Kamala Khan, étendard de la diversité et de la parité

Les super-héroïnes dans les comics ont longtemps été cantonnées à leur capacité physique et à leur plastique pulpeuse. De Wonder Woman à Black Widow, rares sont celles qui ressemblent aux femmes que nous croisons dans la rue. C'était avant Kamala Khan.

Article initialement publié le 13 février 2015. Depuis, le titre a été élu meilleure série au festival d'Angoulême. 

Les hommes ne sont pas mieux représentés dans les comics, mais ils ont au moins l'occasion de s'identifier à certains super-héros, le meilleur exemple étant Peter Parker. Ce geek devenu homme parfait est un modèle pour les lecteurs. En un sens, la présentation de la jeune Kamala repose sur les mêmes mécanismes grâce aux thématiques de l'adolescence. Elle est surtout opposée au modèle classique de représentation des super-héroïnes, notamment chez Marvel et DC Comics.  

LA PLACE DE LA FEMME DANS LES COMICS

La parité n'est franchement pas atteinte dans les rangs des super-héros, et leur statut n'est pas toujours enviable. Si Wonder Woman est un membre de la Trinité sacrée de DC Comics aux côtés de Superman et Batman, elle ne semble vivre que dans l'attente de voir Steve Trevor (le premier Homme qu'elle a rencontré) ou Superman l'épouser. Catwoman revient encore et toujours à sa relation sexuelle (avouée ou non) avec Batman. Psylocke doit changer de corps pour être plus intéressante. Black Cat apparaît pour émoustiller Spider-Man. Barbara Gordon n'est pas assez forte et se retrouve en chaise roulante. Black Canary ou Emma Frost s'habillent comme des filles de joie. Jean Grey n'a pas le droit de vivre, tout comme Elektra. Mystique ne peut que trahir ses proches et Mera n'existe que pour entendre Aquaman geindre.

La Sorcière Rouge est une folle à qui l'on pardonne tout. Donna Troy ne sert à rien vu qu'elle n’apparaît pas dans le New 52. Rogue est une caillera, She-Hulk ne sait pas se tenir et Carol Danvers n'est pas à la hauteur de son mentor. Harley Quinn n'est utile que pour le fan-service des adorateurs de la secte du Joker, alors que Supergirl ne sait jamais qui elle est. Storm dirige les X-men uniquement quand les hommes sont absents. Black Widow ne sait pas qui aimer. Power Girl ne sait pas s'habiller. Medusa ne pense qu'à son homme. Et Lois Lane ? Elle ne mérite plus Superman. La Femme Invisible attend que son mari fasse une bêtise avec son cerveau et Mary Jane n'est qu'une distraction pour Peter Parker.

Voilà, vous avez un aperçu assez simpliste, grossier et sans fondement du statut de chacune de ces héroïnes si on est cynique. Les femmes servent bien souvent de faire-valoir aux super-héros. Elles sont rarement les leaders ou celles qui trouvent la solution à une crise. On juge leurs séries solo vouées à l'échec et on ne cible qu'un lectorat féminin, sans penser une seconde que si les filles aiment lire des comics centrés sur des hommes, la chose inverse est vraie pour les garçons. Les femmes sont dénudées, ont un corps qui n'existe pas sans chirurgie esthétique et ont un comportement idéal d'après les hommes.

Attention, de nombreux artistes ont valorisé les femmes dans les comics, mais les éditeurs ont souvent repris en main le personnage une fois le scénariste parti. Toutefois, leur statut de sex-symbols est de moins en moins évident, de nombreux lecteurs militant pour une représentation plus fidèle de la femme, dans toute sa diversité. L'émergence d'artistes féminins a ouvert certaines portes, mais l'objectif est loin d'être atteint.  

LA PLACE DE LA DIVERSITÉ

Toutefois, globalement, la représentation de la femme s'améliore dans les comics. Ce n'est cependant pas le seul combat à mener. Dans une société américaine fracturée par ses communautés et son histoire, la représentation des individus d'origines diverses, de couleurs de peau, de cultures ou de traditions différentes est encore problématique. Aux USA, il existe trois communautés généralement considérées comme sous-représentées dans les élites : les descendants des populations amérindiennes, les descendants des Africains victimes de l'esclavage et les enfants des immigrés latinos (Amérique Centrale et du Sud).

Progressivement, des membres de ces communauté réussissent à se hisser dans la hiérarchie sociale, offrant une plus grande portée aux revendications de leurs communautés. Néanmoins, la présence d'un président à la peau noire n'a pas empêché plusieurs émeutes raciales sous son mandat. Le chemin est encore long pour offrir à tous une place équivalente dans la société (ne parlons même pas des inégalités économiques).

Il existe depuis plusieurs décennies des personnages issus de ces communautés dans les comics, certains ayant même une place prépondérante, mais à un faible pourcentage. Les Afro-Américains semblent les mieux lotis, avec notamment le Green Lantern Jon Stewart chez DC ou...le Faucon aujourd’hui chez Marvel. Oui, chez Marvel, c'est un peu plus lent. Storm valide deux quotas : femme et issue d'une minorité. Il aura fallu attendre 2014 pour voir Sam Wilson être une des têtes d'affiches de l'univers Marvel.

Enfin, la place des musulmans aux USA est à l'origine d'un nouveau débat. Cette religion s'est développée dans ce pays à travers la conversion d'une partie de la communauté afro-américaine, mais c'est l'arrivée d’immigrés de culture musulmane, couplée à la guerre contre le terrorisme des années 2000, qui a mis le sujet sur le tapis de façon vigoureuse. Dans les comics, outre des super-vilains venant de pays musulmans, les rares représentants de cette religion sont des X-Men pas très célèbres comme Monet ou Dust. DC s'est récemment converti au sujet avec un Green Lantern et un représentant de la famille Batman, français qui plus est. Autant dire que le sujet est clairement sous-développé. Encore une fois, cet article se focalise sur les Big Two qui ont un impact majeur sur l'industrie et son évolution (les indépendants n'ont pas les mêmes conditions de création).  

 

L'OFFENSIVE MARVEL

Marvel a proposé dès fin 2012 l'opération Marvel NOW en relançant les séries au numéro 1 ou en éditant de nouveaux titres. Si on inclut la seconde phase de ce relaunch (All-New Marvel NOW), l'éditeur a clairement fait le pari de la diversité dans son catalogue. Ce n'est pas de l'altruisme mais une réponse aux demandes des lecteurs. Marvel cherche la rentabilité de ses comics et n'hésite pas à annuler une série en cas d'échec ou si elle n'est pas liée au futur narratif de l'univers Marvel.

En moins de 2 ans, plus de 10 séries centrées sur des super-héroïnes ont été proposées au public : Fearless Defenders, Black Widow, Captain Marvel, Journey Into Mystery, She-Hulk, Storm, Spider-Woman, Silk, Red She-Hulk, Elektra, Squirrel Girl, Spider-Gwen, Angela... Ce sont rarement des stars du catalogue, à l'exception de Black Widow. Cependant, la belle rousse, tout comme Storm, She-Hulk ou Captain Marvel, n'a jamais réussi à convaincre le public sur la durée avec ses précédentes séries. On peut attribuer cela à la qualité des histoires, au moyens alloués ou à la concurrence d'autres séries de l'éditeur, mais c'est un fait, ces séries ne marchaient pas.

Marvel a donc pris un léger risque en 2012, mais l'éditeur compte bien y trouver son compte. La mise en chantier d'un film Captain Marvel, avec la version féminine du personnage, en est la plus belle preuve. La féminisation de Thor, en le remplaçant par une inconnue dans sa série solo, en est une autre. Enfin, l'éditeur vient d'annoncer une série événement cette semaine : A-Force, une version féminine des Avengers. Bon, tout cela est aussi possible car Marvel prépare une énorme remise à zéro de son univers pour cet été. Il peut donc tester tout ce qu'il veut en attendant pour conserver ensuite ce qui marche ou l'arrange.  

VOICI KAMALA

Une des récentes séries offrant une place de choix aux femmes est Avengers Undercover. La raison ? Elle met en scène uniquement de jeunes super-héros. Raconter une histoire sur la jeunesse du 21ème siècle sans le sexe fort serait impossible, surtout à l'ère des réseaux sociaux. La nouvelle série Ms Marvel va d'ailleurs profiter d'un buzz énorme pour son lancement, avec des ventes excellentes à la clé. Outre le concept de base, il faut saluer les choix de Marvel. Tout d'abord, le scénariste est une femme et elle est musulmane : G Willow Wilson. Un homme chrétien aurait pu écrire une très belle histoire, mais ce comics est un symbole et offrir le poste à cette personne permet de renforcer la volonté d'ouvrir le catalogue Marvel à une autre culture. Qui plus est, cet artiste a certaines clés que n'ont pas d'autres pour cerner la personnalité d'un tel personnage.

Ms Marvel, c'est aussi l'histoire d'une jeune ado, Kamala Khan, qui vit dans le New Jersey. Déjà, le New Jersey, c'est comme la banlieue à Paris, c'est tout de suite moins glamour. Kamala est d'origine pakistanaise et pas afro-américaine, ce qui ajoute la thématique de l'immigration et de l'intégration à l'histoire. L'intégration est double : dans la société et dans sa propre culture, celle héritée de ses parents (le conservatisme n'est pas uniquement religieux). Kamala est une fan des super-héros qui protègent son monde et elle écrit même des fan-fictions sur eux. Ms Marvel est ainsi une icône pour elle.

Créer un tel personnage pour lui offrir la place d'une héroïne culte, c'est osé. Lui donner ce background l'est encore plus. Cet héritage va être alourdi par l'émergence des Inhumains dans l'univers Marvel. Depuis le crossover Infinity, cette race d'humains génétiquement modifiés apparait un peu partout sur Terre. Similaires aux mutants, même si la mutation est cette fois engendrée par des cristaux, ils sont les héritiers d'une culture plusieurs fois millénaires. Kamala cumule donc les casquettes : fille, ado, musulmane, banlieusarde, Inhumaine...Cela fait beaucoup pour un personnage, mais c'est aussi un excellent terreau pour des histoires rafraîchissantes.

Nous suivons la vie d'une fille qui n'a pas l'apparence d'un top model ou d'une actrice porno (à la différence de Carol Danvers), qui doit encore subir les règles de ses parents et qui n'a aucun contact avec le reste de la communauté super-héroïque à ses débuts. C'est une fille du peuple qui se voit offrir un ticket pour un nouveau monde. Fait intéressant, Marvel propose une histoire similaire avec le nouveau Nova qui doit lui aussi apprendre à maîtriser sa nouvelle vie.

Les deux personnages font de suite penser à Spider-Man à ses débuts. Cependant, la vie de Kamala est bien plus complexe et le choix de la dessinatrice pour les premiers épisodes (Adrian Alphona) offre une atmosphère radicalement différente des comics bourrés d'action. Les films indépendants américains des années 2000 sont une source d'inspiration, mais l'histoire rend aussi hommage aux histoires classiques de super-héros. Les lecteurs se sont de suite pris d'affection pour Kamala. La couverture du premier numéro a très habilement offert à tout un chacun de se prendre en photo avec le comics pour s'identifier à l'héroïne sur les réseaux sociaux. Décidément, le comics Ms Marvel semble tout faire pour satisfaire la nouvelle génération de lecteurs, mais les plus anciens retrouveront une fraîcheur parfois oubliée ou trop souvent réservée aux éditeurs indépendants. Panini Comics regroupe les cinq premiers numéros de cette aventure dans un album à posséder d'urgence ! 

Ms Marvel ne va pas changer à elle-seule la représentation des femmes dans les comics. Elle prouve cependant qu'il est possible, chez le leader de l'industrie, de proposer un comics différent capable de trouver son public, voir d'élargir celui-ci. Ce n'est qu'avec une succession d'initiatives de la sorte que les mentalités évolueront, comme dans le cas de l'homosexualité dans les comics.