Les Shadoks, l’absurde à l’honneur

Si vous vouliez partir sur une planète plus accueillante que la vôtre, que feriez-vous ? Réfléchissez bien car tout avantage a ses inconvénients et réciproquement.

Il faut savoir parler de certaines choses quand elles sont cultes. D’autant plus s’ils font partie des rares bons dessins animés venus de notre chère patrie. J’ai donc décidé de vous parler d’oiseaux, de migration et de réflection illogique.

"Le plus long chemin d'un point à un autre est la ligne droite"

C’est avec étonnement et perplexité que les Français ont vu débarquer sur leurs écrans Les Shadoks, un dessin animé français créé par Jacques Rouxel, un publicitaire qui s’est tourné vers la production audiovisuelle. La série est diffusée pour la première fois en avril 1968 sur la deuxième chaîne de l’ORTF, l’Office de Radiodiffusion-Télévision Française.

D’un format très court, chaque épisode de cet OVNI ne dure qu’entre deux et trois minutes environ. La série est commentée par l’acteur Claude Piéplu (Le Diable par la Queue, Les aventures de Rabbi Jacob) dont la voix atypique nous conte l’histoire des peuples Shadok et Gibi qui en eurent assez au bout d'un certain temps de vivre sur des planètes qui ne marchaient pas très bien. Alors ils décidèrent d'aller sur la Terre qui avait l'air de mieux marcher. Et commence une course à la conquête de la Planète Bleue, au moyen de systèmes plus; dans le cas des Gibis; ou moins; dans le cas des Shadoks; efficaces.

"Si ça fait mal, c’est que ça fait du bien"

Lors de leur première diffusion, on peut dire que les Shadoks ont divisé la France en deux avec leur absurdité. En effet, certains crièrent au génie, d’autres au scandale, leurs détracteurs voyant là une insulte à leur intelligence. En outre, en pleine instabilité politique, avec la “révolte” qui grondait - je rappelle qu’on est en avril 68 - on voyait ce dessin animé anti-conformiste et bourré de non sens (totalement voulu et basé sur l’humour à l’anglaise) comme une pure provocation. C’est l’épouse de Charles de Gaulle, alors encore président de la république, qui trancha en faveur de ces oiseaux stupides car ses petits-enfants les adoraient.

Mais lorsque les troubles de mai 68 commencèrent avec la révolte des étudiants parisiens, Jacques Rouxel jugea plus sage d’en arrêter la diffusion afin de ne pas échauffer plus les esprits. Bien lui en aura pris, car cette pause lui donna la possibilité de prendre de l’avance dans la réalisation de ses épisodes et d’ainsi ne pas se retrouver par la suite à sec par manque de temps. La série reprendra ensuite en septembre de la même année.

On n’est jamais aussi bien battu que par soi-même

Au tout début de la série, nous sommes sur du dessin très très simple : des oiseaux rondouillards avec deux pattes en bâtons et des espèces de saucisses sur pattes; je n’arrive pas à trouver une meilleure description; affublés d’un chapeau melon. Leurs planètes sont aussi basiques que l’aspect de leurs habitants : un simple trait qui penche de droite ou de gauche en fonction de la répartition du poids de ses habitants pour les Gibis, une planète informe et changeante pour les Shadoks, qui vivent à la fois en haut et en bas, ce qui fait qu’il y en a qui ont les pieds en bas, et d’autres qui les ont en haut… Le tout dans un pur dessin en 2D.

Pourquoi un dessin aussi basique ? Tout simplement parce que pour la première saison, le dessin animé avait été créé sur le prototype d’une machine appelée l’animographe, développée par l’ORTF. Elle visait à créer des dessins animés rapidement, facilement et à moindre coût, car ils pouvaient animer 1 à 8 dessins par seconde contre 24 pour un support classique. L’inconvénient était que la surface de dessin ne faisait que 5 x 7 cm, donc les détails n’avaient pas leur place ici. Alors, les dessins très simples de Jacques Rouxel étaient donc parfaits pour ce support et c’est ainsi que l’aventure Shadok commença.

"La plus grande maladie du cerveau c’est réfléchir"

Ces bestioles qui ressemblent à des échassiers disproportionnés sont des personnages méchants et très très bêtes. Notez que leur langage n’est composé que de quatre syllabes : Ga, Bu, Zo, et Meu. D’où le nom de leur langage : le Gabuzomeu. Imaginez le pensum pour se comprendre quand presque tout a le même nom. En outre, ils n’ont que quatre cases dans le cerveau, ne pouvant donc apprendre que quatre choses. Pour illustrer le problème que constitue leur apprentissage et par là la raison plus que probable de leur bêtise pathologique, leurs quatre cases, une fois utilisées, ne peuvent être remplies plus. À moins de voir une connaissance déjà acquise s’effacer. En gros, s’ils ont appris des mots et acquis la fonction de marcher et qu’ils veulent apprendre à faire des tartes, eh bien, ils ne sauront plus marcher ou ils oublieront un mot !

Ils passent leur temps à élaborer des théories complètement capillotractées qui ne mènent à rien, juste parce que leur logique leur dicte que c’est la meilleure chose à faire. Ils sont les adeptes du système D, mais je dirais plutôt que le “D” ici veut dire Déglingo. Rien ne fonctionne, ça ne ressemble à rien mais alors rien du tout. C’est à se demander comment ils ont fait pour survivre sur leur planète bizarre… Donc, les Shadoks ont une conception assez spéciale de la science ainsi que de tout ce qui les entoure. Ils sont benêts et débiles, voire même complètement neuneu. Je sais, je me répète mais je veux bien vous montrer à quel point ils n’ont rien dans le ciboulot. Donc, quand nos amis à plumes vont décider d’aller sur Terre, ils vont se mettre à élaborer des solutions toutes plus bancales les unes que les autres. De plus ils ont une théorie selon laquelle en essayant continuellement, on finit par réussir. Donc : plus ça rate, plus on a de chances que ça marche. Quand je vous ai dit qu’ils étaient vraiment abrutis.

"Tout ce qui va arriver peut et doit être prévu"

Les Gibis ressemblent donc à des saucisses montées sur 4 pattes et dotées de chapeaux melon. Leur nom est tiré de la Grande Bretagne (Gibi, GB, Grande Bretagne, vous suivez ?) et représentent l’organisation, l’intelligence, la gentillesse et la logique. Tout le contraire des Shadoks, quoi.

Le secret de l’intelligence de ces charmantes saucisses réside dans un artefact très précieux qui ne quitte jamais leur tête : leur chapeau. En effet, c’est lui qui leur permet de réfléchir et de mettre en commun leurs idées afin de créer et inventer des technologies toujours à la pointe. Si un Gibi perd son chapeau, c’est fini, il perd toute son intelligence et la boule.

Ces personnages sympathiques sont tellement le contraire des Shadoks qu’ils vont établir directement un projet qui tient la route pour remplir leur mission qui est de rejoindre la si convoitée planète Terre. Une fusée serait construite et le combustible, le Cosmogol 999, extrait de l’atmosphère. Pas bête hein ? Et comme les Shadoks n’ont rien trouvé pour alimenter leur fusée à eux, ils vont se mettre en tête de pomper l’idée. Et quand je dis “pomper” il faut le voir au sens littéral, vu qu’ils vont créer une pompe qui permettra soit-disant de s’approprier le carburant… (Ai-je dit que ces oiseaux sont des fétichistes de la pompe ?)

"C’est en forgeant qu’on devient musicien"

Quand la première saison s’achève, Jacques Rouxel se retrouve avec des fans en manque qui réclament une suite. Il va donc rempiler pour trois saisons qui, avec la première vont comptabiliser 208 épisodes. En revanche, l’animographe ne sera plus utilisé, car le prototype est malheureusement devenu inutilisable. En fin de compte, ce n’est pas un mal car les dessins se feront plus élaborés, plus colorés aussi, permettant de faire des choses plus complexes.

Nous suivrons les aventures de nos colons qui ont enfin tous gagné la Terre, occupée par un seul et unique être, l’insecte cracheur de feu Gégène, avec qui la cohabitation n’est pas toujours simple. Là bas, il n’ont pas une vie si idyllique qu’il n’y paraît. Les Gibis, parce qu’ils n’ont pas de problèmes à régler, se retrouvent à déprimer parce qu’ils n’ont pas de solutions à apporter et donc se nécrosent dans leur société supposée parfaite. Quant aux Shadoks, ils sont toujours aussi méchants et horribles et se coltinent une belle épidémie mortelle. Si ça ne vend pas du rêve, ça.

"Je pompe donc je suis"

Sous couvert d’un dessin simpliste et enfantin qui ne paie pas de mine, Rouxel traite de sujets finalement assez graves. Le ton burlesque, les expressions loufoques permettent juste de faire passer plus facilement la pilule. La série a donc deux lectures possibles : les enfants rigolent face à ces bestioles rigolotes, les adultes se questionnent sur le fond.

La mort, la course à la technologie, la société dite idéale, les passoires, tout y passe. Au travers de ces citations qui semblent pourtant niaises et complètement absurdes, je trouve qu’il y a une critique de la société assez pointue. Je vois l’image des gens qui se débattent dans des trucs complètement aberrants qui ne font au final que nous enfoncer encore plus : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Franchement ça ne vous parle pas, à vous ? Moi si, complètement. Mais le message qui me touche le plus est que les sociétés idéales n’existent pas et que celles qui sont très imparfaites ne fonctionnent pas, logique me direz-vous... Je trouve ça un peu déprimant, pas vous ?

"Les enfants de Shadocks, ça pompe, ou ça n'existe pas"

Les Shadoks ont un tel succès qu’ils vont être édités en livres illustrés. Nous les avons aussi retrouvés en BD hebdomadaires pour France soir en 1970 et pour le magazine le Globe en 1993. Comme quoi, ces petits oiseaux peu engageants ont marqué leur public.

Une série de 80 courts-métrages éducatifs, sortie en DVD, appelée Les Shadoks… autrement se fait instructive, puisque Jacques Rouxel nous fournit des explications simples sur la crise, l’entropie et j’en passe. Le tout accompagné de nos amis les Shadoks bien sûr.

Un jeu PC intitulé Les Shadoks, Le Jeu, La Promenade est même sorti en 1997, édité par Microfolie’s. Il met en scène les Shadoks qui vont de planète en planète, d’où le nom de promenade. Le genre est manifestement inclassable, comme eux, où il faudra résoudre des énigmes, passer des épreuves tout en gardant bien en tête qu’il faut agir, penser, être comme un Shadok.

Et depuis 2015, l’INA (l’Institut National de l’Audiovisuel) en collaboration avec AAA Productions (Animation Arts Graphiques Audiovisuel, la société cofondée par feu Jacques Rouxel) ont créé la chaîne Shadok Tube sur Youtube où l’on peut accéder gratuitement à certains épisodes de la série culte. En outre, on peut y trouver des archives, des interviews sur la création ainsi que des vidéos de Jean Yann où il répond à des questions de Français telles que Peut-on remplacer les Shadoks ? Ou encore Les Shadoks sont-ils des attardés mentaux ? Vous pouvez la trouver ICI. https://www.youtube.com/channel/UCkBv-ua1Kzffs6OiWslnHSg


Les Shadoks est une émission qui a marqué son époque même si, de nos jours, ils sont un peu passés aux oubliettes à cause, peut-être, du dessin très simpliste, voire même moche, on ne va pas se mentir. Il faut cependant se pencher dessus, ils pourraient vous surprendre. Et comme ils le disaient si bien : c’est tout pour aujourd’hui !