Mr Robot : la série qui va vous hacker le cerveau

Encensée durant les Golden Globes 2016, avec le prix de la meilleure série dramatique, Mr Robot fut une véritable surprise. Alors, comment expliquer un tel succès ?

Pour ceux qui ne connaîtrait pas, Mr Robot est une série originale produite par USA Network (à qui l’on doit certaines séries connues comme Les 4400, Monk ou encore White Collar) et créée par Sam Esmail, un petit inconnu du monde des séries télévisées puisque Mr Robot est sa première création à l’heure actuelle.

La série fut diffusée à partir de juin 2015 et comporte 10 épisodes. Elle a été renouvelée pour une deuxième saison et a immédiatement remporté un franc succès tant auprès du public (en moyenne 1,3 millions de téléspectateurs, ce qui est un score honorable pour une petite chaîne US) que de la presse américaine.

You don’t like people, huh?” / “Not most of them, no”

Pour rentrer dans le cœur du sujet, la série nous propose de suivre la vie d’Elliot Alderson (interprété par Rami Malek) qui est un jeune informaticien vivant à New York et travaillant pour le compte d’Allsafe Security, une entreprise de cyber-sécurité. Le souci est qu’Elliot souffre d’un fort problème psychologique : il est en proie constante à une forme aiguë d’anxiété sociale et de dépression, le tout étant accentué par une grande paranoïa du monde qui l’entoure. Bref, c’est la joie.

Ainsi, le seul moyen pour lui de réussir à avoir des relations sociales est de hacker les comptes informatiques des gens qu'il rencontre, ce qui parfois, selon ce qu'il trouve, le pousse à agir comme un justicier en faisant chanter ceux qui se comportent mal. Il voue aussi une haine profonde pour une énorme entreprise qui se nomme E Corp (mais qu'Elliot nomme, de manière constante, Evil Corp) et qui est aussi le plus gros client de son entreprise, AllSafe.

Tout change pour lui le jour où il se fait contacter par un homme au look du trentenaire paumé (joué par Christian Slater) que l’on surnomme Mr. Robot et qui est un véritable révolutionnaire dans l’âme. Il propose en effet à Elliot de rejoindre son groupe de hackers, Fsociety, dans le but de les aider à faire sombrer le système financier mondial et, plus spécifiquement, celui d’E Corp qui est une entreprise omniprésente dans le monde entier... Vous la sentez venir la situation bordélique là ?

La bonne surprise de l'été

Autant vous le dire tout de suite, la série a été pour moi une bonne grosse claque. Je n’en attendais pas grand-chose mais j’étais assez curieux de voir comment une chaîne comme USA Network allez réussir à traiter de manière intéressante la thématique de l’informatique, des réseaux sociaux et du piratage. Le résultat est tout bonnement stupéfiant, ce qui s'explique pour plusieurs raisons.

La première est que la série s’insère parfaitement dans notre société actuelle. Ne serait-ce que par l’existence d’E Corp qui s’impose comme une énorme multinationale dans la série à l’instar de notre Google réel. L’omniprésence des smartphones, des réseaux sociaux ou encore des ordinateurs, nous plonge dans un univers hyper réaliste qui fait que l’on se sent tout de suite pris dans l’action. L’intérêt de la série est de nous faire poser des question sur notre existence réelle et sur notre utilisation de l’informatique, souvent excessive.

La thématique du hackage est parfaite pour cela, puisqu’elle nous montre que rien n’est acquis et que nous devons sans cesse nous remettre en cause. La série a donc une ambition : celle de coller le plus possible au réel afin de développer gentiment son histoire, ce qui peut expliquer son énorme buzz. Ce réalisme va très loin, puisque le season finale a été repoussé d’une semaine à cause du meurtre de deux journalistes américains en direct à la télévision en juin dernier. Il se trouve que l’épisode contient une scène violente similaire … Bref, maintenant que le décor est planté, passons à l’analyse !

Tell me how the world works”

Les qualités de la série sont nombreuses et l’une des plus importantes est sans doute sa réalisation, qui est à total contre-courant des codes classiques. Cela se voit notamment au niveau de l’échelle de plans et du cadrage. En effet, nombreux sont les plans où l’on observe les personnages dans une structure de plan peu habituelle, c’est-à-dire que le plus souvent, ils sont présentés avec du vide autour d’eux, laissant ainsi une grande place au décor. Ils ne sont plus au centre du cadre mais bien souvent excentrés sur les côtés, laissant alors une place prédominante au décor qui les entourent.

Mis à part quelques plans parfaitement symétriques, ils sont dans l’ensemble « brisés » et restent fixes, avec peu de mouvement notamment lors des dialogues. La caméra ne se déplace que très rarement et ce sont les personnages qui peuvent avancer et reculer, sans que la caméra ne bouge, donnant lieu à des bons gros plans à l’esthétique hyper léchée. La photographie reste dans cette dynamique avec des couleurs légèrement accentués en extérieur, principalement la lumière du soleil qui devient assez opaque, donnant à l’environnement de New York un cachet, une ambiance particulière.

Pour ce qui est des scènes intérieures, c’est très variable mais on a souvent une faible luminosité qui est renforcée par des couleurs chaudes. La plupart de l’intrigue se déroule donc dans des lieux clos, où la lumière est présente mais souvent de manière assez diffuse et émanant d’objets spécifiques. Par exemple, les scènes de l’appartement d’Elliot sont souvent dans l’obscurité et seuls les écrans d’ordinateur, ainsi que les stores entre-ouverts, permettent un éclairage du lieu. Au final, la réalisation dans son ensemble et plus spécifiquement la mise en scène nous mets dans une ambiance particulière, alternant entre vaste décors urbains et lieux étroits, perturbant au départ le spectateur mais devenant assez vite addictif.

I wanted to save the world“

L’autre point que je souhaiterais aborder maintenant est celui des personnages. J’ai pu lire ici ou là que certains les trouvaient clichés et pas franchement fin dans leurs écriture. Je ne suis pas tellement d’accord avec ce point de vue. Pour moi, il y a une véritable réflexion dans la construction des personnages qui se résume en deux points : d’une part dans leurs objectifs et de l’autre dans leurs répliques. Cela peut paraître inné, mais dans mon idée, un personnage de fiction doit avoir un objectif, un idéal à suivre, quelque chose qui va le pousser tout au long de la série à suivre son caractère et parfois, à se dépasser lui-même, amenant avec ceci son lot de péripéties.

On retrouve ce schéma dans Mr Robot puisque les personnages ont tous un objectif prédéfini : pour Elliot, il s’agit de vivre normalement et d'arrêter de souffrir à cause du monde qui l’entoure. Comment y arrive-t-il ? En prenant de la drogue. Autre exemple, Tyrell Wellick, protagoniste essentiel de la série puisqu’il va agir en parallèle des actions d’Elliot dans un véritable jeu de miroir très bien servi par le scénario. Tyrell est un jeune cadre dynamique d’E Corp, qui a su très vite gravir les échelons de la société. Après les événements décrits dans le pilote, Tyrell devient le candidat numéro deux pour accéder au poste de CTO, comprenez « Chief Technology Officer ». Il va donc tout faire pour obtenir ce poste … Ce personnage représente la description qu’avait pu faire Machiavel dans son livre Le Prince, soit un individu qui va décider de déployer tous les moyens qui lui sont fournis, même les plus amoraux, pour arriver à son but. J’adore ce genre de personnage et je trouve que celui-ci est particulièrement bien écrit avec une véritable évolution tout au long de la saison.

Le deuxième aspect important dans l’écriture des personnages réside pour moi dans les dialogues. Je trouve que toutes les répliques sont utiles et ne sont pas dénuées de sens, au contraire. Chaque personnage arrive à évoquer son point de vue sur le monde, le plus souvent à coup de métaphores et de punchlines. Cela peut paraître anecdotique et cliché à certains moments, mais je trouve que cela colle plutôt bien à l’esprit de la série qui a un contexte politique assez puissant. Les dialogues deviennent donc vraiment incroyables à écouter, mais je peux comprendre le fait que cela puisse en déranger certains, et qu’ils puissent les trouver pompeux voire même carrément inutiles.

Real? You wanna talk about reality? We live in a kingdom of bullshit!”

Enfin, le scénario. Alors là, je pense que c’est l’un des arguments les plus discutés à propos de cette série. Le problème est que je ne peux pas trop en parler sans risquer de spoiler, ce qui ne serait pas très sympatoche de ma part. Pour être le plus précis possible, il vous faut savoir que la série prend son temps sur les premiers épisodes, je dirais jusqu’au quatrième, mais encore une fois c’est très variable selon le ressenti des gens. Ce qui est sûr, c’est que tout s’emballe réellement aux alentours de l’épisode 7, avec un grand nombre de scènes qui mettent en péril le statut quo des personnages n’hésitant pas à changer celui de certains d’entre eux.

La série prend véritablement un nouveau départ vers le milieu de saison en nous mettant le doute sur la véracité de ce que l’on nous montre et j’avoue que c’est pas mal perturbant, mais que c’est aussi incroyablement couillu. En effet, je ne pèse pas mes mots en disant que la série change du tout au tout en à peine quelques minutes. Le problème, c’est que pour certains, ces différents retournements de situations étaient prévisibles. Ils le sont si l’on connaît les références filmiques qui utilisent ce même schéma scénaristique, donc je ne vais pas vous gâcher le plaisir en vous les citant.

C’est justement le fait que la série reprenne une structure scénaristique comparable à certains films qui est un véritable tour de force : on réussit donc à maintenir le spectateur dans une espèce de bulle de confiance que l’on fait allègrement exploser juste avant la conclusion pour le laisser sur sa faim. S’il y a une chose à savoir, c’est que rien n’est acquis. D’ailleurs pas besoin de préciser que la fin de saison est juste époustouflante et que la dernière scène m’a laissé sur le cul, mais surtout avec plein de questions …

Unfortunately, we’re all human. Except me, of course.”

Il me reste encore d'autres aspects, tout aussi important, de la série à étudier. Dans un premier temps, la musique. Composée par Mac Quayle, à qui l’on doit notamment les bandes originales de American Crime Story et de Scream Queens. Dans ce cas précis, celle-ci a pour but de créer une ambiance sombre et prenante. Résultat, la musique est juste sublime, puisqu’elle se base sur un mélange de son électronique pur, notamment avec beaucoup de synthés, pour les scènes de tension et de dialogue, ainsi que de musique plus contemporaine qui sont souvent connues et qui sont utilisées pour créer de très bonnes ruptures de tons entre l’image et le son. L’ensemble permet de créer une véritable cohérence pour la série puisque l’ambiance devient vraiment pesante, toujours dans le souci de perturber le spectateur.

Sinon, un élément tout aussi essentiel que les personnages en eux-mêmes : les acteurs. Bon, à ce niveau-là, pas besoin de me répéter, leur jeu est excellent. Sami Malleck est juste bluffant dans le rôle d’un torturé, et son faciès, avec ses yeux globuleux et son crâne proéminent, donne au personnage d’Elliot une véritable aura qui peut varier entre le franchement classe et le glauque par certains moments. Martin Wallström qui joue Wellick est lui aussi excellent et interprète sublimement l’archétype de l’homme d’affaires manichéen.

Quant à Christian Slater qui incarne Mr Robot, son jeu est lui aussi impeccable et on sent que ce rôle lui permets de revenir sur le devant de la scène après plusieurs années de traversée du désert dans le milieu cinématographique en général. Mention spécial aussi au cast féminin, comme Carly Chaikin ou encore Portia Doubleday, qui sont aussi des personnages extrêmement forts, avec pour chacune, un rôle essentiel dans la construction du récit.

Pour conclure, Mr Robot est une série qui mérite toute l’attention du monde car il suffit de se laisser porter pour pouvoir y trouver son compte. Avec une réalisation très esthétique et sublimement mise en scène, des personnages forts qui sauront vous réserver des surprises et enfin un scénario, pas spécialement original et qui peut être lent mais qui nous plonge directement dans la psychologie des personnages et dans un monde qui ressemble étrangement au notre. Mr Robot reste pour moi la série de 2015 à voir et celle de 2016 à attendre.