grecque et donc par la suite toute la culture occidentale. En faisant référence à une époque révolue, à la nostalgie d'hommes puissants et sages, quasi-divins, ces récits, sous couverts de chroniques historiques, offrent une ascendance héroïques aux souverains antiques. Jules César n'était-il pas le descendant la déesse Vénus ? Rome le fruit des exilés troyens ?

L'ÉDUCATEUR DE LA GRÈCE

Tout précepteur devait ainsi conter aux enfants de bonnes familles l'histoire de ces héros, de leurs ancêtres, pour offrir un modèle à suivre. Combien de jeunes hommes, tel Alexandre le Grand, figure historique, a grandi dans l'ombre d'Achille, figure mythique ? Socrate n'a-t-il pas décrit Homère comme « L'éducateur de la Grèce » ?

Les héros d'Homère étaient les super-héros de l'époque. Il a influencé l'éducation des enfants pendant toute l'Antiquité occidentale, puis à la Renaissance quand on redécouvert la culture grecque, éclipsé jusqu'à lors par les récits bibliques. Homère n'est pas le seul écrivain célèbre de son époque en Occident, mais c'est le premier à proposer, presque 2500 après l'apparition de l'écriture, un récit complet (sous forme de poème) narrant une histoire sous sa forme moderne.

Parmi les autres auteurs grecs contemporain, on peut citer Hésiode, dont l'existence est prouvée. Il nous a légué Les Travaux et les Jours (qui raconte entre autres l'histoire de Prométhée) et surtout sa Théogonie (récit de la création du monde et de la vie des Dieux). Seuls des chants ont traversé l'histoire grecque précédant Homère et Hésiode. Certains aèdes légendaires comme Orphée tiennent ainsi plus du mythe que la véracité historique. Si Homère est lui aussi un personnage à mi-chemin entre histoire et mythe, le doute subsiste mais cela renforce la légende de la Guerre de Troie.

LE DIPTYQUE MYTHIQUE

Je me doit de conseiller à ceux qui n'ont jamais lu l'Illiade et l'Odysée de se jeter sur ces récits. Plus de 2700 ans après leur écriture, ils restent encore des références de par leur richesse, leur inventivité et leur profondeur. Que nous raconte exactement ces histoires, au-delà de la vision Hollywoodienne qu'ont nombre d'entre vous ?

Pour l'Illiade, il s'agit avant tout d'un récit de siège. En effet, l'histoire débute dix ans après le début de la Guerre de Troie. De nombreux flashbacks (technique pas si originale que ça au final) viennent nous éclairer sur le destin de chaque participant. Choisir un héros en particulier serait cruel. Si Achille ou Ulysse sont les plus célèbres, des hommes comme Hector (mon préféré), Ménélas, Ajax, Diomède, Agamemnon, Nestor, Priam, Sarpédon, Laocoon ou Calchas sont tout aussi fascinants. L'histoire navigue entre les deux camps et les troyens ne sont pas isolés face à cette armada grecque. Bien au contraire, leur résistance n'est pas uniquement dû à la solidité des murs de leur ville. De nombreux peuples alliés se sont joint à eux, et les questions émaillant leurs conseils militaires font échos aux disputes des assemblées de grecs frustrés.

En revanche, l'Odysée propose une structure devenue classique, celle du voyage périlleux d'un héros courageux et ingénieux. Résumer les obstacles seraient fastidieux, mais on peut rappeler que les Dieux sont des acteurs à part entière des deux récits. Leur présence confère au récit homérique un aspect fantastique qui trouble ceux qui cherchent à prouver que l'Illiade est un traité historique. À une époque où l'homme vénère un panthéon de Dieux, leur implication prouve l'ampleur de conflit (pour rappel, il se déroule à l'époque de la race des héros, celle qui a précédé la race actuelle). Le terme « homérique » est ainsi utilisé aujourd’hui pour définir quelque chose de surhumain, d’extraordinaire, sans aucune limite, d'une ampleur sans commune mesure. L'Odyssée permet non seulement de suivre le destin d'Ulysse qui cherche à rentrer chez lui, mais aussi d'éclairer certains passages de la Guerre de Troie non contés dans l'Illiade.

INTEMPOREL

Plusieurs siècle plus tard (juste avant la naissance de Jésus Christ pour être précis), le poète Virgile complète cette immense saga en écrivant l'Enéide. Afin de glorifier le premier Empereur de Rome, Auguste, il s'attache à offrir à sa cité une ascendance divine. Nous est donc narré l'exil du célèbre Enée, fils de Venus, prince de Troie et héros malheureux de la Guerre contre les grecs. Dans sa fuite (qui passe par Carthage et une histoire d'amour avec Didon, pour mieux montrer la supériorité, même sexuelle, de Rome), il découvre le destin de ses compatriotes, devenus esclaves des héros grecs. Le récit se conclut par la bataille entre indigènes italiens et immigrés troyens pour la fondation, non pas de Rome, mais de la ville qui donnera naissance à ses fondateurs.

Enfin, il faut ajouter à ces trois récits le Cycle Troyen. Produit par une variété de poètes contemporains d'Homère, ils rassemblent les légendes de la race des héros pour tisser une toile chronologique entre ces récits, de la guerre entre les Titans et les Dieux jusqu'à la prise de Troie (par les grecques, car Héraclès l'avait déjà conquise quand Priam n'était pas encore roi). Les récits classiques, qui ont bercé les figures historiques grecques (guerre médique, guerre du Péloponnèse) sont donc tous liés par un fil rouge aboutissant à Troie. Quand Rome conquis la Grèce, elle absorba sa culture et la diffusa. Le latin et le grec étant les rares éléments ayant survécu à l'obscurantisme religieux du bas-Moyen Âge, les prêtes chrétiens ont donc transmis ces récits aux souverains de l'époque. Les artistes de la Renaissance (dramaturges, peintres, sculpteurs) ont été fort logiquement influencés par cette époque, redécouvrant une grâce perdue. 

L'HÉRITAGE GREC

La fantasy moderne, telle qu'on la connaît depuis le 20ème siècle, repose abondamment sur des réécritures des mythes et légendes antiques, qu'ils soient grecs, celtiques, nordique, égyptiens, chinois, indiens.... mais aussi les récits religieux. En tant que pilier de la culture grecque, Homère a été l'une des sources intarissables pour l'imagination de ces écrivains. Toutefois, la fantasy sépare clairement la fiction de la légende. Le lecteur est conscient qu'il s'agit là d'une création de l'homme (certains argueront que les religions et mythes sont des constructions humaines visant à éduquer l'homme pour vivre en société, mais ce n'est qu'une théorie parmi d'autres). 

Les éléments clés de la fantasy sont déjà présents dans l’Iliade et l’Odyssée. Il y a des héros mythiques, des obstacles fantastiques (Dieux et monstres sont déjà présents) et des ressorts scénaristiques bien connus : protéger sa famille (Hector), trouver la gloire dans un combat (Achille), rentrez chez soi (Ulysse, et cela date de l'Illiade déjà), s'accaparer les richesses sous un faux prétexte (Agamemnon)... Ces personnages sont devenus des archétypes, entre le lâche Paris, le cocu Ménélas, le puissant Ajax... Vous trouverez aisément de nombreuses comparaisons dans la majorité des œuvres modernes, que ce soit des péplums, des romans, des BD...

Doit-on pour autant critiquer les artistes de notre temps ? Non, il ne s'agit nullement de plagiat. Ces auteurs s'inspirent d'archétypes ancrés dans l'imaginaire collectif pour proposer des récits repoussant le cadre exploité par Homère. Chaque artiste apporte son écho à la culture humaine, et c'est de notre devoir de découvrir, protéger et diffuser les œuvres issues des différentes cultures aillant existé ou vivant loin de notre foyer. Il en va de l'éducation des générations futures, mais aussi de la nôtre, car elle n'est jamais achevée.

Tout état déjà là il y a 2700 ans, et tout sera encore là dans 2700 ans. Homère pourrait n'avoir jamais existé, mais ses héros sont immortels : « Sur terre les humains passent comme les feuilles : si le vent fait tomber les unes sur le sol, la forêt vigoureuse, au retour du printemps, en fait pousser bien d'autres ; chez les hommes ainsi les générations l'une à l'autre succèdent. »