Batman Arkham Knight : le rendez-vous manqué

Batman Arkham Knight est la conclusion d’une saga vidéo-ludique qui a marqué les joueurs comme l’industrie, les fans comme les néophytes de l’homme chauve-souris. Figurant régulièrement parmi les jeux les plus attendus de l’année 2015, il a malheureusement été celui qui a généré un des plus gros bad buzz de l’année. Retour sur un épisode qui a loupé sa sortie dans tous les sens du terme.

Parler de Batman Arkham Knight, autant de temps après sa sortie, alors que tout déjà semble avoir été dit à son sujet, est assez casse-gueule. Pourtant, il s’agit bien de ce jeu dont je vais vous parler aujourd’hui. Batman Arkham Knight donc, des studios Rocksteady, sorti chez nous fin juin 2015 (sur console du moins ha ha ha), dernier épisode en date de la saga Arkham initiée en 2009 avec Asylum et ayant conduit à la création du fameux Arkham-verse (univers empruntant à la fois aux comics books, aux différentes séries animées pour finir par pomper les films de Christopher Nolan). 2011 marque l’arrivée de l’épisode City, considéré encore aujourd’hui, comme le meilleur, malgré un scénario assez faible finalement.

Face à cette licence juteuse, Warner Bros a eu l’idée de commander un épisode, non pas à Rocksteady (déjà occupés sur le développement de Knight) mais à l’un de ses studios situé à Montréal pour développer ce qui deviendra le moins aimé : Arkham Origins. Malgré un scénario, pourtant plus ambitieux que ses aînés, peu de joueurs vont lui pardonner sa finition et ses bugs gâchant l’expérience proposée. La suite de l’histoire, tout le monde la connaît, deux ans plus tard sort Arkham Knight avec plusieurs objectifs à accomplir : réussir la transition vers la new gen ; faire oublier la déception d’Origins d’une partie des joueurs et surtout, clore la saga Arkham.

Attention, je vais spoiler un maximum quelques passages du jeu.

Batman sur next-gen : de la (bonne) surprise à la déception

Inutile de tourner autour du pot : la transition vers la new gen s’est faite sans problème. Le jeu est magnifique, jouable, terriblement dynamique (les combats en duo surtout… désolé pour ce jeu de mots), sans bug notable, bien doublé, etc. Sur le papier, graphiquement comme techniquement, Batman Arkham Knight est une tuerie (toujours sur consoles hein) et il est vrai que retourner sur Origins après avoir fait Knight peut être pénible pour les yeux. Je passe assez vite sur ces aspects-là, d’autres critiques l’ont déjà fait. Je vais plutôt me pencher sur les autres objectifs de cet opus.

Pour être honnête, je dois avouer qu’après avoir fini le jeu une première fois, en dépit des qualités que j’ai évoquées, Batman Arkham Knight m’a profondément déçu. Je suis sorti d’un premier run amer, en me disant : « tout ça pour ça ? » et « je dois vraiment récupérer tous les trophées de l’homme-mystère pour la vraie fin ? ». Je me suis fait violence pour arriver jusqu’au bout mais rien n’y a fait, sur le coup, je me sentais trahi, un de ces jeux que j’attendais tellement, le voir terminer aussi lamentablement… L’identité de l’Arkham Knight est tellement prévisible pour qui connaît un minimum la mythologie de l’Homme chauve-souris, des personnages tels que Double Face ou encore le Pingouin sont mal utilisés, l’open world est mal exploité, la Batmobile est omniprésente, etc.

Objectivement parlant, le jeu fait le job, mais pour quelqu’un qui suit la saga depuis ses débuts, non, il y a un truc qui cloche. D’un point de vue scénaristique déjà, Arkham Knight ne s’inspire en rien des épisodes précédents. On a l’impression que plusieurs intrigues soulevées auparavant sont balayées en moins de deux. Après, notons le fair-play de Rocksteady pour avoir inséré quelques petites références à Origins au détour de quelques dialogues. La présence de Jason Todd fait tâche, si bien que le fait que l’on insiste autant sur lui nous fait comprendre bien avant la grosse révélation qu’il est l’Arkham Knight. Jamais dans Asylum ou City, il n’était question de lui (sauf évidemment une réplique du Joker quand on utilise Robin dans un défi combat).

Par conséquent, je n’ai ressenti aucune compassion pour lui, d’autant plus que sans la présence physique du Joker, il ne peut accomplir sa vengeance. La question qui se pose alors : pourquoi ne pas avoir repris un personnage présent dans les anciens épisodes pour jouer le rôle de l’Arkham Knight ? Quelque chose de moins prévisible, je pense par exemple à Talia Al Ghul. Elle se fait tirer dessus par le Joker dans City et est laissée pour morte. Elle aurait été alors ressuscitée par la Ligue des Assassins et aurait alors cherché à se venger de Batman. Non seulement cette révélation aurait été assez inattendue, mais de plus, elle aurait permis de créer un lien plus important avec l’épisode précédent. Surtout que Talia n’est pas n’importe qui pour Batman.

Un épisode qui perd de son intérêt ludique…

Pour un épisode venant conclure la saga Arkham, il est assez dommage de ne pas avoir à affronter davantage de vilains, il n’y a quasiment aucun inédit. Tous sont issus d’épisodes précédents et il faut avouer qu’ils sont moins nombreux et moins épiques que par le passé. Affronter des boss dans Knight est décevant, l’Arkham Knight s’affronte via une séquence prédateur ou Deathstroke par un combat de tank… Nous sommes vraiment loin de boss style Mister Freeze ou Gueule d’Argile. Le jeu aurait pu s’inspirer peut-être d’une saga comics comme No Man’s Land, dans laquelle plusieurs vilains auraient eu des zones d’influence dans Gotham. Cela aurait permis au jeu d’être plus varié et légitimer le fait que l’on change d’ambiance selon la zone dans laquelle on évolue.

Je me plais à imaginer alors une zone près des docks sous influence de la pègre, à devoir infiltrer le gang du Ventriloque sous l’identité de Malone ou bien d’évoluer dans les égouts pour affronter la Cour des Hiboux. Arkham Knight aurait pu être un véritable hommage à l’univers de Batman sous toutes ses coutures. Dans mon Batman idéal, j’imagine alors qu’il y aurait des zones obligatoires à pacifier pour faire avancer le scénario, puis d’autres zones annexes donnant lieu à des quêtes plus passionnantes que les affaires proposées, d’un point de vue ludique. Et ainsi tout aurait justifié la présence de l’open world.

L’open world, parlons-en. Techniquement et graphiquement, le passage à l’open world est réussi. En revanche, l’intérêt ludique est plus que limité. Rien dans le jeu ne justifie son existence. La ville est gigantesque, mais aussi très vide. Certes, la ville est évacuée, mais il demeure qu’un désert de Red Dead Redemption ou les plaines de The Witcher 3 sont plus vivants que les rues de Gotham. Même Origins donnait lieu à quelques passages où il fallait sauver des civils. Ici, non. Alors oui, il s’agissait d’un moyen pour permettre aux joueurs de piloter enfin la Batmobile. Pour autant, je la trouve mal exploitée, même trop exploitée. La Batmobile n’est pas au service du jeu, mais c’est le jeu qui se plie à la Batmobile. Le level design est contraint de s’adapter pour des phases en Batmobile, donnant lieu à des passages artificiels dans lesquels Batman s’en serait mieux sorti à pieds.

Les quêtes annexes sont peu nombreuses et extrêmement courtes, surtout concernant les plus scénarisée. Prenons l’exemple de celle concernant Hush. Il s’agit ni plus ni moins d’une cinématique interactive, qui se boucle en moins de 10 minutes. Là où dans City, il y avait une tension créée à travers ce personnage, ici, il fait juste de la figuration. Pareil pour Azrael qui donnait lieu à une importante phase de recherches dans City, ici, il ne fait que des défis combat… Là encore, je me plais à rêver de quêtes plus intéressantes, mettant en scène le Commissaire-priseur (Batman Black Mirror) ou Maxie Zeus par exemple.

là où il gagne en profondeur

Ce sont tous ces petits trucs qui ont rendu ma première expérience sur Arkham Knight décevante : il n’était pas tel que j’aurais voulu qu’il soit. Cependant, au cours de mon second run, il est des détails qui m’ont frappé et c’est à ce moment que j’ai reconsidéré mon jugement sur le jeu. Attention, loin de là d’en faire dorénavant mon GOTY, car ce n’est clairement pas le cas, Arkham Knight est plus intéressant qu’il n’en a l’air. Si les précédents épisodes suivaient un modèle proche de ce que pouvait faire Paul Dini (normal, il a scénarisé Asylum et City), quelque chose qui s’apprécie dans l’immédiat, je considère Knight comme un épisode beaucoup plus proche de ce que peut proposer un auteur tel que Grant Morrison, quelque chose qui demande plusieurs lectures pour en saisir tout l’intérêt.

Et c’est là que l’on réalise qu’Arkham Knight s’insère parfaitement dans la saga des Arkham pour ce qui est de la relation entre Batman et le Joker. En effet, toute la saga Arkham dépeint cette interdépendance qui existe entre les deux personnages. De la rencontre dans Origins, en passant par la mort physique dans City. Là où Rocksteady n’est pas tombé dans le piège en le faisant ressusciter, ils ont réussi à faire de sa présence une véritable peur pour Batman (exacerbée par le gaz de l’Épouvantail). Force est de constater que toutes les apparitions du Joker sont géniales et l’écriture proposée du personnage est une des meilleures existantes à ce jour. Mention spéciale pour deux scènes : la première dans les studios de cinéma (avec un passage musical énormissime) et la seconde lors de la séquence finale. Deux scènes d’une justesse, et montrant que les scénaristes auront au moins tout compris de l’antagoniste phare de Batman.

L’interdépendance entre les deux personnages est tellement forte que lorsque Batman fait disparaître le Joker pour de bon (lors d’une lutte mentale plutôt intéressante), Batman n’a plus de raison d’être et décide alors de déclencher le programme Knightfall qui aboutira à la disparition du Batman. Cette idée de disparition, de la mort, est un thème récurrent dans Arkham Knight, et ce, sous toutes ses formes : meurtres (via Pyg, Man-Bat), suicide (Barbara) ou sacrifice (Batman dans Ace Chemicals ou Poison Ivy), faisant de cet épisode le plus sombre et le plus tragique. Comme si quoi qu’il se passe, Batman était de toute façon condamné. Il ne s’arrêtera que quand il considérera Gotham comme entièrement pacifiée (l’explication quant à pourquoi il faut compléter toutes les quêtes annexes du jeu pour voir la « vraie fin »).

Plusieurs quêtes annexes renvoient à cette idée, celle concernant les pompiers justifiant la nécessité d’un justicier à Gotham, pouvant rester incorruptible et non soumis à des aléas tel que le chômage. Celles de Nightwing et d’Azrael réfléchissant peut-être davantage à l’idée d’un successeur à Batman une fois qu’il aura achevé sa mission. Si j’ai pu pester contre les quêtes, elles effleurent pourtant quelques thèmes qui auraient mérité d’être davantage développés. La notion d’identité par exemple : quand on voit comment Hush vient à usurper l’identité de Bruce Wayne, ou bien Man-Bat, alter-ego de Kirk Langstrom qui revisite l’histoire de Dr Jekyll & Mr Hyde. La quête concernant Pyg aussi dans laquelle la plupart des victimes sont méconnaissables sans les étudier scrupuleusement en est un autre exemple.

Toutes ces quêtes tentent de développer quelque chose, mais comme je le disais, parce qu’elles sont trop courtes, elles ne font qu’effleurer la chose, comme si nous étions face à quelque chose d’inachevé. Malgré ces nombreux défauts, faisant d’Arkham Knight un énième AAA sans véritable originalité là où ses prédécesseurs avaient de quoi surprendre, je persiste en disant que le jeu n’est pas raté, il échoue cependant sur ces objectifs, en dépit de passages remarquables et d’une volonté d’aller au-delà, de faire réfléchir le joueur.

Il s’agit donc d’un rendez-vous manqué. Il y avait mille et une façons de conclure de manière grandiose la saga d’Arkham, Rocksteady a sans doute choisi la plus intimiste quitte à singer The Dark Knight Rises, notamment avec sa fin ouverte, laissant à penser que si Batman version Bruce Wayne disparaît, le symbole Batman lui, perdurera.

Il me paraît important de faire un petit aparté sur la sortie de l’épisode sur PC, qui s’est avérée absolument catastrophique. Des bugs, des freezes, des crashs, un retrait des plates-formes de téléchargement, une sortie repoussée à octobre mais finalement toujours optimisée à la truelle, bref, un magnifique loupé pour un jeu d’une telle envergure. Si bien qu’à l’heure actuelle, Warner Bros promet jusqu’à fin 2015 de rembourser aux joueurs PC l’intégralité du jeu et de son season pass (déjà honteux en lui-même soit dit en passant). N’étant pas joueur sur PC, je peux comprendre que le peu d’attention apporté à cette version est scandaleuse. Je ne chercherai de responsables quant à ce raté, mais je déplore que la saga des Batman Arkham génère autant de bad buzz depuis qu’elle est éditée par Warner Bros (on se souvient encore de la campagne de Catwoman de City ou encore l’existence même d’Origins par exemple). De ce point de vue, Batman Arkham Knight vient clore une saga, d’une manière que peu de joueurs pardonneront.