Game of Thrones : le succès du nain, de la bonnasse et du batard

La série TV Game of Thrones est incontestablement le succès audiovisuel de la décennie en cours. Phénomène médiatique et culturel, elle a su capter un public large qui dépasse le simple cercle des amateurs de fantasy, mais cela était franchement prévisible.

Record d'audience, record de piratages, sujet de toutes les discussions, le Trône de Fer comme on l’appelait à une époque en France est la saga incontournable du moment. Les sérivores se sont emparés du phénomène sous le regard amusé des lecteurs de romans. En effet, cet univers existe depuis maintenant 20 ans. Tel le Seigneur des Anneaux en son temps, immense succès littéraire inconnu du grand public, A Song of Ice and Fire, le nom officiel de la saga, est désormais la référence en matière d'épopée chevaleresque. Comment cette licence a-t-elle pu en quelques années sortir d'un relatif anonymat pour devenir une icône de la pop culture ? Alors que des millions de fans cherchent à éviter les spoilers sans pour autant daigner plonger dans le matériel original, prenons du recul sur un phénomène qui n'a rien de surprenant. 

LA NOUVELLE PEPITE DU CABLE AMERICAN

HBO, c'est la chaîne de télévision culte pour les fans de séries TV. L'équivalent de Canal + aux USA : un service payant producteur d'un nombre considérable de programmes premium. HBO a conquis le monde dès la fin des années 90 avec Oz, Sex and The City, les Sopranos... La décennie 2000 est aux USA celle des séries télévisées (24, Lost, Grey’s Anatomy, Prison Break). Toute la créativité des scénaristes et des producteurs s'expriment alors à travers ce média comme le prouve la célèbre grève de 2007. Il faut ajouter à ce boom productif l'essor d'internet qui va populariser un nouveau mode de consommation quasi-instantané : le public n'a plus besoin d'attendre une localisation en version française, allemande, espagnole, arabe... Grâce aux équipes amateurs de fansub, vous pouvez savourez l'épisode de votre série préférée diffusée la veille aux USA alors qu'aucune chaîne n'a encore annoncé sa diffusion en France. Cela a bien sûr forcé la main aux acteurs locaux, avec en France un gros travail de Canal + et Orange qui diffusent désormais les séries événements en quasi-simultané (version sous-titrée bien sûr).

Comme toute bulle, celle des séries télévisée a dégonflé après 10 ans environ pour laisser place à un nouveau marché bien plus large que le précédent. Les grosses séries sont arrivées à leur terme et le public a aussi appris à découvrir des œuvres moins médiatiques (le boom des séries anglaises ou du câble américain). Cet essoufflement se ressent en priorité dans le catalogue des networks américains, ces 4-5 chaînes principales qui captent la majorité de l'audience. Seuls les procéduraux tiennent encore la route en général (un épisode, une intrigue, une conclusion) et de nombreux projets assez créatifs se sont cassés les dents. Au début des années 2010, les gros consommateurs de séries cherchent la nouvelle pépite un peu partout. HBO n'a pas échappé à cette décroissance et vers la fin des années 2000, seule True Blood surnage parmi ses nouveautés. Pourtant, cette chaîne n'a pas abandonné son exigence de qualité. Il faut dire que HBO a popularisé un standard : une dizaine d'épisodes par saison, un gros budget placé dans la technique au lieu des contrats d'acteurs et une narration qui ne s’embarrasse pas des qualités intellectuelles de la ménagère (qu'il ne faut pas larguer au bout de minutes sous prétexte qu'elle ne comprend rien au scénario). Il faut oser là où les autres chaînes se recroquevillent sur des thèmes éculés, car c'est un besoin économique, les spectateurs payant un service HBO. Sans tête d'affiche, ce service baisse en prestige. Game of Thrones est donc la nouvelle cartouche de HBO qui a utilisé son image prestigieuse et ses moyens colossaux pour proposer un événement au public. Il fallait frapper fort. Autant dire que dans le marasme de l'époque, la qualité du produit final, couplée à la célébrité déjà existante de la licence, va tout écraser en moins de deux ans.

UN NAIN, UNE BONASSE ET UN BATARD

Le retour au cinéma de la saga du Seigneur des Anneaux ces dernières années, avec une exploitation jusqu'à la moelle du Hobbit, le prouve assez bien : en matière de fantasy, c'est le désert en ce moment. Franchement, de quand date la dernière grande saga en la matière au cinéma ou à la télévision ? Dans les salles, c'était 300 en 2006. Eragon (saga littéraire) a fait un gros flop, Percy Jackson était plus que dispensable et Le Choc des Titans était un mauvais remake. De plus, aucun ne fait vraiment appel aux codes de la chevalerie médiévale. A la télévision, Legend of The Seeker a un temps entretenu la flamme entre 2008 et 2010. On doit remonter à Rome en 2005, déjà sur HBO, pour avoir une œuvre réellement captivante. Il y a bien Spartacus, mais elle a été diffusée la même année que Game of Thrones (et c'est la Rome antique). Surprise générale, cette série a démontré l'attrait du public pour ces histoires sanglantes d'un autre temps. C'est l'appel des grandes sagas, un classique à la télévision.

Cependant, avec A Song of Ice and Fire, soit Game of Thrones, HBO dispose d'un avantage de taille : c'est un univers réaliste, au début en tout cas. Hormis une scène initiale et celle de fin, on découvre un monde médiéval qui pourrait très bien être le nôtre, sans monstres, elfes, dieux ou autres éléments fantastiques. Le genre de truc qui fait fuir de nombreuses personnes. La touche fantasy s'applique progressivement par de courtes apparitions. L'auteur s'étant fortement inspiré de la Guerre des Roses en Angleterre, c'est logiquement un monde très accessible. Tout commence très simplement même. Un royaume unifié par un roi qui a renversé son prédécesseur, plusieurs familles qui se disputent son influence, des régions clairement établies (le Noooord)... C'est la même chose du côté des personnages. Nous suivons en priorité les Stark qui se jettent dans la gueule du loup, pardon, du lion, en quittant leur foyer où règne l'honneur et le bonheur pour une capitale de tous les dangers.

La série met en avant trois personnages qui vont rendre fous les specateurs : un nain qui humilie tout le monde, une très très belle (pour ne pas dire autre chose) héritière vierge qui va révéler son caractère au fil des épisodes et enfin un bâtard bogosse qui devient chevalier. C'est un trio magique, chacun a son favori et l'histoire alterne entre leurs aventures respectives. Il faut aujouter à ce casting un roi alcoolo qui adore son pote et déteste sa milf de femme (qui est elle-même une belle salope), un père de famille pétri d'honneur qui va se jeter dans un piège, un grand-père impitoyable qui est dégoûté par ses héritiers, un prince exécrable et sadique... Il y a de nombreux mineurs ou jeunes adultes dans le casting, ce qui renforce l'identification du public. Bref, nous sommes en terrain connu en matière de personnages divers et variés, mais la grande différence dans cet univers, c'est que les dures lois de la réalité s'appliquent brutalement : à la fin, ce sont les méchants qui gagnent car ils usent des pires stratagèmes. Il y a donc des retournements de situation énormes et on a logiquement du mal à envisager une fin heureuse. On se dit que c'est sérieux et il faut profiter de chaque personnage tant qu'il est encore en vie.

Ainsi, la mort frappre dès la première saison et instaure un suspense insoutenable. C'est pas juste le gars tout en bas de la liste des crédits de fin qui est buté mais une des stars du show. Du sang (le batard), de la violence morale (le nain) et du sexe (la bonasse, qu'elle soit jeune ou plus âgée), c'est bien, mais là, ça prend une toute autre dimension quand on sait que même les têtes d'affiche peuvent mourir au détour d'un simple combat ou en prenant un dîner en famille. Les vidéos de spectateurs hurlant leur peine en visionnant les fins de saisons 1 et 3 (et bientôt 5, voire 6, tout dépend de la manière dont la scène sera adaptée) ont médiatisé ce phénomène télévisé qui profite à fond des réseaux sociaux (gif, mème internet, snapchat). « Tu n'as pas vu cette série ? Sérieux ? Mais c'est du jamais vu !!! » De nombreux spectateurs ont ainsi découvert la série pour ne pas être exclus des discussions autour d'eux ou se faire spoiler sur le net. C'est un principe de base dans le domaine des séries cultes, mais la chose est accentuée par les choix radicaux du scénario. Ce serait un crime de spoiler quelqu'un du final de la saison 1, et encore plus de la saison 3. C'est donc le piège parfait, qui ne valorise pas tant la qualité globale que la réaction du spectateur à certaines scènes clés. Il faut voir MAINTENANT Game of Thrones. On ne peut pas repousser le visionnage comme tant de séries. C'est un cercle vertueux qui piège les spectateurs. Il ne faut surtout pas être en retard.

Enfin, une flopée de théories en tout genre émergent pour faire vivre la communauté entre deux saisons. Ce n'est bien sûr rien comparé aux romans,plus riches que la série en matière de background, mais c'est déjà une bonne base pour entretenir l'intérêt des fans. Par exemple, qui est vraiment la mère de Jon ? C'est le principale mystère des romans, qui n'est pas du tout abordé dans la série. Un mystère entretenu par les fans et dont l'effet risque d’être bien différent entre les deux communautés une fois la chose révélée, si le jeune homme survit bien sûr ! 

Voilà, Game of Thrones, c'est une pincée de HBO, un univers de prime abord sans monstres et donc moins rebutant pour le grand public, des acteurs aux têtes connues, un postulat simple mais diablement efficace, une poignée de sexe et surtout des twists narratifs hallucinants. C'est la recette du succès, mais rare sont ceux capables de la reproduire habilement.