Dans une société valorisant force, beauté et intelligence, on rejette ceux qui sont différents. La fiction prouve que le handicap n'est pas un frein à l'héroïsme.
Cet article ne prétend pas recenser tout être de fiction présentant un handicap mineur ou majeur. Il cherche juste à mettre en avant la vision d'artistes qui n'hésitent pas à lutter contre l'ostracisation d'individus jugées non conformes aux normes. Pas toujours réaliste ou forcément exemplaires, ces personnages ont toutefois tous un point en commun : une volonté sans faille pour obtenir la place qu'ils méritent dans leur monde.
Merci à Elesia, Nourredine, Afa et Sora pour leur participation.
AUTISME : FORREST GUMP
Il s’ « appelle Forest, Forest Gump », « il n’a pas de tête ce p’tit, mais il a des jambes » et « à mon avis c’est le plus grand idiot que j’ai jamais vu, mais qu’est-ce qu’il court vite ». Si vous êtes âgé de plus d’une dizaine d’années, vous avez très probablement entendu parler de Forest Gump, cet autiste présentant un certain retard mental et interprété par Tom Hanks en 1994 dans le film du même nom. Sinon, c’est que vous cherchez toujours à comprendre pourquoi plusieurs fois on vous a hurlé « cours Forest, cours !» alors que vous étiez en train de courir. Forest Gump est un personnage touchant à travers le regard duquel nous découvrons les États-Unis de la deuxième moitié du XXème siècle et leurs contradictions. Son handicap ne l’empêche pourtant pas d’être entre-autres diplômé d’Université, un héros de la guerre du Vietnam, un élément intervenant dans la diffusion du scandale du Watergate, champion du monde de ping-pong, puis un milliardaire prolifique. Forest Gump ne surmonte pas à proprement parler son handicap, il fait la paix avec et l’accepte. L’aspect touchant du personnage vient notamment du fait qu’il est parfaitement conscient de ne pas être « normalement intelligent » pour reprendre ses propos. Pourtant, en appliquant des principes simples de vie, issues de l’éducation qu’il a reçu de sa mère, il parvient à atteindre les objectifs que des personnes intelligentes et pleines de ressources n’arrivent pas à atteindre.
CÉCITÉ : DAREDEVIL
Au départ, les super-héros créés dans la fiction américaine étaient presque tous beaux et forts. Des bellâtres qu'on idolâtrait, sans peur ni reproche. Progressivement, les artistes ont cherché à donner naissance à des individus plus réalistes, auxquels les lecteurs pourraient s'identifier plus facilement. Parmi eux, Matt Murdock. Si sa belle gueule et son intelligence n'ont rien à envier à un Bruce Wayne, son handicap est quant à lui bien plus lourd à porter que l'éternelle soif de vengeance du Chevalier Noir. Enfant, Matt a sauvé un homme d'un accident de la route. Cet acte pur, racine de son héroïsme, l'a gravement handicapé quand il est rentré en contact avec des fluides radioactifs. Blessé au visage, il est devenu aveugle. Rapidement, au lieu de maudire son sort, il s'est pris en main et a dompté son handicap, exploitant comme personne ses quatre autres sens. Son ouïe, son odorat, son goût et son toucher sont ultra-développés, lui permettant, en plus d'un entraînement physique extrême, de combattre le crime comme nul autre sous le nom de Daredevil, un cauchemar pour les criminels. De plus, le jeune homme a brillamment poursuivi ses études pour devenir un excellent avocat. Son traumatisme n'a pas stoppé sa croissance et il est devenu un homme respectable qui aide tous ceux dans le besoin.
PARAPLÉGIE : LOCKE (LOST)
Dans la série Lost, les Disparus, John Locke est un homme d'une cinquantaine d'années qui travaillait pour une compagnie de boîtes avant de s'écraser en avion sur une île aux pouvoirs mystérieux. Avec les autres survivants, il devra apprendre à se débrouiller seul dans cet endroit hostile et devra découvrir les secrets qui entourent le lieu. La particularité de John Locke, c'est d'être cloué dans un fauteuil roulant depuis une chute de plusieurs étages qui l'a rendu paraplégique. D'un naturel déterminé, John baisse rarement les bras et se mettra même en tête d'aller tenter un "circuit aventure" en Australie malgré son handicap. Quand on refuse de l'y inscrire, il a d'ailleurs cette phrase qui le caractérise "Ne me dites jamais que je ne peux pas faire quelque chose." Immédiatement après le crash, les propriétés uniques de l'île lui font recouvrer l'usage de ses jambes. Il est alors le survivant le plus endurant, le plus doué pour la chasse et le plus motivé, ce qui en fera rapidement l'un des meilleurs personnages de la série. John Locke tient son nom d'un philosophe anglais du siècle des Lumières, à l'origine de la Théorie de la connaissance. Son charisme et sa foi en l'île tout entière l'oppose souvent à des personnages plus cartésiens comme le docteur Jack Shepard. Pourtant, même lorsqu'il est à nouveau paralysé parce que l'île le teste, John restera un homme résolu, persuadé qu'il a raison et prêt à se battre pour ses convictions.
TRISOMIE 21 : GEORGES (LE 8ÈME JOUR)
À la sortie du film Le 8ème Jour en 1996, les français comprennent qu'ils doivent apprendre à respecter ceux qu'on appelle vulgairement les « mongols ». Nés avec le syndrome de Down, c'est à dire la Trisomie 21, ce sont des individus comme les autres. Stigmatisés, ils sont rejetés par la société et vu comme des simplets. Le réalisateur Jaco Van Dormael propose une émouvante histoire (Rain Man n'est pas très loin) portée par un incroyable duo : Daniel Auteuil et Pascal Duquenne, lui même trisomique. Son personnage, George, va donner une leçon de vie à Harry. Ces hommes et ces femmes sont vulnérables mais ne doivent pas être ostracisés. Ils veulent connaître la même vie que leurs proches et on peut penser que ce film a grandement aidé à faire avancer leur cause à l'époque tant le buzz médiatique (prix d'interprétation masculine à Cannes pour les deux acteurs principaux) a entraîné un débat de société impactant. Depuis, il est devenu idiot, impoli et réellement méchant d'utiliser le terme « mongol », signe qu'un certain respect a été acquis. Le chemin est encore long pour pleinement intégrer ces concitoyens dans la société, mais c'est par de petites avancées symboliques que les choses avanceront et feront de ces hommes et femmes des personnes réellement autonomes. Si vous n'avez pas vu ce film, vous loupez un grand moment du cinéma français.
BIPOLARITÉ : PAT ET TIFFANY (HAPINESS THERAPY)
Le titre français de ce film sorti en 2012 ne rend pas hommage à l'original, Silver Linings Playbook. Traduction : Silver Linings, c'est le bon côté des choses, voir le verre à moitié plein. Un playbook, c'est en sport le cahier de jeu, tous les schémas et tactiques qui vont permettre de gagner un match. En gros, ce film est une méthode pour voir la vie du bon côté. Il faut dire que les héros en ont bien besoin. Pat (Bradley Cooper) sort d'un asile psychiatrique après avoir agressé l'amant de sa femme. Il essaye de soigner sa bipolarité, mais cela ne semble pas s'arranger. Il s'agit d'un trouble de l'humeur, qui fait passer le sujet d'une humeur normale à une forte irritabilité ou une dépression. Pat ne peut donc plus se contrôler, et ses parents s'inquiètent. Quand l'un de ses amis lui présente sa belle-soeur, Tiffany (Jennifer Lawrence), il découvre une névrosée qui couche avec tout le monde depuis la mort de son mari. Les deux névrosés vont, après de nombreuses disputes, s'associer : elle l'aide à reconquérir sa femme, il sera son partenaire lors d'un concours de danse. Ensemble, il vont combattre leur instabilité et trouver la paix.
DIFORMITÉ : QUASIMODO (LE BOSSU DE NOTRE-DAME)
Enfant difforme de bohémiens, le bossu Quasimodo est élevé en cachette dans la cathédrale Notre-Dame de Paris par le prêtre Claude Frollo. Il y reçoit une éducation, mais est condamné à vivre reclus de part son aspect qui ferait peur aux habitants de la capitale. Il sera d'ailleurs élu Pape (ou roi) des fous durant une fête dans Paris du fait de sa laideur. Le plus grand malheur de Quasimodo sera de tomber amoureux de la belle gitane Esmeralda qui elle n'a de yeux que pour le bellâtre Phoebus, capitaine de la Garde. Si dans le roman de Victor Hugo, Quasimodo se suicide devant la mort de l'amour de sa vie, la version Disney lui donne plus d'espoir avec une fin plus joyeuse où il finit par trouver des amis sur qui compter malgré son apparence, tout en étant libéré de l'abominable prêtre Frollo.
TOC : MONK
Adrian Monk est un policier de génie. Le problème, c'est qu'il est depuis son enfance victime de nombreux TOC, des troubles obsessionnels compulsifs, ainsi que 312 phobies ! Il est donc sous la coupe de pensées qui l'inquiètent constamment, le forçant à commettre des rituels pour soulager son anxiété. Il est incontrôlable. Sa vie privée a gravement accentué sa maladie qui est très courante dans la population, chacun ayant un trouble plus ou moins visible (vous pouvez compter des marches, fermer deux fois une porte, vous lavez trop souvent les mains...). C'est en retrouvant son activité de policier, en tant que consultant, qu'il retrouve une vie plus ou moins normale, cherchant à combattre ses peurs en s'impliquant pleinement dans des affaires complexes. Il occupe ainsi son esprit, ne pensant plus à ses TOC, et se construit un entourage aimant.
PERTE DE MEMBRES : LES FRERES ELRIC (FULLMETAL ALCHIMIST)
Manga culte, FullMetal Alchemist raconte l'histoire de deux frères, Edward et Alphonse, qui après avoir perdu leur maman, décident d'utiliser l'alchimie pour la faire revivre. Sauf que la transmutation humaine est interdite : Edward perd un bras et Alphonse l'entièreté de son corps. Pour sauver son frère, Edward, sacrifie alors une de ses jambes et transmute l'esprit d'Alphonse dans une armure pour qu'il survive. Commence alors un voyage extraordinaire pour les deux frères qui cherchent à retrouver leurs corps. Alphonse est celui qui a le plus perdu dans l'histoire, condamné à vivre à travers une armure, sans manger, ni boire et dormir. Son corps de métal le fait mûrir plus vite qu'Edward, même si ce dernier fait preuve d'une force morale incroyable dans l'optique de faire regagner à Alphonse un vrai corps. Ils vont alors surmonter leur handicap pour sauver leur monde.
SCLÉROSE EN PLAQUES : SIMON (SUPERIOR)
Dans le comic-book Superior créé par Mark Millar et Leinil Francis Yu, le jeune Simon Pooni, 12 ans, est cloué dans un fauteuil roulant par une sclérose en plaques. C'est tout son système nerveux qui est atteint. Handicapé, il hait sa maladie et s'évade en pensant aux super-héros, notamment Superior, une sorte de Superman qui a une ceinture de catch. C'est là qu'intervient un singe alien nommé Ormon. Il révèle à Simon qu'il a été choisi parmi tous les habitants de la Terre et qu'il peut exaucer un vœu magique. L'enfant se voit alors transformer en Superior, devenant le seul super-héros de son monde. Enfin, c'est ce qu'il pensait, jusqu'à qu'il découvre qu'il s'est fait piéger par un démon... Cette histoire a pour qualité de montrer qu'on peut détester son handicap, mal vivre avec et pour autant être prêt à se sacrifier pour les autres sans penser à son propre intérêt. Un choix cornélien est offert à cet enfant, mais sa situation lui a ouvert les yeux sur le monde et ce qui compte réellement.
NANISME : TYRION (GAME OF THRONES)
Pilier de la série Games of Thrones, Tyrion Lannister possède un handicap de taille dans un contexte moyenâgeux : né nain et difforme, il cause la mort de sa mère lorsqu’elle accouche et s'attire ainsi une haine sans pareille de la part de son père et sa sœur. Son parternel lui retire ainsi les titres auxquels il pourrait prétendre en tant qu'héritier après que son frère Jaime ait rejoint la Garde Royale. Dans l'incapacité de se battre comme un homme, Tyrion compense par une intelligence et une utilisation de la seule arme qu'il peut manier parfaitement : les mots. Surtout, malgré toutes les cruautés que lui font subir son entourage familial et le reste du monde, Tyrion reste un homme loyal et honnête envers les rares personnages qu'il considère comme ses amis. Dans les romans, son physique devient réellement disgracieux suite à une bataille mais le personnage gagne en charisme et fait de son handicap une motivation pour accomplir de grandes choses, personne n'ayant réellement foi en ses capacités.
BONUS : TWIN PEAKS
Lorsqu'un personnage est affublé d'un handicap dans une fiction, c'est bien souvent un moyen de créer de l'empathie entre lui et le public. S'il est une exception notable, c'est bien dans Twin Peaks. Cette série télévisée culte des années 1990 est le fruit de l'imagination débridée de David Lynch et de son complice Mark Frost. Lynch aimant ce qui est étrange, il a créé une bourgade où l'anormalité est reine. Chacun des habitants dénoterait si on le plaçait dans une ville normale. Mais à Twin Peaks, on croise toutes sortes de personnages inhabituels. Si certains se distinguent par leur comportement (une femme parlant à sa bûche...), d'autres sombrent (provisoirement ou non) dans la folie (Ben Horne, Leland Palmer) ou sont affectés d'un retard mental (le fils de Ben Horne). Là où la folie serait partout ailleurs un handicap, elle a toute sa place dans cette cité hors norme au point que la normalité pourrait se révéler y être un handicap.
Car, en effet, un handicap est avant tout une incapacité physique ou mentale d'un individu par rapport aux autres. Or, quand la norme est différente, c'est l'individu qui ne correspond plus aux critères de son environnement et qui devient handicapé, même s'il semble être sain de corps et d'esprit. Ce n'est donc pas surprenant de croiser dans cette série un nombre impressionnant de handicapés physiques. Nadine est borgne, la mère de Donna est en fauteuil roulant, Mike est manchot... Mais leur handicap n'en fait pas des victimes pour autant. Certes, on s'intéresse à l'accident qui a pu provoquer ce drame et à ses conséquences mais le handicap n'est pas au centre de leur personnalité, n'est pas le moteur de l'intrigue. Il fait partie de la vie et rappelle, derrière l'apparence trompeuse d'une vision idéalisée de la société, que les individus ne sont pas parfaits. Imperfections morales (crimes, mensonges et secrets), imperfections physiques (handicap, vieillesse, laideur...) sont le quotidien de cette ville.
L'apparence est rejetée dans le récit au profit des vraies valeurs humaines. C'est même une critique acide et drôle de la superficialité et du culte de la perfection qui nous est présentée et dans laquelle le handicap nous est montré sous l'angle de la normalité et de la vérité en opposition aux apparences et aux mensonges. Là où la place du handicap devient plus fascinante dans Twin Peaks, c'est lorsqu'il se manifeste chez les créatures qui hantent les esprits. Un nain danse dans les rêves de Cooper, quand ce n'est pas un géant qui fait une apparition. Quand au manchot évoqué tout à l'heure, difficile de savoir s'il fait lui aussi partie de ce monde onirique. L'étrangeté est poussée à son paroxysme avec cette "faune" étrange ayant souvent des corps difformes ou une apparence effrayante. Là, ce qui serait vu ailleurs comme un handicap sert de marqueur pour identifier des créatures oniriques. Le handicap renvoie alors à la peur primale des individus pour la différence. Ces êtres ne sont pas handicapés par le nanisme ou le gigantisme, ils sont juste différents. Les normes ne s'appliquent pas à eux. Par leur physique imparfait, ils s'affranchissent des règles terrestres.
On ne peut plus alors parler de handicap car ces malformations ne gênent en rien ces créatures. En s'intéressant aux limites de la normalités, Lynch a complètement changé les règles de la perception du handicap. Tantôt caractéristique non contraignante des protagonistes et révélateur des failles d'une société qui se cache derrière un vernis de mensonge, tantôt trait d'union entre notre monde et celui que seuls certains perçoivent, le handicap n'est traité à Twin Peaks ni avec pitié ni avec horreur. Les handicapés n'y sont ni des victimes, ni des héros. Juste des êtres humains comme vous et moi... ou d'étranges créatures que nous percevons comme handicapés car différentes. En somme, la normalité et le handicap sont avant tout dans l'oeil de celui qui les regarde.