Que l'on parle manga ou animation, une oeuvre a bien du mal à trouver des détracteurs : Akira. Présentation d'un monstre devenu sacré dans le monde entier.
Difficile d'écrire un article sur l'oeuvre nommée Akira. En effet, à l'idée d'aborder un tel sujet, une peur nous envahit : celle d'être incapable de rendre hommage au génie de Katsuhiro Otomo, un artiste qui a réussi à profondément marquer deux industries, celle du manga et celle de l'animation.
À l'origine, Akira n'est qu'un seinen (manga pour jeunes adultes) destiné à être publié sous la forme d'un one-shot de 200 pages environ. Une oeuvre unique en son genre, dénuée de pression commerciale, le délire d'un artiste en somme. Finalement, cette série totalise 2200 planches regroupées en six volumes (13 au format occidental en couleur) et possède une aura quasi-inégalée.
Publié entre 1982 et 1990 dans le Young Magazine de l'éditeur japonais Kodansha, poids lourd de l'industrie, ce manga devient rapidement un succès mondial. C'est même un des premiers titres à fédérer une base de fans mondiale, ouvrant de nombreuses frontières à la culture japonaise qui s'empresse de faire découvrir ses autres chefs-d'oeuvre. Akira, c'est aussi une série terriblement attachée à son époque tout en étant diablement avant-gardiste.
À la recherche de l'enfant perdu
De quoi ça parle ? Voici un des synopsis officiels : 2030. Néo-Tokyo est devenue une gigantesque poubelle hi-tech. Tetsuo, Kanéda et leur bande de jeunes du centre d'insertion et d'apprentissage professionnel foncent dans la nuit sur des motos volées, sans autre but que de repousser toujours plus loin les limites du speed. Quand ils croisent un drôle de petit garçon au visage de vieillard, leur premier réflexe est de l'agresser mais cette créature perdue possède un étrange moyen de défense... Ils viennent de faire connaissance avec le n°26 et de franchir, sans s'en rendre compte, la première étape d'un processus irréversible : le réveil d'Akira...
Comme toute histoire légendaire, ce manga est avant tout une réunion de personnages cultes. Kaneda, Tetsuo, Kei, le Colonel, Akira, Takashi, Lady Miyako et tant d'autres, c'est une galerie d'individus se croisant dans une ville qui est le protagoniste principal. L'intrigue évolue massivement à un moment, mais on reste focalisé constamment sur ces héros et leurs antagonistes. On passe d'une situtation presque normale, c'est-à-dire une légère anticipation du futur de la ville de Tokyo pas si impacté par l'explosion qu'elle a subie, à un monde radicalement différent. En dire plus serait vous priver de nombreuses surprises...
En revanche, on peut rapidement considérer les thématiques proposées par l'auteur. L'oeuvre étant publiée en pleine Guerre Froide (bien chaude à ce moment-là) au Japon, pays impacté par ce nouvel ordre, la menace nucléaire est bien sûr omniprésente. Il est toutefois plus question d'arme humaine, mais le propos est le même, la présence d'une épee de Damoclès sur l'humanité. Ce monde, et le nôtre à cette époque, est traumatisé par cette course à l'armement. C'est aussi le cas de la société japonaise. Le mangaka dépeint aussi bien la crise existentielle d'un peuple qu'un univers semblable aux ruines japonaises post-WW2, quand les citoyens cherchaient à survivre dans une nation qui avait perdu son ordre naturel. C'est un futur qui se nourrit des drames du passé, dans le pur concept oriental du cycle qui se répète sans fin.
Quant à la découpe des chapitres, qui ne permet de souffler qu'à la fin de la lecture de chaque tome, elle plonge le lecteur au côté des personnages, ne lui laissant pas le temps de relever la tête. Ce n'est qu'avec recul qu'on découvre vraiment toute la profondeur de l'oeuvre.
Au-delà des limites imposées
Comment parler d'Akira sans évoquer les motos ? Le trait de l'auteur capte parfaitement ces courses nocturnes. Il insuffle un dynamisme extraordinaire qui contraste avec la droiture des décors ultra-détaillés. L'oeil est attiré par cette mécanique qui se veut rebelle, alors que la vraie révolution viendra de l'intérieur du système.
Tous les codes de la science-fiction des années 80 sont présents. On a une armée qui contrôle tout et mène des expériences secrètes. On a un pouvoir fantoche qui se repose sur cette armée pour contrôler ses citoyens. Sans pour autant être une didacture, c'est un besoin d'ordre dans une nation traumatisée. Sinon, les adultes imposent aux ados la bonne conduite à suivre. Et que dire de la critique de la politique internationale, avec des nations qui se mêlent uniquement de ce qui les intéressent pour préserver leurs interêts ? Le Japon n'est qu'un pion dans la politique américaine, à l'époque visant à contenir la Russie, aujourd'hui la Chine.
La beauté de Néo-Tokyo s'oppose aux bêtises commises par ces ados voyous sans avenir, qui chassent l'ennui en s'opposant à l'ordre public. Ils deviendront des enfants soldats sujets de manipulation de masse. C'est une question récurrente dans la politique au Japon. Dans une société conservatrice secouée par de violentes évolutions incomprises par les plus anciens, l'art permet de mettre en lumière les défauts de chacun. Les références aux émeutes sociales et à l'armée rouge unifiée, mouvement politico-sectaire japonais de l'époque, ancre le récit dans un monde mirroir de celui où vit le lecteur.
Quand le tsunami atteint la France
Si Akira incarne les peurs de la société japonaise, il symbolise chez nous la vague "d'invasion" des mangas. Ses dessins, plus proches de la BD Franco-Belge que le reste de la production nippone, en font un ambassadeur idéal. Chose logique quand on sait qu'Otomo s'est inspiré d'oeuvres occidentales, notamment de Jean Giraud aka Moebius ou des films américains des années 60 comme Easy Rider.
L'éditeur Glénat publie chez nous cette pépite et, fait intéressant, le titre connaît plusieurs éditions, chacune évoluant avec le marché des mangas en France. Après une version kiosque en couleurs (rajoutées aux USA) en 1990, l'éditeur passe au cartonné dès 1991 pour envahir les librairies (13 tomes et un artbook). Ce n'est qu'en 1999 qu'on a le droit à une édition plus fidèle au format original, avec 6 tomes en noir & blanc, mais avec un sens de lecture français, chose courante à l'époque. Une nouvelle édition débarque en 2016 avec enfin le format correct, que ce soit pour la couleur, les tomes ou le sens de lecture.
Le film d'animation
L'histoire ne pouvait s'arrêter là. Si Akira est réellement culte et n'est pas juste une oeuvre adorée par quelques otakus, c'est parce qu'il existe un film d'animation qui a bouleversé le public à sa sortie, élargissant l'audience et faisant de cette oeuvre un porte étendard de la culture manga. Sorti en 1988, il est réalisé par le créateur de l'oeuvre lui-même, Katsuhiro Otomo. L'artiste est alors très ambitieux et créé l'Akira Comitee pour réunir toutes les parties prenantes afin de donner naissance à sa vision. 31 studios seront impliqués, mais le réalisateur contrôle tout : réalisation, scénario, character design, storyboard, animation... Il laisse toutefois une certaine liberté aux nombreux artistes travaillant sur le projet.
Résultat, on explose les coûts pour multiplier les détails peints à la main pour les décors, tout en les associant à un dynamisme fou des scènes d'action. Avec un budget de 7 millions d'euros, soit 1 milliards de yens, c'est la plus grosse production de l'époque au Japon. En comparaison, La Petite Sirène de Disney en 1989 a un budget de 40 millions de dollars. Quoiqu'il en soit, le film Akira est un énorme succès avec 80 millions $ récoltés dans le monde. Depuis deux décennies, on parle constamment d'un remake avec des acteurs en live, voire d'une série télévisée. C'est un serpent de mer tant l'oeuvre est inscrite dans la mémoire collective du public. Bonne chance à ceux qui oseront s'y attaquer.
Néo-Tokyo. Les courses de motos. Qu'est-ce qu'Akira ? On avance dans l'histoire, on est fasciné par les planches et on est surpris par les événements. Tout va trop vite et c'est déjà fini. Akira vous a percuté et vous ne vous en êtes toujours pas remis.