Murdoch, enquêtes à l’ancienne

Prenez vos loupes, vos monocles, un air guindé, un langage châtié et suivez-moi pour entrer dans le monde de la criminologie d’autrefois.

Il n’est pas toujours facile de résoudre des énigmes lorsqu’on vit à la fin du XIXe siècle et que la technologie commence à pointer le bout de son nez mais qu’elle n’est pas encore au top de sa forme. Cependant, si l’on est débrouillard avec un tant soi peu de connaissances scientifiques, on peut devenir un super policier. C’est le cas de Murdoch, inspecteur à la Maréchaussée de Toronto, au Canada. Homme plutôt distingué, catholique et inventeur à ses heures, il est un policier de talent qui fait face aux malfrats, terroristes et autres tueurs en série de Toronto.

Le flegme canadien débarque à l’écran

Beaucoup de séries policières ont vu le jour après les Experts, qui se déclinent en plein de branches annexes et qui, franchement, commencent à me lasser et à m’ennuyer car, même si on change de lieu, c’est toujours la même chose au final. Cette mode des spin-off avec de nouveaux personnages mais une recette identique devient plutôt lassante à mon goût.

C’est donc avec plaisir qu’on découvre des façons d’aborder le thème qui changent un peu et apportent leur petite touche originale dans ce monde de copier-coller. C’est le cas, à mon avis, de la série Les Enquêtes de Murdoch, qui se situe dans une période de l’Histoire qui nous change un peu de la super technologie et qui se passe ailleurs qu’aux USA. Elle nous propose de découvrir comment les policiers se débrouillent dans le passé sans les analyses ADN de pointe ou autres microscopes ultra performants.

C’est le 14 juin 2009 que France 3 a commencé la diffusion de la série canadienne, qui surprend un peu par son choix d’époque, car elle se passe à la fin du XIXe siècle. Technologies d’un autre temps, personnages en tenues d’époque avec une autre façon de se mouvoir et de s’exprimer s’affichent alors sur nos écrans. Et le succès est là, car la série compte à ce jour 10 saisons et chaque dimanche soir elle réussit à empocher entre 12 et 15% d’audience face aux autres chaînes plus côtées. Et il faut dire que c’est un très bon chiffre. Mais pourquoi cette série a-t-elle autant de succès ?

Une série qui détonne dans le paysage audiovisuel

À l’époque où Murdoch a fait son apparition sur les petits écrans, on voyait peu d’histoires qui se déroulaient dans le passé. On était en effet beaucoup plus ancré dans la modernité avec les séries où les enquêtes et la médecine étaient en vogue avec par exemple les Experts, dont j’ai parlé plus haut, ou encore Grey’s Anatomy. La Science-Fiction était aussi en vogue avec des séries comme Eureka, Fringe ou encore Torchwood.

Alors c’était un pari bien risqué que de placer l’intrigue dans le passé. Mais c’est peut-être ça qui a apporté le petit plus qui a fait son succès. Au lieu de reprendre un modèle qui avait fait ses preuves, les créateurs se sont lancés dans l’inconnu. Ils nous font suivre des enquêtes atypiques, et parfois à la limite de la science fiction, dans un monde qui nous est finalement très étranger, car très éloigné de notre quotidien. On y voit cet Inspecteur se débrouiller avec ses indices et ramer quelque peu pour prouver qui est le coupable tout en faisant preuve d’inventivité et d’observation. Il est tout en un : profiler, enquêteur, scientifique.

Des personnages sympathiques

Une partie du succès de la série repose évidemment sur ses personnages. On ne peut s’empêcher de s’attacher à Murdoch (Yannick Bisson), malgré son attitude coincée et rigide. Il est humain et sait parfois, pour la bonne cause, passer outre ses principes de policier. Il a un humour un peu pince sans rire très british (alors qu’il est canadien, certes) et par dessus tout est tolérant et ouvert à la nouveauté.

L’Agent Crabtree (Johnny Harris) est au début le jeune policier un peu naïf  et crédule qui se laisse aller à des suppositions très fantaisistes. Féru d’extraterrestres, momies, fantômes ou autres, il élabore souvent des théories fumeuses quand un cas semble impossible à élucider. Le personnage va peu à peu évoluer pour atteindre une certaine maturité.

L'Inspecteur Thomas Brackenried (Thomas Craig) est un homme qui peut paraître fruste et opportuniste au premier abord. Mais quand on creuse un peu, on découvre un homme fidèle et droit qui soutient toujours Murdoch, quoiqu’il arrive. Son accent des rues ainsi que ses manières le rendent d’autant plus sympathique que c’est un homme qui a dû trimer dur pour arriver là où il en est. Il a toujours le bon mot et apporte beaucoup de fraîcheur à l’ensemble.

Le Docteur Ogden (Hélène Joy) est une femme libérée qui possède de grandes compétences cliniques et est le médecin légiste du Poste de Police n°4. Avide de connaissances, elle se penche sur toutes les nouvelles idées qui font avancer la société ou la science. Tout au long de la série, elle illustre le combat qu’ont mené les femmes de l’époque pour obtenir le droit de vote par exemple. Elle a cependant une chose qui lui facilite la vie et l’aide à rester constante dans ses choix : elle est fortunée.

Des situations qui nous paraissent hallucinantes (et drôles ?)

Retourner environ 100 ans en arrière montre à quel point la technologie en était encore à ses balbutiements et on se croirait sur une autre planète. Les avions n’étaient encore qu’une idée folle et les voitures commencent à peine à entrer dans le quotidien, atteignant la vitesse hallucinante de 20 km/heure. Imaginez les superbes courses poursuites où les protagonistes vont à la vitesse inpensable de 30km/heure, donnant un effet comique des plus hilarants pour les spectateurs tant habitués à rouler à plus de 100km/heure. Je crois que j’ai assisté à la scène la plus jouissive de ma vie dans cette série.

Quoi de plus étonnant que de voir notre héros se déplacer en bicyclette (non, parce que le mot “vélo” fait trop déplacé pour l’époque) au lieu de le voir sortir d’une voiture flambant neuve et autrement plus classe. Mais cela ajoute au charme désuet du personnage je trouve.

En outre, quelques petites entorses à la réalité historique, traitées comme des découvertes avortées, donnent la possibilité à Murdoch d’expérimenter des objets hallucinants pour lui, à son grand bonheur. Il vole, il met une tenue d’astronaute ou monte dans une automobile qui va plus vite que toutes celles de son époque.

Des invités célèbres

Au fil des aventures de notre Inspecteur, nous pourrons rencontrer certains personnages ayant compté dans l’Histoire du Nouveau Continent ou bien dans certains domaines scientifiques ou culturels.  Ainsi le héros côtoie-t-il Nicolas Tesla (son idole, le papa du courant alternatif), Mark Twain (Tom Sawyer) ou encore Thomas Edison (l’inventeur du phonographe, par exemple). Mais apparaissent aussi des personnages de fiction comme Sherlock Holmes. Après tout, dans un programme où on flirte avec le fantastique, tout peut se passer.

Ces personnages sont tour à tour assistants, suspects ou les deux en même temps. Certes, certains passent inaperçus à nos yeux de Français car nous ne connaissons pas toute la culture outre-Atlantique. Alors, c’est quand on sent qu’un des acteurs insiste particulièrement sur un nom qu’il devient utile de faire des recherches pour savoir qui est le fameux personnage. Mais, pour ceux qui, comme moi, aiment bien farfouiller, savoir et comprendre, cela devient un jeu plutôt amusant.

Un fond de lutte féministe

Bon, oui, je sais il se passe rarement un article où je n’évoque pas la condition féminine. Mais est-ce ma faute à moi si c’est un sujet qui me parle de par ma condition de femme ? Il est intéressant de voir quelles étaient les conditions de vie de nos semblables il y a encore une centaine d’années. Imaginez un peu, les femmes sont forcées de porter un corset, interdites de vote, ou regardées d’un mauvais oeil si elles occupent un poste à responsabilités.

Le docteur Ogden, est une féministe convaincue qui se bat pour que l’on accorde le droit de vote aux femmes. Comme je l’évoquais plus haut, elle est indépendante, grande gueule; mais de façon distinguée; et bien décidée à se mettre sur un pied d’égalité avec les hommes. Elle est de toutes les manifestations pour le droit des femmes et va même jusqu’à tenter de se présenter à un poste à responsabilités. Plus tard, une autre féministe médecin légiste, le Dr Grace, prendra sa place et apportera une touche plus fantaisiste et rebelle encore.

Un ensemble qui fait mouche

Toutes ces petites choses évoquées bout à bout font que cette série donne envie de se mettre devant la télé le dimanche soir pour frissonner et cogiter en la compagnie de notre Canadien préféré et de son équipe. Cet univers suranné offre un voyage dans le passé bien agréable et donne envie de se propulser avec eux dans ce Canada du XIXe siècle pour suivre leurs affaires.

Les enquêtes sont bien menées, les images belles, les musiques sympathiques. On sourit face à la naïveté de Crabtree. On rigole face au parler très imagé de Brackenried. Et grâce à Murdoch, il nous prend l’envie de s’essayer au système D pour débusquer indices et preuves.

Au final, cette série n’est peut-être pas pleine d’objets ultra modernes ou de stratégies complètement alambiquées, mais elle sait nous surprendre avec son aspect vieille école et ses images aux tons sépia. Regardez-la et vous passerez sans aucun doute un excellent moment.