Les 3000 vies de Greg Capullo

En plus d’avoir travaillé avec les plus grands scénaristes, pour les plus prestigieuses maisons d’éditions, Greg Capullo est un type sympa.

Sale et précis à la fois, nerveux mais d’une douceur enfantine, le trait de Greg Capullo (en espagnol, « cocon » ou « crétin » si vous préférez l’argot) a marqué les 90’s. Un trait autodidacte qui se reconnaît entre mille et qui à ce titre, a marqué plus d’un lecteur de comics, y compris votre serviteur. Un trait qui le mena aux sommets d’où il siège, peinard, aujourd’hui.

Capullo & Marvel

Commençons par le commencement : Gore Shriek. Cette anthologie publiée entre 1986 et 1991 marqua les esprits par sa violence outrancière et son traitement de l’image qui influença à n’en point douter Kirkman et ses zombies de The Walking Dead. Avec les quelques épisodes auxquels il participe, son travail finit par être repéré par Marvel, et John Romita Senior. Le vieux prend le challenger sous son aile et le voilà dans la Maison Mère (ce qui en soi, est plutôt étonnant tant cette anthologie horrifique pouvait faire preuve d’une violence profondément noire et âpre...c’était une autre époque, dirions-nous) où il fait ses premières armes.

Une fois les synopsis très courts fournis, l’imagination du jeune trentenaire est mise à rude épreuve en travaillant notamment sur des épisodes de 22 pages, X-Force et Quasar entre 1991 et 1993. Un début des plus prometteurs puisque d’aucuns considèrent aujourd’hui X-Force comme l’un des titres les plus emblématiques des années 90. Même chose avec Quasar, le super-héros cosmique connu également sous le nom de Marvel Boy.

Une entrée en matière tonitruante, même si l’univers artistique de Capullo est alors quelque peu mis sous scellé par le label Marvel (un peu comme Tim Burton avec Disney en fin de compte). Mais heureusement pour nous, un certain Todd Mc Farlane, dessinateur de l’écurie Marvel lui aussi (dont il a d’ailleurs claqué la porte), et qui vient de fonder une maison d’édition nommée Image (The Darkness, Witchblade , The Walking Dead…), a lui aussi repéré la patte de Capullo.  Grand bien lui fit.
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Capullo & Mc Farlane & Spawn

Nous sommes au commencement des années 90, Bill Clinton est président des USA, les gens porte des Doc Martens en écoutant Tag Team et Mc Farlane a de grands projets dont Capullo fait largement partie. L’une des particularités d’Image (outre sa diversité et sa disruption permanente) fût de ne jamais posséder une seule des séries qu’elle publiait. Chacun des associés avait sa série. Rob Liefeld et son Youngblood. Jim Lee et son WildC.A.T.s. Todd Mc Farlane et Spawn.

C’est là qu’intervient Capullo, qui devient dessinateur attitré du plus important succès d’une maison d’édition encore jeune et pourtant en pleine ascension (Images arrive rapidement aux talons de DC Comics et Marvel, notamment grâce au succès de Spawn). À titre d’exemple, le premier épisode de Spawn se vend à 1,7 millions d’exemplaires. Boum. Outre une intrigue faustienne, un héros afro-américain (ça mérite d’être remarqué tellement c’est rare à l’époque), une bonne dose de gore, d’humour noir et une mise en scène vener’, Capullo a toujours su s’y prendre pour flatter la croupe du lecteur avec des couv’ dantesques, des double pages magistrales.

Considérée aujourd’hui comme l’une des séries les plus représentatives des années 90, Spawn revient de très loin.

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Capullo & les 90’s

Nombreux sont les fans qui, traumatisés par la médiocrité du film Spawn sorti en 1997 (contrastant d’ailleurs avec la qualité des animés), attendent impatiemment le retour du zombie à la cape rouge sur grand écran. Une attente qui risque d’ailleurs d’être bientôt récompensée.

Mais revenons-en à Capullo qui profite du succès de son duo avec Mc Farlane pour s’émanciper avec la sortie, en 1997, de sa propre série : The Creech. Il lui suffit de 3 épisodes  pour scotcher le lecteur. L’histoire (très proche de Spawn en terme de thématiques mystico-fantastiques et d’intrigue) est servie par un dessin merveilleusement violent, sale et d’une précision diabolique. Des caractéristiques qui le mèneront jusqu’à travailler à l’artwork de groupes de métal (on se souvient tous du Follow The Leader de Korn, du Ten Thousand Fists de Disturbed ou plus récemment du diptyque de Five Fingers Death Punch). Or, ne serait-ce qu’avec ces collaborations avec des groupes issus du néo-métal (genre caractéristique de la fin des années 90 et du début des années 2000), Capullo démontre une capacité à marquer son temps par son style.

L’émancipation vis à vis de Mc Farlane est telle qu’il se retire de la série de 2000 pour des raisons qui le regardent. Attaché à ses thèmes de prédilection, c’est assez naturellement qu’on le retrouve dans la nouvelle série de Mc Farlane baptisée Haunt et qui reprend plus ou moins le schéma narratif de Spawn. Le goût de réchauffé en plus. Indéniablement, le talent de Capullo est là. Il y la nervosité, la précision, le côté trash, mais la flamboyance qui a caractérisé son travail jusqu’ici semble s’être envolée en cours de route. Une platitude qui aura finalement raison de Haunt qui arrive à son terme en 2012, soit 28 épisodes après son démarrage. Fort heureusement pour nous tous, Capullo avait d’autres projets sur le feu.

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Capullo & Batman

17 ans après la sortie du crossover Spawn-Batman en 1994 chez Images, voilà que Capullo se retrouve chez DC, à la réalisation d’un nouveau Batman au côté de Scott Snyder (American Vampire, Swamp Thing, Batman…). Cinq ans durant, le duo va produire une cinquantaine d’épisodes d’une qualité remarquable relançant le chevalier noir (et l’ère 52 d’une certaine manière) tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Une collaboration audacieuse, colorée, inventive qui ne s’est pas gênée pour se réapproprier la franchise dans les grandes largeurs. On imagine facilement le duo devant un paper-board comme deux gosses avec leurs jouets :  « Tuons Batman !», « Ressuscitons Batman !», « Batman scrute Gotham ? Et pourquoi Gotham ne scruterait-elle pas Batman ? ». Sans compter quelques arcs d’une qualité esthétique et scénaristique méritant largement le détour (Joker &  Court of Owls en tête…).

Et c’est assez naturellement que la fin de cette collaboration en 2016 jette un certain froid sur la communauté des fans. La raison la plus probable étant que Capullo se soit entièrement dévoué à une nouvelle mini-série, Reborn, montée au côté d’un autre poids lourd du scénario : Mark Millar à qui l’on doit notamment Kick-Ass, The Authority ou Jupiter’s Legacy. Une mini-série très dispensable au final. Qu’à cela ne tienne, Capullo & Snyder viennent d’annoncer la reprise de leur collaboration sur un nouveau Batman intitulé… Metal. Curieux, n’est-ce pas ?

Dessinateur talentueux, touche-à-tout insatiable, la carrière de Capullo force le respect tant il a su, à l’instar de Mignola ou de Templesmith, marquer les esprits en marquant les histoires. Si pour beaucoup, sa plus grande réussite reste Spawn, son travail sur Batman restera dans les annales.