La série Homeland défraye la chronique depuis quatre ans. Si certains sériesvores ne jurent que par celle-ci, rares sont ceux qui connaissent le travail de celui qui a inspiré ce show : Gideon Raff. Retour sur le parcours d'un créateur qui compte de plus en plus aux USA.
Je dois vous avouer que je n'ai vu que les deux premiers épisodes de la série Homeland. Je sais, c'est presque un crime pour nombre d'entre vous, mais que voulez-vous, je n'ai pas spécialement été surpris ou accroché par ce début d'histoire. Je pense toujours regarder la suite (même si mon retard commence à peser sur ma motivation), mais ironiquement, j'ai entre-temps été happé par les deux autres séries de Gideon Raff : Tyrant et Dig. Avant d'en parler, revenons d'abord sur les débuts de cet artiste.
Né à Jérusalem, Gideon a passé une partie de son enfance aux USA avant de revenir en Israel. Après son service militaire et des études à la fac, il est retourné aux USA pour finir son cursus dans un institut cinématographique. Il est alors engagé par Doug Liman (Jason Bourne, Jumper, Edge of Tomorrow) comme assistant sur le tournage de la grosse production Mr & Mrs Smith (vous savez, celui où est né le couple Bradgelina). Cela lui permet d’enchaîner ensuite avec la réalisation de son premier film : The Killing Floor. Produit par Doug Liman et Avi Arad (le gars derrière les premiers films Marvel au début des années 200) avec un budget d'un million de dollars, c'est un direct-to-dvd, c'est à dire qu'il n'est pas sorti en salles. Il s'agit d'un thriller interprété par des inconnus qui base tout sa communication sur la carrière de ses producteurs avec le slogan suivant : « Par les producteurs de X-Men et The Bourne Identity ». Il est question d'un chantage autour d'un crime que le héros n'a pas commis. Ce premier film ne reste pas dans les annales du cinéma, tout comme le second film de Raff nommé Train. On se dit que la carrière de Gideon aurait pu s'arrêter là.
HATIFUM VS HOMELAND
Suite à ses deux échecs aux USA, Gideon Raff retourne en Israël pour créer la série télévisée Hatufim, appelée en Occident Prisoners of War. Voici son synopsis : «Deux soldats israéliens sont libérés après avoir été capturés lors d'une opération au Liban et gardés 17 ans en captivité en Syrie. De retour au pays, ils doivent apprendre à se réintégrer et surmonter le traumatisme dû aux mauvais traitements infligés durant leur captivité ». À la différence de la quasi-totalité des séries américaines, il écrit seul tous les épisodes avant même de poser sa caméra. Le tournage débute à l'été 2009 avec un budget de 200 000$ par épisode. D'après Gideon Raff lui-même, le pilote de Homeland a coûté autant que deux saisons de Hatufim ! C'est dire la différence en terme de budget. Succès phénoménale à sa sortie en 2010, Hatifum a remporté plusieurs prix en Israël et obtient des critiques dithyrambiques malgré une controverse auprès des familles de soldats. La seconde saison a été tournée en 2011 mais n'a été diffusée qu'un an plus tard pour des raisons publicitaires. Une troisième saison est en préparation, mais Raff est clairement occupé ailleurs.
En effet, dès 2009, Gideon est approché pour un remake américain qui sera développé par Howard Gordon et Alex Gansa qui ont déjà travaillé sur la série culte 24. L'angle abordé change et l'on passe d'une histoire de stress post-traumatique à un complot terroriste qui pourrait être halluciné par un agent des services secrets. Raff a traduit ses scripts de Hatifum, co-scénarisé l'épisode pilote et travaillé comme producteur exécutif pour s'assurer de la qualité du show qui a finalement atterri sur Showtime. Cette chaîne du câble avait déjà rencontré de gros succès avec Dexter, The L Word, The Tudors, Californication, Weeds... Le lancement en 2011 de la première saison de Homeland se fait avec Michael Cuesta (Six Feet Under, Dexter) à la réalisation. Du côté des acteurs, on engage des seconds couteaux qui ont multiplié les seconds rôles jusqu'à là : Claire Danes, Damian Lewis, Morena Baccarin, David Harewood... Les critiques sont aussi folles que Hatifum, tout comme les audiences qui sont en hausse tout au long de la saison. Au fil des années, Homeland accumule les awards (notamment plusieurs Golden Globe) et chaque nouvelle saison est un événement. Gideon Raff a participé à ce succès, l'a initié même, mais il n'est pas le créateur de la version mondialement connu. Cela lui ouvre néanmoins les portes de la télévision américaine et le monsieur va habilement en profiter.
TYRANT & DIG
Après avoir vu sa série Hatifum adapté aux USA, Gideon Raff propose lui-même à la chaîne FX sa nouvelle série pensée pour le public américain : Tyrant. Fait intéressant, FX avait refusé Homeland et Showtime a cherché à acquérir la nouvelle série de Raff. A titre personnel, je trouve ça intelligent de sa part de ne pas avoir tous ses œufs dans le même panier comme le dit le proverbe. Nous verrons que sa troisième série est diffusée sur une troisième chaîne, ce qui permet au créateur de différencier le destin de chaque show, toujours susceptible d'être annulés pour raisons budgétaire ou d'audience, chose pas forcément dépendante de la qualité d'une série. HBO aurait aussi tenté d'acheter Tyrant car le sujet est clairement intriguant : le fils d'un dictateur au Moyen-Orient rentre au pays à l'occasion du mariage de son neveu après un exil volontaire aux USA de plus de 30 ans alors que sa famille américaine ne connaît rien de la violence des siens. Le truc en plus, c'est que tout cela se passe après le Printemps Arabe et fait clairement pensé à la Syrie. Le Président tient d'une main de fer le pays et le héros ne souhaite pas rester plus longtemps que nécessaire, mais bien sûr, rien ne va se passer comme prévu.
Cette fois, Raff écrit et produit l'ensemble de la première saison qui est tournée en 2013 pour une diffusion en 2014. Ang Lee (Tigres et Dragons) est envisagé pour la réalisation du pilote mais il décline le projet au profit de David Yates (Harry Potter 5 à 8). FX est une chaine du cable américain qui cherche à produire des séries de qualité comme Showtime, voir carrément HBO, la référence en la matière. Elle diffuse par exemple American Horror Story, une des sensations des années 2010, et elle a connu le succès avec The Shield, Nip/Tuck, Sons of Anarchy.... C'est donc l'endroit parfait pour diffuser une série mature sur la politique au Moyen-Orient (moins de pression pour tenir par la main la ménagère ou satisfaire des publicitaires). Renouvelée pour une seconde saison qui débute dans un mois, Tyrant est une série très agréable en 13 épisodes. Les critiques sont néanmoins mitigées, notamment concernant la partie familiale de l'intrigue (liée à l'identification du spectateur au héros, nécessairement américain ou vivant à l'américaine). C'est en tout cas une série de qualité, tout comme la suivante de Raff : Dig.
Cette fois, Gideon s'associe à Tim Kring, le créateur de la série naguère culte Heroes. Initialement, Dig devait être une mini-série de 6 épisodes pour USA Network. L'histoire oscille entre thriller et ésotérisme. Un agent du FBI détaché à l'ambassade de Jérusalem enquête sur le meurtre d'une archéologue américaine. En parallèle, nous suivons les actes perpétrés par une secte mélangeant fondamentalistes chrétiens et juifs qui sont associés pour accomplir une vielle prophétie biblique. Le héros, en compagnie d'un flic israélien qui ne peut pas le saquer, va comprendre qu'il fait face à un complot d'envergure, sans saisir tous les tenants et aboutissants. De six épisodes, la série passe à dix et le twist final promet une hypothétique suite. Il faut dire que le scénario est de qualité et le décor encore une fois dépaysant (même si le tournage en Israël a du être déplacé au Maroc). Le pari de Gideon Raff est accompli. Malgré des échecs au cinéma, il a prouvé ses compétences en créant trois séries de qualité, ce qui n'est pas du hasard. La quarantaine passée, cet artiste est à surveiller car je n'ose imaginer la qualité de sa prochaine série si on lui alloue les moyens de ses ambitions. Espérons juste qu'il reste sur des chaînes du câble pour avoir des scénarios libres et matures vu qu'il frappe à chaque fois là où ça fait mal : sécurité, politique et religion.
Homeland, Tyrant et Dig sont trois séries qui entraînent le spectateur à l'autre bout du monde dans un univers jusqu'à là fantasmé. Avec des scénarios solides et une atmosphère léchée, ces shows se dégustent en parallèle des grosses productions mais n'ont rien à leur envier. Retenez bien ce nom : Gideon Raff.