Parce qu’il est l’un des cinéastes les plus représentatifs des années 2010, Sorrentino marque son époque avec un cinéma sensible, sophistiqué et d’une accessibilité presque hollywoodienne. 45 balais, huit long-métrages et une demi-douzaine de récompenses ont fait de lui le nouveau fer de lance du cinéma italien. Retour sur l’œuvre d’un réalisateur à part.
Comme bien d’autres, Paolo Sorrentino ne vient pas à proprement parlé d’une famille gravitant autour du monde du cinéma. Bien au contraire. Le père travaillait dans la finance et maman était femme au foyer. Rien ne prédestinait alors le petit Paolo à devenir un des cinéastes les plus marquants des années du nouveau millénaire. Rien mise à part une tragédie qui emportera ses deux parents alors qu’il n’est âgé que de 17 ans. Obstination ou volonté de mener à bien le chantier entamer par ses aïeux, Sorrentino ira jusqu’au bout de ses études d’économies et de commerce. Il a 25 ans lorsqu’il décide de travailler dans le cinéma. Nous sommes donc en 1995.
Deux ans plus tard, Benigni triomphe à Cannes avec la tendresse de La Vita è Bella (« principessa, principessa! ») suivant une Italie basculant dans le fascisme à travers les yeux d’un père juif prêt à tout pour sauver sa femme et son fils. Six ans plus tard, ce sera au tour de Nanni Morreti avec La Stanza Del Figlio. Bénédiction cosmique ? Pur hasard ? Finesse olfactive ? Qui peut le dire ? Quoi qu’il en soit, Sorrentino se décide une carrière cinématographique lorsque son pays, après plusieurs années de vache maigre, renoue avec le succès et la reconnaissance cinématographique. Une sortie du désert reconnue lors de l’édition 2015 du Festival de Cannes avec quatre cinéastes transalpins en lice : Sorrentino, Morreti, Garrone (réalisateur de Gomorra) et Minervini.
Car, faut-il le rappeler, le cinéma italien fût, entre les années 50 et 70, l’un des plus important au monde, séduisant critique et public. Se parant de trivialité, il fut en effet ce cinéma de la générosité et de la truculence dans le jeu d’acteur (des Vittorio Gassman rutilants, des Marcello Mastroiani charmeurs, des Sophia Loren pulpeuses) avec des films comme C'eravamo tanto amati (1974) d’Ettore Scola, parmi tant d’autres, où la comédie se mélange au drame le plus amer. Un cinéma du classicisme le plus abouti et en même temps de la dénonciation sociale comme dans La Dolce Vita de Fellini (et son fameux « Marcello…..Marcello »). Un cinéma magnifiant la beauté à l’état pur et le grotesque, l’exubérant comme Otto e mezzo de Felinni, chef-d’œuvre parmi les chefs-d’œuvre.
Or, si Moretti a jusqu’ici fait office de tête de liste du cinéma italien, l’irrésistible ascension de Sorrentino ne fait plus aucun doute avec une « signature » toujours plus marquée par cet héritage cinématographique qu’il réécrit film après film, et une série de thématiques récurrentes.
SORRENTINO L'INCONSTANT
Généralement, il n’en faut pas beaucoup au napolitain pour convaincre son monde. Ainsi, il en va de Paolo avec son premier long-métrage L’Uomo In Più (2001), dans lequel il met en scène celui qui deviendra son acteur fétiche, Toni Servillo, dans le rôle d’un chanteur arrivé au climax de sa carrière. Séduisant le public italien à travers un traitement visuel novateur avec des séquences très graphiques, une lumière toujours parfaite et une photographie sublime, le cinéaste pose là les bases d’une filmographie emblématique, cohérente et globalement efficace. Ça fait beaucoup diront certains. Donnons leurs raisons. En effet, si tous les films de Sorrentino se distinguent par une attention toute particulière placée dans la mise en scène visuelle du sujet et des thématiques, ils n’en sont pas moins inégaux dans la qualité.
Et pour cause, tout en ayant été capable de réaliser des films magistraux comme La Grande Belezza (2013) ou Il Divo (2008), Sorrentino s’est aussi perdu dans des exercices de styles plus ou moins marqués et plus ou moins réussis comme Le Conseguenze Dell'Amore, This Must Be The Place (TMBTP) ou plus récemment Youth (2015). Des films dont la virtuosité de la mise en scène et des dialogues ne réussit malheureusement pas à masquer des jeux d’acteurs caricaturaux et des scénarios franchement faiblards.
TMBTP par exemple, a beau être servi par des acteurs de talent et un pitch alléchant, le film ne se révèle pas d’un intérêt concret. Un croisement raté entre un film des frères Cohen et un Wes Anderson pour la faire courte. Même symptôme dans Youth au casting clinquant qui, en tant que successeur de La Grande Bellezza s’avère en dessous de ce à quoi le cinéaste a pu nous habituer jusque-là. Michael Caine peine à tenir son rôle de compositeur au bout du roule-bif et la kyrielle de rôle lui gravitant autour (d’Harvey Keithel à Paul Dano en passant par Rachel Weisz), tout comme les multiples trouvailles visuelles, ne peuvent rien contre la fadeur qui habitent le film.
ITALIANS DO IT BETTER
Comment expliquer une telle différence ? Est-ce un hasard si le meilleur du réalisateur se dévoile lorsqu’il nous parle de l’Italie ? Cette Italie corrompue d’Il Divo dans laquelle il nous embrigade. Cette Rome somptueuse où se retrouvent les fantômes de Fellini et de Scola dans La Grande Bellezza ? Cette Italie délicieusement ringarde dans L’Uomo In Piu. Sorrentino aurait-il le même syndrome que celui qui touche nombre de réalisateur américain s’attaquant à des sujets européens, enchaînant clichés et facilités déconcertantes ? Probable.
Pour autant il y a de l’oxymore dans le cinéma de Sorrentino. Un oxymore capable de supporter le traitement comique d’une situation tout ce qu’il y a de plus tragique très largement porté par des dialogues tour à tour émouvants, hilarants, fantasques, voir absurdes. Un oxymore capable de faire rêver avec trois fois rien comme cette scène où Jep Gambardella dans La Grande Bellezza découvre une douzaine de flamands roses sur son balcon. Un oxymore capable de supporter l’explicite héritage fellinien tout en déroulant une sensibilité cinématographique tout ce qu’il y a de plus moderne.
Au-delà de son inconstance donc, l’œuvre de Sorrentino est marquée par une récurrence de thématiques systématiquement présentes à travers le traitement du scénario. Il faut bien insister sur l’adverbe « systématiquement » !
Ainsi, ces thématiques imbriquées les unes avec les autres vont venir prouver la rigueur de son écriture cinématographique. Impossible par exemple de passer à côté de l’antagonisme vieillesse/jeunesse (dont il avouera l’obsession dans une interview récente). Ce serait comme passer à côté de la question des genres dans un film d’Almodovar.... Même récurrence obsessionnelle avec l’antagonisme solitude/foule qui émerge d’un film à l’autre avec Il Divo où Servillo campe son personnage d’Andreotti dans un canapé, impassible, tandis qu'autour de lui une fête huppée bat son plein. On la retrouvera dans TMBTP avec Sean Penn immobile et déprimé au milieu d'un live de David Byrne jouant son propre rôle. On la retrouvera dans La Grande Bellezza avec cette scène d'ouverture où le personnage de Jep Gambardella soliloque au milieu d’une bacchanale enfiévrée. On la retrouvera, plus ténue, dans Youth avec ce tourniquet sur lequel se font des représentations plus ou moins loufoques...
Cette répétition thématique en agace certains. On peut les comprendre. Or, il y a, dans sa manière de traiter ces thématiques, quelque chose de chaleureux, une manière de dire « vous savez où vous mettez les pieds ». Et puis, des réalisateurs qui ne reprennent pas les mêmes thématiques d’un film à l’autre, il ne doit pas y en avoir des caisses, non plus.
Constant dans le style plus que dans la qualité, Sorrentino possède toutes les cartes pour devenir un des réalisateurs marquants de sa génération. Des bandes-son géniales, des caractéristiques techniques reflétant un héritage prestigieux, un souci visuel inhérent... S'il s'est parfois perdu en troquant son Italie truculente pour des poncifs internationaux, il n'en reste pas moins un réalisateur à la fois académique et libertaire, sérieux et d'une légèreté à l'accent latin. Va bene.