Secret Wars : n'ayez pas peur du nouveau crossover Marvel !

Après avoir relancé il y a moins de trois ans son univers en comics pour offrir un point d'entrée aux nouveaux lecteurs, Marvel s'amuse à faire croire aux fans que son prochain crossover est un reboot.

Tout d'abord, faisons un point sémantique. Secret Wars, c'est le nom du nouveau crossover comics débuté par Marvel ce mois-ci et qui va durer jusqu'à l'automne. C'est aussi le nom d'un vieux comics considéré à tort par certains comme le premier crossover de l'éditeur (c'était en fait Contest of Champions). Enfin, il existe une mini-série appelée Secret War (notez l'absence de S) qui révèle l'existence d'une opération secrète menée par Nick Fury, opération qui a causé son départ du SHIELD à l'époque de la formation des New Avengers.

Maintenant, parlons d'un sujet sensible. Selon moi, de nombreux fans font une terrible erreur : se gaver d'informations marketing et de spoilers qui pullulent sur internet avant la publication d'une histoire. Se faisant, il se font une idée bien souvent erronée du comics, et pire, se privent du plaisir de la découverte, ce qui va immanquablement les pousser à s'exclamer « bof, rien de spécial, on savait tout ça déjà ». Secret Wars est un très bon exemple. Marvel a communiqué massivement sur ce qui semblait être le point central de la série : la création d'un nouvel univers nommé Battleworld. Le truc, c'est que ce n'est pas du tout le point central de cette histoire.

En effet, tous ceux qui lisent le run (c'est à dire l'histoire) du scénariste Jonathan Hickman depuis Avengers #1 et New Avengers #1 savent que ce nouveau monde n'est que le rejeton d'une terrible guerre, les fameuses Secret Wars. Pendant 77 épisodes publiés sur deux séries, l'auteur nous a présenté différents camps qui s'affrontent alors que le multivers s’effondrent. Perdre de vue cette guerre au profit d'un nouveau monde excitant serait ignorer le but principal de ce crossover : relancer une nouvelle fois l'univers Marvel.

AU COMMENCEMENT IL Y AVAIT JONATHAN

En décembre 2012, le scénariste Jonathan Hickman publie avec Avengers #1 le premier numéro d'une histoire qui va donner naissance deux ans et demi plus tard à Secret Wars. Suite au crossover Avengers vs X-Men, Captain America s'est rendu compte que les Avengers ne sont pas assez nombreux pour régler tous les problèmes de la Terre. Tony Stark va donc l'aider à recruter de nouveaux membres pour l'équipe, ce qui permet aux Avengers de multiplier les missions partout sur la planète. La série Avengers se dirige alors tout droit vers le crossover Infinity qui met en scène l'invasion menée par une mystérieuse race alien, mais aussi Thanos qui en profite pour attaquer la Terre. Cependant, cela n'est qu'un écran de fumée. La vraie histoire qui compte, c'est celle racontée dans la série New Avengers au même moment. Débutée en janvier 2013, elle est aussi scénarisée par Jonathan Hickman. Cette fois, au lieu de proposer un casting élargi, l'auteur réduit le nombre de protagonistes à une demi-douzaine. Il reprend là le concept des Illuminatis introduit par Brian Michael Bendis dans la précédente série New Avengers. Il s'agit d'un groupe secret de super-héros, tous leaders dans leur domaine, notamment scientifique, qui se réunit périodiquement pour prendre des décisions importantes.

On nous présente dès le premier numéro une terrible menace qui doit rester secrète pour ne pas inquiéter le grand public, mais aussi parce que rares sont ceux capables d'apporter une solution à ce problème. Reed Richards, le fondateur des Quatre Fantastiques, a ainsi découvert que le multivers s'effondrait. C'est quoi le multivers ? Pour faire simple, il s'agit de l'ensemble des Terre parallèles de l'univers Marvel. Chez DC Comics, il y en a 52. Chez Marvel, on a jamais définit un nombre précis pour laisser les artistes créer autant de Terres parallèles, et donc d'histoires, que nécessaire. Certaines séries comme Exiles ou récemment Spider-Verse utilisent ce multivers pour faire intérargir différentes versions des personnages Marvel. Les Illuminatis ont donc découvert que le multivers s’effondrait à mesure que des Terres s'entrechoquaient. C'est ce qu'ils appellent des incursions : à un moment donné, deux Terres parallèles se retrouvent au même endroit. Soit l'une d'elle est détruite pour faire de la place à l'autre, soit les deux se détruisent mutuellement. Bien sûr, une planète ne va pas détruire une autre, c'est à ses habitants de le faire. Les Illuminati vont donc en secret pendant des mois repousser l'apparition de chaque nouvelle Terre sans comprendre ce qui se cache derrière ce désastre, mais le phénomène s'accélère au fil du temps et les moyens utilisés vont à l'encontre de la morale de ces super-héros.

LA FIN DES HEROS

Au milieu de cette aventure, le crossover Infinity touche durement l'équipe qui était déjà mal en point si l'on considère l'animosité entre la Panthère Noire et Namor héritée de la saga Avengers vs X-Men. La disparition de Flèche Noire, l'impasse du Fauve avec les premiers X-Men ou le cauchemar vécu par Reed avec sa famille font que les Illuminatis doivent de plus en plus réagir aux incursions au lieu d'anticiper car ils ont d'autres problèmes à régler dans leurs propres séries. De toute façon, ils n'arrivent pas à trouver une solution définitive au problème. Pire, alors que le nombre de Terres parallèles se réduit au fil des épisodes, Captain America découvre lors du crossover Original Sin qu'il a aidé à leur début les Illuminatis. On lui a cependant enlevé ces souvenirs car il réprouvait les méthodes employées pour sauver la Terre de la mort du multivers. Cela va logiquement entraîner une grave scission au sein des Avengers et forcer les Illuminati à prendre la fuite. Enragé, Captain America va prendre le contrôle de la communauté super-héroïque pour traquer le groupe au nom du gouvernement américain.

C'est là qu'intervient la bonne idée du scénariste. Alors que le série Avengers sort du crossover Infinity (qui a ravagé la galaxie Marvel) et du crossover Original Sin (qui a révélé à Captain America les actions des Illuminati), Hickman décide de faire un saut dans le temps dès les épisodes 35 de Avengers et 24 de New Avengers. C'est la saga Time Runs Out qui débute 8 mois avant la publication du crossover Secret Wars et qui fait un saut de 8 mois dans l'histoire. On retrouve ces héros juste avant la fin de leur aventure, c'est à dire la publication du premier numéro de Secret Wars. Cela apporte plusieurs choses au scénario. Tout d'abord, il se libère de la continuité de l'univers Marvel. Concept central des comics de super-héros, la continuité implique que chaque série se réfère aux autres à un moment donné (avant ou après une saga, voir au même moment en faisant intervenir d'autres héros). Il ne faut pas qu'il y ait d'incohérences entre les séries, surtout quand les Avengers utilisent des personnages qui subissent de gros changements actuellement comme Captain America, Thor, Iron Man, Hulk... Bref, sauter dans le temps, c'est dire à tous les autres scénaristes « finissez vos histoires comme vous voulez et je prendrais la suite ». Time Runs Out se déroule la fin de toutes les séries actuellement publié, soit une bonne quarantaine. C'est le grand ménage avant Secret Wars. Ne pas lire ces épisodes avant, c'est comme regarder les 30 dernières minutes d'un film sans voir l'heure qui a précédé.

Sur les 77 numéros du run de Hickman à cheval sur les séries Avengers et New Avengers, 20 sont dédiés à ce saut dans le temps, soit un quart de l'histoire. Ces 20 derniers épisodes se font encore plus échos que les précédents, car ils sont à lire dans un ordre précis (souvent Avengers puis New Avengers, et ainsi de suite suivant la date de publication). On découvre l'univers Marvel 8 mois après la fuite des Illuminatis qui continuent en secret à protéger le monde. A mi-chemin entre une réalité alternative et un monde post-apocalyptique, on s'amuse à découvrir ce qui est arrivé à chaque personnage, mais aussi à l'univers Marvel. Il aurait donc été très compliqué d'accorder cette histoire avec les quarante autres séries publiées, surtout que la mort du multivers est désormais connue du grand public. Il ne reste alors plus que quelques Terre parallèles, et les héros se bastonnent comme des gamins au lieu de résoudre cette crise. Le temps est compté, d'où le titre de la saga, et la fin est inévitable. Le scénariste prend donc le temps d'exposer la situation avant le début de son crossover. Fort logiquement, le premier épisode de Secret Wars débute alors que les héros sont foutus. Il ne reste plus que deux Terres dans le multivers, celle des héros et une autre bien connue des lecteurs, la Terre Ultimate.

LA GUERRE DES REED

De nombreux lecteurs, hypnotisés par le marketing intense de Marvel qui jure que Secret Wars est la dernière histoire de son univers, ont lu le premier numéro de ce crossover sans connaître les faits l'ayant précédé. C'est dommage car Hickman parvient à construire une guerre entre plusieurs factions portées par de nombreux secrets ou personnages mystérieux. Fort heureusement, toutes les énigmes en suspens sont résolues d'ici la fin des deux séries, soit avant Secret Wars. On sait qui est le grand méchant de cette guerre, quel rôle joue chacun et quelles actions ont été entreprises. Pourquoi tout dévoiler avant le début du crossover ? En fait, Secret Wars est l'enfant batard du run de Hickman et d'un projet de Marvel. L'éditeur a profité de la fin du multivers pour réaliser un fantasme de lecteur : réunir en un seul monde différents univers plus ou moins populaires. Entre les crossovers célèbres (Civil War), les personnages cultes (Maestro) et quelques créations spécifiques à cette histoire (la police des Thor), on a là un monde qui fait rêver les fanboys. C'est le Battleworld.

Le Battleworld est divisé en une quarantaine de territoires, soit autant de situations excitantes mais aussi de séries vendues pendant quelques mois. Ces territoires sont liées à des Terres parallèles disparues, d'où le lien avec l'histoire de Jonathan Hickman. Qui a créé ce monde ? C'est un secret, mais on comprend rapidement la chose quand on découvre qui dirige ce monde. C'est le sujet du second épisode de Secret Wars, car le premier n'est pas du tout une introduction au Battleworld comme le pense ces lecteurs attirés par les nombreuses annonces aillant émaillées le début d'année 2015 chez Marvel. Non, Secret Wars #1, c'est tout de même la suite du run de Hickman et la fameuse dernière incursion, celle entre la Terre des super-héros et l'univers Ultimate. C'est ce qu'on attendait depuis le début. Ce monde Ultimate, créé au début des années 2000 pour attirer des nouveaux lecteurs (c'est l'époque des films Spider-Man et X-Men), a connu une vie mouvementée. Après des débuts en fanfares et des histoires désormais cultes, il tombe en désuétude. Chaque année, une rumeur est lancée sur sa fin. Plusieurs relaunchs essayent de maintenir à flot les ventes de ces comics sans succès. Avant de prendre en main le destin des Avengers, Hickman a scénarisé la série The Ultimates, soit la version Ultimate des Avengers. Il a utilisé comme grand vilain Ultimate Reed Richards, devenu méchant depuis Ultimate Doomsday. Ce vilain va connaître d'autres aventures après le départ de Hickman, mais on le retrouve à la fin du run du scénariste sur Avengers et New Avengers. Secret Wars #1 nous montre son baroud d'honneur face à la Terre du vrai Reed Richards.

Si vous avez suivi, vous venez de comprendre qu'au final, la vraie histoire de Secret Wars n'est pas celle du Battleworld car ce monde n'est que le résultat de la destruction du multivers. Non, la vraie histoire, c'est celle des Illuminati de Reed qui doivent faire face à la fin de leur Terre, et donc à ce qu'il se passe après. Malheureusement pour eux, comme si cela ne suffisait pas, Ultimate Reed a lui aussi son propre plan. Secret Wars va donc voir ces deux Reed s'affronter à un moment, c'est obligé, c'est la collision annoncée, comme l'était celle de la Terre avec la Terre Ultimate depuis New Avengers #1. Une fois Secret Wars conclue, une nouvelle Terre va naître car Battleword n'est qu'un terrain de jeu, comme l'était le monde dirigé par Magnéto dans House of M. Y-aura-t-il un nouveau multivers ? Un multivers infini ou défini comme chez DC ? On verra bien. Par contre, on sait déjà que ce ne sera pas un reboot. Marvel n'en a pas l'utilité. DC en avait besoin car sa continuité, soit son histoire depuis 60 ans, était trop compliquée pour les nouveaux lecteurs (notamment le changement trop fréquent des origines des personnages suite à chaque Crisis). De plus, Marvel va faire comme DC Comics après Infinite Crisis en sautant cette fois 8 mois dans le futur pour relancer chaque série avec un nouveau statut-quo. Cela va permettre aux scénaristes de ne pas être menottés aux conséquences directes de Secret Wars. On saute dans le temps et les personnages reprennent une vie normal pour des nouvelles aventures. Si au passage certains ont été remplacés par une version alternative issue du Battleworld, ce n'est pas trop grave du moment que ce n'est pas généralisé et que les héros se souviennent de leur passé. Mais bon, ça, c'est une autre histoire !

Secret Wars, c'est la cerise sur le gâteau, l'achèvement d'une histoire déjà culte. On profite du spectacle qui cache sous un aspect blockbusters comics une épopée plus intimiste. Celle de scientifiques, de super-héros qui sont impuissants et qui n'ont plus qu'une solution : ne pas perdre.