Il n’y a rien de pire que de se lancer dans une série pour la voir annulée quelques semaines plus tard. Analysons ce qu’il s’est passé l’an dernier.
A chaque saison sa fournée de nouvelles séries télévisées américaines. Le crû 2017/2018 ne déroge pas aux règles habituelles, même si l’industrie est en profonde mutation. Entre la prise de pouvoir des services de streaming comme Netflix et ses concurrents, la résistance ces chaînes du câble menées par HBO et l’arrivée de nouveaux modèles, il n’y a jamais eu autant de séries à notre disposition. La disparition progressive des séries au format classique en 24 épisodes est le symbole de cette évolution du marché.
Désormais, une chaîne/service de VOD commande une saison complète d’une nouvelle série avant sa diffusion car le nombre d’épisodes a été divisé par deux, entre 10 et 13. Si les coûts ont parfois explosé avec les effets spéciaux de plus en plus réalistes, les critères de performances d’un show sont plus variés. Résonance sur les réseaux sociaux, visionnage en replay, il ne faut plus prendre en compte seulement les audiences lors de la première diffusion sur des chaînes qui ne sont plus uniquement diffusé sur une télévision.
Battle royale des séries
Le processus voyant l’enchaînement d’un pilote, de la commande d’une saison et du renouvellement d’une série existe toujours, mais n’est plus aussi basique. Quand Netflix commande une série, elle ne va pas stopper la diffusion en plein milieu d’une saison vu qu’elle met tous les épisodes à notre disposition le même jour. Elle peut aussi commander une deuxième saison malgré des visionnages faibles pour des raisons d’image. N’étant pas journaliste et en sachant que les informations à notre disposition sont souvent parcellaires (qui décide de quoi sur quels critères ?), il est ardu de définir les règles qui permettent à une série de survivre de nos jours.
Cependant, comme chaque année vous allez vous lancer dans le visionnage de nombreuses séries avec, dans le cas des cinq grosses chaînes américaines (qui essayent toujours de proposer des séries populaires), la peur de voir son show être annulé en plein milieu de la saison. Je me suis donc amusé à analyser la saison écoulée pour ces networks qui sont encore majoritairement dépendant de l’audience qui façonne les recettes publicitaires.
45 shows sont passés dans mon viseur. 19 ont été renouvelées, 22 annulées et 4 (diffusés cet été) sont encore en attente d’une décision. Vous allez voir, on peut tirer quelques enseignements de ces chiffres. Pour information, je me base uniquement sur l’audience en 1ère diffusion comme expliqué précédemment, ce qui n’explique pas tout mais place toutes ces séries sur le même révélateur.
ABC : lisibilité pour le public
La chaîne portée par les séries déjà cultes Grey’s Anatomy et Modern Family n’a pas connu un grand cru l’an passé avec pas moins de 6 annulations pour seulement 3 séries sauvées, sans compter Somewhere Between dont le sort n’a pas encore été tranché. Keith Sutherland (acteur culte dans 24 sur la Fox à l’époque) a retrouvé le succès grâce à son rôle de Président par défaut des USA dans Designated Survivor. Les sitcoms American Housewife et Speechless ont elles aussi suffisamment convaincu pour revenir cette année. Fait intéressant, ce sont les trois seules séries dont l’audience la plus faible est situé au-dessus des 4 millions. Encore mieux, les deux sitcoms cités ont quasiment le même plus score pour l’épisode ayant connu le moins de succès, aux alentours de 4,28 millions de spectateurs.
La chaîne n’a pas tardé à passer une commande complète pour ces trois séries. Dès le deuxième épisode en l'occurrence, elle a assuré la production de 23 épisodes. En effet, pour éviter un surcoût en cas d’annulation, une fois le pilote validé, on produit une dizaine d'épisodes avant la commande d’une saison complète. La sitcom American Housewife a tout de même dû attendre l’épisode 4 obtenir sa commande complète. Les trois séries ont été renouvelée le 11 mai (en compagnie d’autres annonces de la chaîne).
Au rayon des annulations, les deux shows judiciaires Conviction et Notorious n’ont pas convaincus. Débutant respectivement à 5,17 et 5,39 millions de spectateurs (loin des 10 millions d’un Designated Survivor), elles sont passés au moment de leur annulation sous les 4 millions. La sanction a été immédiate : au 5ème épisode, ABC annonça que ces séries n’auraient pas de saison 2. Pour Notorious, la commande a même été réduite de 13 à 10 épisode pour limiter la casse. Dans le même genre, la sitcom Imaginary Mary a vu sa commande baisser avant même sa diffusion, signe d’une inquiétude. Quand à la série de science-fiction Time After Time, ABC a tout simplement stoppé sa diffusion après 5 épisodes. Chose logique vu les audiences passée sous les 2 millions….
CBS : a chaque série son traitement
La famille de NCIS et The Big Bang Theory a elle aussi lancé sur le marché 10 nouvelles séries l’an passé, pour un bilan équilibré avec autant de renouvellement que d’annulations. 3 de ses 4 sitcoms (Kevin Can Wait, Man with a plan et Superior Donuts) ont trouvé leur public, en compagnie du drama judiciaire Bull et du reboot de MacGyver. Ces séries sont portées par des stars du petits écran (venu de NCIS ou Friends) ou des concepts déjà connus.
Ce qui est notable, c’est qu’il n’y a pas de recettes miracle. Le remake/adaptation de Training Day n’a pas eu le succès de MacGyver. Toutefois, la mort d’un de ses acteurs principaux est probablement la raison de cette annulation. L’autre série judiciaire, Doubt, n’a pas fonctionné, tout comme les séries policières. Contrairement à ABC, il n’y a pas de seuil d’audience qui déclencherait d’annulation. Tout dépend du genre. Ainsi, la sitcom Superior Donuts a connu son score le plus faible avec un épisode sous les 4,84 millions. Cela ne l’a pas pénalisée, à l’inverse de la série médicale Pure Genius abandonnée (pas de commande additionnelle) au bout de seulement 4 épisodes et une audience de 5,48 millions de spectateurs.
Cela a déjà été évoqué, on ne peut plus uniquement se baser sur ces chiffres pour comprendre le sort des séries. Plus de replay, un écho plus fort sur les réseaux sociaux, tout est envisageable, tout comme le fait qu’on attend plus de certains genre que d’autres, ou que certaines séries coûtent moins cher à produire. Ce sont autant de facteurs à prendre en compte. Toujours est-il que chez CBS, si votre série n’a pas une commande ferme d’ici son 5ème épisode, c’est mauvais signe...
FOX : réponse rapide exigée
Le foyer d’Empire, New Girl et bien sûr les Simpsons a connu un sort similaire à CBS. Les adaptations de The Exorcist et L’Arme Fatale ont été reconduites, tout comme la sitcom The Mick et la série musicale Star. On parlait tout à l’heure des attentes différentes selon les genres et la situation s’y prête ici. Ainsi, la série d’horreur a navigué entre 2,85 et 1,61 millions de spectateurs par épisodes. A l’opposé, Lethal Weapon évoluait entre 7,93 et 5,93 millions. C’est une véritable science avec des objectifs précis selon les productions.
Au rayon des annulations, la chaîne n’a jamais communiqué le sort d’une série avant la fin de sa diffusion. Cela s’explique en partie par le fait que les saisons étaient presque toutes de 10 à 13 épisodes, permettant de proposer l’ensemble de la production avant d’évaluer son succès. Il n’y a que la comédie Making History (par les réalisateurs de 21 Jump Street ou La Grande Aventure Lego) qui a vu sa commande réduite en cours de saison. La Fox a tenté des choses avec le retour de 24 ou une série sur la première femme évoluant dans la ligue majeur de baseball, sans succès.
NBC : on commande puis on laisse faire
Chez NBC, on avait besoin de renouveler la grille car les franchises Law & Order et Chicago Fire se sentent un peu seul. Pour un nombre plus important de nouveautés (12), la chaîne a réussi son pari avec 6 renouvellement et seulement 4 annulations, en attendant les décisions prises pour Marlon et Midnight Texas. Pour se rassurer, NBC a voulu développer ses franchises, sans succès. La nouvelle série Chicago, nommée Chicago Justice, a été stoppée, tout comme le spin-off à The Blacklist.
NBC a aussi tenté d’avoir sa série de super-héros, mais la sitcom Powerless s’est bien planté en passant sous les 2 millions. Ce fut d’ailleurs la seul annonce d’annulation alors que la diffusion n’était pas terminée. Sort similaire pour Emerald City, nouvelle adaptation du monde d’Oz. En revanche, l’adaptation de Taken a le droit à une seconde saison, tout comme le carton de l’année, This is Us. Ses audiences sont surprenantes, avec une remontée à mi-saison pour une très belle fin. L’effet bouche à oreille ?
Enfin, je ne pouvais pas passer sous silence le cas Timeless, ma série préférée de l’an passée. Après un très bon début, NBC commande suite au cinquième épisode un rajout en fin de saison, pour passer de 13 à 16 épisodes. La série conclut avec brio son histoire, tout en laissant une belle porte ouverte pour la suite. Problème, les audiences ne sont plus à la hauteur et sont passées sous la barre des 3 millions. Vu ses coûts (chaque épisode visite une époque de l’Histoire), le show est annulé mais, miracle, après la grogne sur les réseaux sociaux, NBC revient sur décision. On aura donc une seconde saison, pas avant 2018, mais c’est déjà bien.
CW : le respect du fan
Concluons cette analyse par CW, la chaîne qui n’est plus réservé aux ados. Appartenant à CBS et au groupe Time Warner (HBO), elle diffuse toujours Supernatural et pas moins de 5 séries DC Comics, le point fort de son catalogue. La chaîne n’ayant pas vocation a proposer autant de séries que ses consoeurs, avec une audience située sous les deux millions de spectateurs en moyenne, elle n’a lancé que 3 nouveaux shows.
Vous avez sûrement entendu parler de Riverdale, adaptation du comics Archie (qui avait déjà connu un dessin animé à succès). La série sera de retour pour une seconde saison, ce qui n’est pas le cas de Frequency (adaptation d’un film) ou No Tomorrow. Celles-ci ont connu des audiences plus faibles, chutant jusqu’à 510 000 spectateurs. La forte communauté de fans autour de Riverdale en a fait un succès au delà de son audience. La CW a donc conserver cette série pour renforcer son catalogue, mais a offert un vrai épilogue aux deux autres, chose rarissime pour être noté.
Sitcom, le genre roi
Si de plus en plus de réalisateurs et stars du cinéma n’hésitent plus à travailler pour la télévision, elles ne sont pas à l’abri de subir la dur loi des séries. Elles font donc souvent le choix de rejoindre le giron de chaînes du câble (HBO, Starz, Showtime) ou Netflix pour s’assurer de pouvoir proposer des fins à leur histoire, ou tout du moins des saisons se satisfaisant à elle même. Les règles et objectifs évoluent à une vitesse folle avec de nouveaux studios et diffuseurs changeant chaque année l’environnement de travail de cette industrie.
La sitcom américaine reste toutefois le genre roi de la télévision. Sur les 12 nouveautés en la matière diffusées lors de la saison 2016/2017 (le plus gros contingent), seulement trois n’ont pas été renouvelées. Le public reste friand de séries similaires à des pièces de théâtre (on différencie la sitcom et la comédie), aussi bien au niveau de l’humour que de la réalisation et de la production. Il ne faut pas nécessairement se tourner vers des chaînes câblées ou Syfy pour avoir des séries SF ou fantastiques, mais le pari reste plus risqué sur les grandes chaînes.
Les 3 règles d’or pour le spectateur
Que retenir du cru 2016/2017 ? Tout d’abord, les séries au format potentiellement supérieur à 13 épisodes doivent voir leur commande d’une saison complète effectuée d’ici le 5ème épisode sous peine de ne pas être renouvelée. Il faut du temps pour produire les nouveaux épisodes. De plus, la chaîne n’a pas besoin de plus d’un mois pour connaître la réception d’une série par le public.
Ainsi, les gros succès sont très rapidement confirmés pour rassurer les spectateurs et les fidéliser. Certaines chaînes attendent le mois de février (la saison de production des pilotes des nouvelles séries) pour clarifier leur grille/catalogue, donc on peut surveiller cette période pour connaître le sort de son show préféré. C’est le cas pour les formats modernes (10 à 13 épisodes) qui, sauf raccourcissement de la commande d’épisodes, seront des variables d’ajustement pour faire de la place aux prochaines nouveautés.
En me lançant dans cette analyse, je me doutais que l’industrie moderne brouille les pistes. On peut toutefois repérer au bout d’un mois le sort d’une série, même s’il est parfois conseillé d’attendre la diffusion complète pour se lancer dans le visionnage. Toutefois, aucun show n’est à l’abri d’une annulation en deuxième ou troisième saison, laissant alors une absence de réelle fin encore plus déchirante.