Vous aimez les animaux ? Vous aimez les hommes ? Vous aimez la fiction ? Voici un article fait pour vous !
Avant d'aller plus loin, je vous propose de partir d'une définition officielle d'un dictionnaire pour que nous soyons tous au même niveau de connaissance. Larousse.fr écrit que l'anthropomorphisme, c'est la « tendance à attribuer à Dieu ou à un dieu les sentiments, les passions, les idées et les actes de l'homme » Si le site se concentre uniquement sur le sens religieux du terme, nous pouvons étendre cette définition aux animaux, aux objets, aux plantes et même aux idées !
En littérature, la figure de style nommée personnification attribue des comportements et des traits humains à des idées abstraites, par exemple la Mort, avec sa grande faux. Ainsi, en ouvrant nos esprits et en allant fouiller dans nos mémoires, on se rend compte qu'il existe une multitude de personnages anthropomorphes dans un nombre incroyable d'univers de fiction. L'on est donc en droit de s'interroger : pourquoi recourir à l'anthropomorphisme ?
L'identification
C'est la raison première, celle qui pousse les scénaristes et les auteurs de tous bords à mettre en scène des animaux qui ressemblent davantage à des hommes. L'univers de fiction qui nous vient tout de suite en tête, c'est l'univers Disney ! Parmi les 134 longs-métrages d'animation, on en compte plus de la moitié dans lesquels des animaux, des objets (les voitures dans Cars ou les jouets dans Toy Story), des plantes ou des idées (Vice-Versa) ont un comportement humain (qu'ils interagissent ou non avec d'autres vrais humains).
J'ai volontairement exclu les animaux uniquement dotés de paroles, car la parole ne les fait pas toujours se comporter comme nous pour autant. En effet, si la Belle et le Clochard peuvent dialoguer, ils ne font que ce que peuvent faire deux chiens ! Rien que la mascotte de Disney, Mickey, est un anthropomorphe.
On retrouve ce principe d’identification dans les Fables de La Fontaine (elles-mêmes inspirées des Fables d'Esope dans l'antiquité) et dans le Roman de Renart, un ensemble de textes d'auteurs anonymes, dont le plus ancien remonte au XIIe siècle. Pour la petite anecdote, on suit les mésaventures d'un goupil (ancien nom du renard) nommé Renart. Plus tard, le terme de goupil laissera peu à peu la place au mot renard, grâce à ce texte ! Si vous ne l'avez jamais lu, je vous le recommande.
Bref, dans ces deux œuvres séparées par cinq siècles, les personnages sont des animaux qui ont un comportement humain. Le recours à l'anthropomorphisme est justifié par une volonté de protéger les auteurs qui critiquent ouvertement les mœurs des Hommes de leurs temps. La Fontaine aurait toutefois déclaré : « Je me sers d'animaux pour instruire les hommes ». On ne serait donc pas très éloigné de Disney. Cette volonté d'instruire dans une époque où règne l’illettrisme passera sans doute par le recours à l'oralité. La Fontaine dédicacera son premier recueil au Dauphin Louis de France (le fils de Louis XIV) pendant les années de son instruction.
C'est dans cette première œuvre que se trouve la fameuse fable du Corbeau et du Renard, inspirée directement par une histoire présente dans le Roman de Renart. La morale est destinée à mettre en garde le futur roi (qui ne le sera jamais) sur la flatterie des courtisans envers le roi. En effet, le corbeau n'est autre que le souverain et le renard le courtisan qui flatte son roi pour obtenir ses faveurs. Petite astuce mnémotechnique pour vous souvenir des auteurs du XVIIe siècle : La corneille (Corneille) boit l'eau (Boileau) de la fontaine (La Fontaine) sur les racines (Racine) de la bruyère (La Bruyère) molle hier (Molière). Avec ça, aucune chance de vous tromper !
Des animaux ou des hommes ?
Que ce soit chez Disney ou dans les Fables, chaque animal est souvent associé à un trait de caractère précis. Le lion est fort et pour cela, il est souvent le roi ( Le Roi Lion, Le Lion et le Rat, les Animaux malades de la peste...). La plupart des rongeurs sont malins et rusés, ils fournissent donc des alliés ou des héros intéressants (Cendrillon, Bernard et Bianca). Aujourd'hui comme autrefois, les auteurs ont recours à des animaux communs et connus de tous afin de faciliter l'identification.
Comme on a pu le voir, notre société tout entière est transposée dans le monde animal. C'est aussi le cas dans Basil détective privé (librement inspiré de Sherlock Holmes d'Arthur Conan-Doyle). Ici nos deux mondes cohabitent, les souris évoluent dans le vrai Londres mais se rendent dans des lieux construits pour elles (à l'instar de Bernard et Bianca). Le parallèle est donc plus facile à tracer pour les enfants et pour les plus grands.
Toujours dans le même film d'animation, il existe une scène emblématique qui permet d'accentuer la dualité humain/ animal. Au début, le personnage de Rattigan (le double de Moriarty, l'ennemi juré de Sherlock Holmes) possède toutes les caractéristiques d'un humain, et même d'un gentilhomme : il parle, il boit du champagne, il chante, il marche sur deux pattes... Mais c'est son but qui le rend profondément humain puisqu'il veut devenir calife à la place du calife... enfin, Roi d'Angleterre à la place de la Reine d'Angleterre (des souris !).
Cependant, lors du combat final au sommet de Big Ben (notre Big Ben, pas celle des souris, une fois encore on est bien dans notre monde), Rattigan perd patience et recouvre peu à peu sa forme de rat. Il passe du bon type civilisé (même si c'est un comploteur) à une bête sauvage assoiffée de sang qui se déplace sur quatre pattes. Or, un animal, une force brute, ne fait pas le poids face à l'intelligence humaine de Basil de Baker Street !
On a un peu le même genre d'exemple dans Babar, qui est une métaphore à peine voilée de la monarchie. Le petit éléphant, qui a perdu sa mère, arrive dans une grande ville et apprend à se comporter comme un humain auprès de la Vieille Dame. On ne peut pas évoquer Babar sans évoquer les critiques autour de l’œuvre de Jean de Brunhoff, accusé par ses détracteurs de dépeindre positivement l'esprit colonialiste. En effet, bien que l'auteur ait décidé de situer l'action en Afrique, les us et coutumes des éléphants sont très européanisés et l'éducation de la Vieille Dame pourrait représenter la volonté des colons à répandre leur mode de vie.
Ainsi donc, le recours à l'anthropomorphisme (surtout animal) permet de faire passer des messages ou d'éduquer les cibles des diverses œuvres. J'aurais pu également citer un végétal, Grand-Mère Feuillage dans Pocahontas qui diffuse un message écologique. Dites aux gamins que les arbres parlent et pensent, vous verrez comment ils vont réagir !
L'antagonisme, le conflit
On a donc vu que l'anthropomorphisme pouvait éduquer de la manière la plus douce qui soit. Il existe néanmoins de nombreuses œuvres qui cherchent plutôt à alerter les cibles auxquelles elles s'adressent. L'anthropomorphe prend la forme d'un antagoniste ou d'un conflit. Qu'est-ce qu'un antagoniste ? C'est souvent le grand méchant de l'histoire (Sauron dans Le Seigneur des Anneaux) , mais il peut parfois s'agir d'une idée, d'un événement. Par exemple dans Seul au Monde, Tom Hanks s'échoue sur une île déserte où il doit apprendre à vivre seul. Dans ce film, l'antagoniste, ce sont toutes les épreuves que le personnage devra traverser, tous les obstacles qui s'enchaînent.
Le meilleur exemple de personnage anthropomorphe endossant le rôle de l'antagoniste se trouve dans Le Petit Chaperon Rouge, de Charles Perrault. Le Loup est une menace claire, évidente. Le message en substrat est que le Loup représente les meurtriers et que parler à des inconnus peut s'avérer dangereux. C'est le message principal mais il en existe bien d'autres dans cette seule histoire. Les Contes de Perrault sont bourrés de messages plus ou moins cachés et je vous invite à les relire avec votre esprit d'adulte. Vous les verrez autrement !
Dans Alice au Pays des Merveilles, de Lewis Caroll, adapté par Disney, c'est un peu le même principe. En se lançant à la poursuite du Lapin Blanc, en quittant la surveillance de sa sœur pour suivre un inconnu, Alice va plonger dans un monde qui la dépasse, le lieu de tous les excès. Dans ce Pays des Merveilles, la plupart des personnages (pas tous) sont anthropomorphes, qu'il s'agisse du Lièvre de Mars buvant le thé, de la poignée de porte (qui n'apparaît pas dans le conte originel), des fleurs qui chantent, des cartes à jouer, etc. Ici, l'on peut considérer le pays tout entier comme un antagoniste, tous ses habitants, ou presque, empêchant Alice de progresser et refusant de l'aider. Ils sont tirés des cauchemars d'Alice et/ ou (selon les versions) de sa folie.
À l'inverse, dans La Belle et la Bête, ce sont les objets (d'anciens humains) qui ont besoin d'aide. Le conflit naît de la malédiction subie par les habitants du château et de la peur que la Bête inspire aux villageois. Au final, métaphoriquement, ce sont ces derniers les véritables bêtes puisqu'ils sont effrayés par ceux qui sont différents : la Bête à cause de son physique et Belle parce qu'elle est cent fois plus cultivée que tout le village réuni !
Une large palette de personnages anthropomorphes
Prenons un exemple un peu différent avec Noël chez les Muppets, adapté du conte (magistral !) de Charles Dickens, A Christmas Carol. Je me concentre uniquement sur la version des Muppets puisqu'elle est l'une des seules qui mélange humains et animaux. Résumons rapidement : le soir de Noël, le cruel Ebenezer Scrooge (Michael Caine) reçoit la visite de trois fantômes qui le confrontent à son passé, son présent et son futur pour le rendre meilleur. Si vous aimez les films de Noël, c'est l'un des meilleurs, selon moi !
Comme avec Alice, Scrooge est entouré de créatures anthropomorphes qui, elles, contrairement aux habitants du Pays des Merveilles, ont de bonnes intentions. Scrooge est le méchant du film mais comme on le suit, que l'on adopte son point de vue, les antagonistes sont les Muppets, les Londoniens. Au fil des visites des fantômes, l'homme va toutefois comprendre que son seul ennemi, c'est lui-même. Je vous conseille mille fois ce film et aussi le conte !
Juste après les Disney, l'univers de fiction dans lequel on trouve énormément de personnages anthropomorphes, c'est les comics ! Que ce soit chez Marvel, chez DC ou chez Image Comics, ces personnages sont légion. Néanmoins, la plupart du temps, il s'agit d'humains transformés ou déguisés en animaux. L'on peut citer Batman, Catwoman, Le Pingouin, Spider-Man, le Vautour, le Rhino, Savage Dragon, etc. Ici, pas vraiment de message à véhiculer mais sûrement une volonté des auteurs de varier les ennemis et de trouver des aptitudes intéressantes aux ennemis.
Des questions métaphysiques
Penchons-nous sur une forme d’anthropomorphisme très répandue dans la science-fiction et très souvent source de conflits : les Machines (au sens large du terme). Robots ou IA, ils jouent souvent le rôle des antagonistes dans les films de SF, comme si, lorsque l'Homme perd sa place d'être suprême de la chaîne alimentaire, cela ne peut entraîner qu'un conflit violent. L'IA (intelligence artificielle) nous évince et les machines prennent le contrôle de notre monde. Au mieux, elles nous réduisent en esclavage (Matrix) ou, au pire, elles nous éliminent (Terminator). Je crois qu'il y a assez peu de films dans lesquels le robot est bien intentionné (excepté l'Homme Bicentenaire ou encore certains Transformers dans le film éponyme).
Cette volonté d'identification, voire cette obsession, a donné naissance à l'anthropocentrisme, qui consiste à placer l'Homme au centre de l'univers. Et, effectivement, on est un peu comme ça. Dès qu'on évoque les extra-terrestres, on imagine presque toujours qu'ils nous ressemblent. Pareil pour les dieux ou les catastrophes naturelles comme les séismes ou les tornades. Nos lointains ancêtres attribuaient même ces dernières à la colère des dieux car ils ne pouvaient s'expliquer de tels bouleversements.
C'est d'ailleurs toujours le cas pour une minorité d'extrémistes qui pensent que le réchauffement climatique est le parangon d'une société corrompue. En fait, de cette façon, l'homme tente d'expliquer l'inconnu à travers ce qu'il connaît. Par exemple, l'une des plus anciennes sculptures se nomme l'Homme-Lion. Des théories avancent que les hommes préhistoriques utilisaient cet art comme un moyen d'empathie (pas de sympathie, attention !) c'est-à-dire, la volonté de comprendre sa proie pour mieux anticiper ses actions et réactions.
Transcender la condition humaine
Si on classait tous ces éléments du moins évolué, au plus évolué, on obtiendrait : minéraux, machines, plantes, animaux, humains, dieux. Je place les machines entre les minéraux et les végétaux car elles n'agissent pas (encore) toutes seules et ont besoin d'une programmation pour fonctionner. Jusqu'ici, nous avons pu constater que l'anthropomorphisme consistait à élever des créatures ou des objets au rang d'humain, à leur donner un comportement que nous pourrions avoir nous-mêmes. Avec d'autres mots, l'homme confère des réactions qui lui sont propres à des créatures « inférieures ».
Or, il est un domaine face auquel l'humanité perd sa toute-puissance : la mort. Depuis qu'il est conscient de sa propre finalité, l'homme a cherché à échapper à sa condition d'être mortel. Cette peur se retrouve de manière plus ou moins consciente dans tous les univers de fiction et fait parfois appel à l'anthropomorphisme pour nous en émanciper.
Par exemple, en créant des êtres immortels, des animaux qui possèdent nos caractéristiques. C'est ainsi qu'on peut citer les Toons (Bugs Bunny, Vil Coyote, Gros Minet mais aussi Roger Rabbit ou Howard the Duck chez Marvel) qui peuvent subir les pires sévices puisqu'ils ne souffrent pas et ne se blessent pas. Ça devient donc drôle pour nous, pauvres mortels, et offre à ces personnages un rôle presque cathartique, une purgation de notre peur de la mort. Mais le rire ne suffit pas. Il nous faut des personnages plus forts, des êtres capables de combattre le mal et de déjouer la mort. Ainsi naquirent les héros. Un héros c'est « une personne qui se distingue par sa bravoure et ses mérites exceptionnels » (Larousse.fr) Or, dans la tradition gréco-romaine, on chantait les exploits de ces héros. Non seulement le héros échappe à la mort plusieurs fois mais, en plus, après sa mort, son souvenir et son talent demeurent vivaces, lui conférant une forme d'éternité.
Une fois de plus, l'anthropomorphisme dans la fiction permet de transcender cette condition d'être mortel mais attribue également une force surnaturelle aux héros, une force au-delà de la puissance humaine. Dans Les Tortues Ninja, l'anthropomorphisme est justifié par le scénario. On a quatre tortues qui, exposées à un mutagène dans les égouts de New York, vont devenir fortes, douées de paroles et excellentes en arts martiaux. Ce principe s'inverse dans Spider-Man. On a un humain qui obtient les pouvoirs d'une araignée et devient plus fort. Dans la fiction, on dépasse donc nos frustrations, nos peurs de la mort en découvrant des personnages puissants, souvent immortels et dont l'anthropomorphisme permet une identification forte.
Et la Religion dans tout ça ?
Ce tabou ultime, cette crainte de mourir a donné naissance à la religion. Or, au sein même des religions, qu'elles soient monothéistes ou polythéistes, l'homme a tenté de comprendre les comportements de Dieu ou des dieux. Ainsi, dans la religion égyptienne et dans quelques mythologies méso-américaines, l'on représentait les dieux comme des humains à têtes d'animaux. Chacun d'entre eux, un peu à la manière des fables, constituait une allégorie et possédait un comportement bien particulier.
Ainsi, Bastet, la déesse à tête de chat, représente la joie du foyer. Cette forme d'anthropomorphisme est très intéressante puisqu'elle mêle trois entités : les dieux (pour la représentation), les animaux (pour la tête) et les humains (pour le corps et le comportement). Dans la mythologie gréco-romaine, les dieux, représentés dans l'art comme des humains, en possèdent également toutes les caractéristiques. Alors que l'on attend d'un dieu qu'il soit au-delà des préoccupations basiques de la Terre, les dieux gréco-romains sont jaloux, colériques, vengeurs, ils mangent, boivent, font l'amour, violent parfois. Cette grande proximité des dieux et des hommes donna lieu au concept de demi-dieu, c'est-à-dire un enfant humain dont l'un des parents serait nécessairement un dieu.
Tous ces drames furent une excellente source d'inspiration pour les grands tragédiens de l'époque qui décidèrent de mettre en scène certains de ces mythes. Dans l'Ancien Testament de la Bible, on peut considérer que Dieu, plus colérique et violent que dans le Nouveau Testament, est une forme d'anthropomorphe destiné à « éduquer » les croyants.
La littérature s'est souvent inspirée de ces mythes fondateurs que sont les textes religieux. Par exemple, dans La Trilogie Nikopol, d'Enki Bilal, on retrouve le personnage d'Horus, avec son corps d'homme et sa tête de faucon. Dans Les Chroniques de Narnia, par C.S. Lewis, on retrouve de nombreuses références au Christianisme. En effet, le lion Aslan serait un dieu unique, une allégorie du soleil, une figure christique qui sert de guide aux enfants.
Toutefois, l'anthropomorphisme animal est plutôt lié au paganisme et s'éloignerait donc des textes bibliques. Il est amusant de noter que Lewis fut accusé de paganisme par les chrétiens et de dévot par les athées ! La joie d'être un auteur ! L'anthropomorphisme peut donc également servir de pont entre les questions métaphysiques et l'humain.
Qu'il s'agisse d'un simple transfert des comportements humains, d'une volonté d'instruire ou d'effrayer, d'un simple ressort scénaristique ou d'un souhait de transcender notre condition d'être mortel, l'anthropomorphisme est très souvent utilisé dans les univers de fiction. Vous pouvez désormais mettre un mot sur ce procédé vieux comme le monde. Si vous allez voir Zootopie des studios Disney en février, songez à tout ce que nous avons vu dans cet article et demandez-vous pourquoi recourir à l'anthropomorphisme !