Un peu de poésie japonaise : du Tanka au Haïku

Poèmes courts mais non moins fascinants, le tanka et le haïku sont les plus répandus au Japon, le haïku étant plus connu hors de ses frontières.

La poésie française a des codes bien précis dans sa rédaction. Si les sujets sont très libres et se fondent sur tout et n'importe quoi, on peut faire une ode aux cornichons si ça nous chante, il n'en est pas moins important d'en respecter les règles. En effet, nous devons prendre garde au nombre de pieds, quatrains, alexandrins etc., et à la forme que nous voulons donner à notre poème  : sonnet, ode ou encore poème libre. Nous pouvons également jouer sur les sons, comme les sifflantes ou les fricatives pour appuyer notre poème et son thème. Mais le plus important et ce qui nous fait de suite réaliser que nous lisons un poème, est qu'il est écrit en rimes. Ce n'est bien sûr là qu'un rapide résumé de l'art poétique français, mais cela va, vous verrez, mettre en relief ce qui va suivre.

Les Japonais sont un peuple qui adore faire un art raffiné de tas de choses qui pourraient nous paraître simples, voire basiques  : le thé, l'arrangement floral, le pliage du papier et tant d'autres choses. Bah oui, fastoche de remuer de l'eau, de planter des fleurs sur une pique ou de plier une feuille, me direz-vous. Que nenni, tout est affaire de codes, de règles et de techniques. Il en est de même pour la poésie. Leurs textes ont des formes courtes qui pourraient passer pour simplistes au premier abord, tant elles semblent concises. Mais il n'en est rien, c'est tout un art, c'est moi qui vous le dis.

Le Tanka, un chant poétique

Le tanka, littéralement chant court, est créé à l'époque Heian (794 – 1185), une des 14 principales périodes historiques du Japon où l'art et la littérature se sont beaucoup développés. On l'appelle ainsi en opposition à une autre forme poétique, le chôka, littéralement chant long, qui disparaîtra dès le 10ème siècle.

Le tanka est une forme poétique composée de 31 syllabes en forme 5 - 7 - 5 - 7 - 7  dont voici un exemple :

Ignorant la Voie

Insouciants de l'avenir

Méprisant la gloire,

Seuls ici s'aimant d'amour

Toi et moi nos deux regards (Cheveux Emmêlés de Yosano Akiko, collection Japon, trad. C. Dodane)

Considérée comme la forme la plus raffinée de la poésie japonaise, elle ne possède pas de rimes, mais l'alternance des nombres de syllabes est faite pour sonner agréablement à l'oreille japonaise. C'était un exercice de cour réservé aux nobles qui s'en servaient pour s'envoyer des lettres, des billets doux, accompagner un cadeau etc., en gros, c'était pour tout et n'importe quoi. Il semblerait qu'en composer alors qu'on n'était pas membre de la cour valait la mort. Si ce n'est pas de l'élitisme, ça...

La règle veut qu'en général, on aborde un sujet souvent en rapport avec la nature dans les trois premières lignes pour ensuite le renforcer avec les deux dernières, plus axées sur les émotions. Le tanka avait pour thème des sentiments et choses nobles  : amour, vie, mort, oui la mort est noble chez les Japonais, etc. On y retrouve beaucoup d'éléments de la nature comme les arbres, l'eau, les saisons... Il ne fallait pas de mots d'origine chinoise, pas de ponctuation, ce qui est quasi impossible quand on le traduit en français. Il ne faut pas de mots étrangers, ni de katakana (syllabaire servant en général à retranscrire lesdits mots étrangers). En outre, il faut utiliser un langage soutenu et non parlé.

C'est un exercice qui se lisait à l'origine en le chantant. À présent, la lecture peut se faire de façon normale, car scander un tanka est un exercice très difficile. En effet, il faut savoir le lire parfaitement bien sans hésiter, sans tremblement dans la voix, avec le bon rythme entre autres. Si vous voulez vous pencher sur les tankas anciens, voyez la traduction du Man Yôshû par René Sieffert par exemple, il recèle pas moins de 4000 tankas écrits par les plus éminents poètes du 8ème siècle. Si vous voulez des tankas un peu plus modernes, mais non moins brillants, sachez qu'un auteur féminin, Akiko Yosano, en a écrit un recueil en 1901 Midaregami, Cheveux emmêlés, (collection Japon, trad. C. Dodane). Ce recueil est plutôt dans la sensualité et l'amour, j'aime beaucoup ses vers dont voici un exemple  :

Court est le printemps,

Qu'y a-t-il dans la vie

Qui soit immortel  ?

Et j'autorisai sa main

Sur la rondeur de mes seins

Les karuta, ou faire mumuse avec les tanka

Il existe un jeu comprenant 100 tankas célèbres. Il s'agit des Karuta, mot issu du vocabulaire portugais signifiant tout bêtement cartes. Si cela est un jeu que l'on peut pratiquer pour le nouvel an, il peut aussi être joué à un niveau professionnel. En effet, des compétitions sont organisées pour définir qui est le meilleur joueur de karuta. Les deux joueurs mélangent les 100 cartes et en prennent chacun 25 qu'ils disposent devant eux. Ils ont alors 15 minutes pour tout mémoriser. Le but du jeu est de parvenir à ne plus avoir aucune des 25 cartes qui se trouvent devant soi.

Il faut donc s'emparer le plus rapidement possible de celle qui correspond à la suite du tanka scandé par la personne chargée d'en lire le début. On peut même tenter un jeu offensif en prenant dans les cartes de l'adversaire pour lui refourguer ensuite les siennes, faisant ainsi diminuer son tas. Tout un programme, n'est-ce pas  ? Il faut savoir que pour cet exercice, il faut connaître par cœur les 100 tankas du jeu. Pour résumer, c'est une sorte de jeu de memory grandement amélioré et bien plus compliqué.

Un manga de Yuki Suetsugu parlant du monde des karuta existe d'ailleurs  : il se nomme Chihayafuru et comporte 27 tomes. Il raconte les aventures de Chihaya, une jeune fille qui y a été initiée par un ami d'enfance et qui monte un club au lycée. Il est traduit par les éditions Pika depuis 2013. Un anime composé de deux saisons de 25 épisodes, produit par Madhouse existe également. Alors si vous voulez vous imprégner de ce jeu et vous plonger plus en profondeur dans ses règles et styles, pourquoi pas ne pas lire le manga. Sachez qu'il a permis de faire connaître hors frontières le monde des karuta et qu'il a ainsi fait de nombreux émules à l'étranger.

Du tanka au haïku, ou comment faire du neuf avec du vieux.

Sur la base du tanka, il existe un exercice à faire en commun appelé le haïkaï renga (littéralement enchaînement de vers comiques) ou renku (littéralement enchaînement de vers) qui est une écriture faite à plusieurs mains. C'était à l'origine plutôt dans le registre du comique, de la légèreté, voire de la vulgarité, mais qui est devenu un exercice littéraire à part entière quand des poètes renommés ont commencé à s'y intéresser.

Un poète commence avec un poème en 5 - 7 - 5 et un autre répond en 7-7. Ensuite, un autre répond par un enchaînement en 5-7-5 et ainsi de suite, formant une chaîne d'environ 36 parties qui sont à la fois liées et indépendantes. Si l'on a un temps de réflexion, il n'est pas non plus illimité, il faut donc avoir de la réactivité car c'est de l'improvisation. L'exercice est loin d'être aisé car il faut s'y adonner avec subtilité, connaissance et doigté. C'est la pratique de cet art qui a permis au haïku de pointer le bout de ses syllabes.

C'est au 17ème siècle que le poète Matsuo Bashô, alors maître en tanka, se prend d'intérêt pour la forme en 5-7-5 du haïkaï renga et en fait un exercice à part entière. Il est reconnu comme le maître en la matière, bien évidemment. Le nom de haïku a été, quant à lui, créé par un autre poète  : Masaoka Shiki, au 19ème siècle, car on l'appelait auparavant le hokku ou haïkaï, d'après le haïkaï renga, bien sûr. Le haïku va vite trouver des émules car il permet plus de libertés grâce à sa forme moins complexe et moins rigide que le tanka.

Le Haïku, exercice court, mais difficile

Écrire un haïku n'est pas un exercice simple et n'imaginez pas que l'on peut l'expédier en deux temps trois mouvements. Il ne suffit pas d'aligner ses idées comme ça en fonction de l'inspiration du moment. S'il est très court, il n'en est pas moins difficile d'en rédiger un. Comme je l'ai dit plus haut, il faut une forme en 5-7-5, mais ce n'est pas tout. Le haïku sert à exprimer une émotion fugace, l'instant présent et non une idée. Donc oublions les vers militants, ils n'ont pas leur place ici. Nous nous appuyons sur nos sens.

Pour commencer, il faut ce qu'on appelle un kigo, mot de saison, qui aidera à situer la période du poème. Les noms des saisons ainsi que des mois font d'excellents kigo, bien sûr, mais il y en a bien d'autres. Par exemple, les fleurs de cerisier, les grenouilles évoquent le printemps. Pour l'été, ce seront les glycines, la saison des pluies... Pour l'automne, la lune, les épouvantails... Et en hiver, nous aurons la neige, les feuilles mortes…

Il faut également ce qu'on appelle une césure qui est là pour appuyer, renforcer l'émotion. Elle se mettra en première ou deuxième ligne afin de créer une coupure entre les deux idées, liées sans l'être, oui, oui, je sais, c'est complexe. Cela donne une énergie au poème, permettant de décrire une sensation, une émotion, un mouvement, généralement dans la dernière ligne du haïku. Le problème est qu'il est très souvent difficile de traduire ces mots-là. En français, on aura tendance à utiliser de signes de ponctuation. Je vous renvoie vers les traductions des recueils de Matsuo Bashô par exemple pour vous faire une idée plus précise de ce que sont vraiment les haïkus dont voici l'exemple le plus connu  :

Un vieil étang

Une grenouille plonge

Le bruit de l'eau

(BASHÔCent onze haïku, trad.Joan Titus-Carmel, éd. Verdier)

Dans ce doux printemps, je vous conte haïkus, tankas. Quel Casse-tête  ! Notez, ma «  superbe  » performance  ! Il n'est pas simple de résumer des notions aussi complexes et codifiées que ces deux formes poétiques. J'espère cependant que mes explications vous donneront l'envie et la curiosité de pousser plus loin en vous plongeant dans ces poèmes à la fois simples par leur forme et complexes dans leur raffinement.