En 2006, Prey sort dans l’indifférence. En 2017, il sort dans une excitation mondiale.
2016-2017 est véritablement l’année de la mort des arlésiennes. Ce mois-ci encore, après Final Fantasy XV, Last Guardian, et tant d’autres, c’en est une autre qui devient réelle : Prey. C’est la suite, ou plutôt le reboot d’un jeu sorti en 2006. Mais nous allons le voir, l’histoire date de bien avant 2006. Petit voyage dans le temps.
Entre arc et gun
Prey, c’est quoi ? Commençons par le début effectivement : il s’agit d’un jeu de tir en vue subjective, un JTS donc, même si, on va pas se mentir, on appelle plus couramment ça un FPS pour First Person Shooter. Il est développé par Human Head Studios, sous contrat pour 3D Realms qui est alors connu pour les Duke Nukem, série de jeux JTS (mais on va essayer de faire comme si c’était naturel) mettant en scène un gros macho parti sauver le monde de menaces en tout genre. Le jeu est publié par Take-Two et, croyez-moi, ça a son importance. Le tout sort sur PC en juillet 2006 puis connaît des portages sur Xbox 360, Linux (c’est assez rare pour être noté) et Mac.
Prey vous met donc dans la peau d’un Cherokee, Tommy, et rien que ça, c’est déjà quelque chose. Ce n’est pas tous les jours que la culture amérindienne est mise en avant, même si depuis, Assassin’s Creed III est passé par-là. Je pense que les jeux qui en parlent se comptent sur les doigts des deux mains.
L’histoire commence alors qu’avec votre petite amie et votre grand-père et d’autres, vous êtes absorbés par un vaisseau alien, la Sphère. Ce vaisseau collecte tout ce qui est vivant ou inanimé sur Terre pour subvenir à ses besoins. Pas de chance pour eux, le passé de Tommy lui confère des pouvoirs spirituels et il compte bien s’en servir pour mettre fin à cette folie meurtrière. Au fur et à mesure, vous vous en doutez, Tommy trouve le moyen d’affronter cette race alien afin de retourner sur Terre. À noter que Prey, un an avant Portal, a une utilisation de portails dimensionnels très intéressante et innovante. Malheureusement, comme nous allons le voir, cette utilisation que l’on connaît aujourd’hui découle d’un processus de création long et douloureux.
Quand la science-fiction rencontre les réserves d’Amérindiens
Je laisse le reste de l’histoire à ceux que ça intéresse. En ce qui concerne l’univers, bien que j’aurais aimé que l’aspect amérindien soit plus poussé, il faut reconnaître que le mariage avec la science-fiction marche bien et nous propose un résultat singulier et unique, encore aujourd’hui. Un héritage semble-t-il trop lourd pour le reboot mais ça, nous allons le voir. L’héritage amérindien, j’y reviens, on le retrouve ponctuellement dans certaines phases de jeu et, bizarrement sans que le jeu ne donne vraiment d’explication, dans l’autre race alien qui aidera Tommy. Cela s’arrêtera là et c’est très dommage. Mais le fait que 3D Realms a cherché à mettre en avant quelque chose d’extrêmement nouveau pour l’époque fait partie d’un tout dont nous allons parler. Quant à l’aspect science-fiction, il est proprement hallucinant. Un mélange de ce qui se fait de mieux en cinéma fin 20e siècle. Un croisement entre l’organique et le mécanique, quelque chose de très post-humain et de fascinant. Par exemple, la première vraie arme du jeu, après la clef-anglaise, a un fonctionnement particulier pour le zoom. L’arme semble vivante, a sa carcasse qui bouge selon une chorégraphie établie. Quand le joueur déclenche le zoom, une espèce de pustule se détache de l’arme, auquel elle reste reliée par une sorte de cordon ombilical et se greffe sur l’œil du personnage (cf l’image ci-dessus)
Redéfinir la redéfinition
L’histoire des JTS doit être fascinante à étudier. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de changement, avec des jeux comme Overwatch ou Paladins qui essayent de redéfinir le genre. Des vieux de la vieille comme Counter Strike : Global Offensive, DOOM ou même le futur Quake essayent de faire perdurer l’héritage. Mais vous vous en souvenez, y a encore pas si longtemps, deux mastodontes dominaient la scène ; Call of Duty et Battlefield. Mais il n’en pas toujours été ainsi ; avant cela, la scène était au fast-FPS ; ces jeux de tir très rapides qui demandaient plus de réflexes que de stratégie : Unreal Tournament en tête, mais aussi Quake, Doom et tant d’autres clones qui brillaient juste. Ce qui est intéressant avec cette période, c’est qu’elle est la suite directe de celle des années 1990, des premiers Wolfenstein, Doom, bref, le JTS « moderne ». Sans me lancer dans un cours technique du JTS moderne, beaucoup ne sont que des mods de mods d’un jeu original. Pour rappel, un « mod » est un contenu créé par les joueurs et pour les joueurs à partir d’un jeu existant.
Petite pause ici car je sens que j’en ai perdu certains. Sans rentrer dans les détails, il existe quatre éléments à mixer pour avoir un jeu : les règles, les images, les sons et la programmation, ce qui fait qu’un personnage ne peut pas traverser le sol ou a des points de vies. Pour mixer tout ça, il faut ce qu’on appelle un moteur, un « engine » en anglais. Il en existe aujourd’hui un très grand nombre, chacun avec ses forces et faiblesses. Mais y a plus de 10 ans, leur nombre était plus restreint, plus confidentiel. En parallèle, il était courant jusqu’à la fin des années 1990 que le code, l’architecture d’un jeu, circule librement, de joueur en joueur. Ces deux éléments font qu’il existait un certain nombre de sphères où plusieurs jeux partageaient en fait la même base. Le cas le plus célèbre étant bien sûr Doom et Wolfenstein.
Calibré pour réussir
Vers la fin des années 1990, Wolfenstein 3D, père du JTS moderne, est déjà ringard et surclassé par Doom. Sans rentrer dans les noms, ça s’agite dans les studios de jeux vidéo d’alors et chacun veut sa part du gâteau. 3D Realms, qui lui veut la plus grosse part, dépoussière la licence Duke Nukem et sort un JTS certes bon, mais loin d’égaler le roi d’alors, Doom. Surtout que chez 3D Realms, on sait que la prochaine claque ne va pas tarder ; Quake. Le nom fait trembler ; il s’agirait de la nouvelle définition du JTS.
C’est dans ce climat que le nom de “Prey” émerge. 3D Realms sait que pour remporter les lauriers, il va falloir inventer une nouvelle technologie, un nouveau moteur de jeux. Le nom de code « Prey Tech » voit le jour : un moteur qui permet la gestion de portails dimensionnels et une gestion sympathique des effets de lumière. Loin de ne miser que sur l’aspect technique, 3D Realms pense aussi aux premiers éléments qui constituent en partie le Prey de 2006, en termes d’univers. Les étoiles pleins les yeux, les têtes pensantes de 3D Realms commencent à parler de licence pour leur petit protégé.
“Born to die !”
Le développement ne commence véritablement qu’en janvier 1996. La première année est extrêmement compliquée : Quake sort et comme prévu, il franchit un cap dans la qualité des JTS. Non seulement ça, mais 3D Realms accuse le départ de plusieurs têtes pensantes. Les renforts ne tardent pas, mais le coup est dur à encaisser et il reste du pain sur la planche. D’ailleurs, la première coupe dans le contenu a lieu à ce moment-là du développement.
En avril 1997, le jeu est présenté au monde et remporte un franc succès. Prey se paye même le luxe d’être plus performant que Quake et malgré les nouvelles menaces à l’horizon, Half-Life et Unreal pour ne pas les citer, 3D Realms y croit plus que jamais. Sans rentrer dans les détails, un énorme changement technique dans les PC de l’époque oblige 3D Realms a refaire son moteur de jeu pour Prey, le « Prey Tech », pratiquement à zéro. Les dirigeants de 3D Realms perdent patience, s’énervent, licencient des membres importants de l’équipe et au cours de 1999, Prey n’est plus très loin de la poubelle. En tout cas, ce qui est à la poubelle, c’est la volonté de battre Quake, et Unreal, sur son propre terrain.
Car l’histoire de Prey reprend en 2002 quand Take-Two décide de financer le projet à la seule condition de le confier à Human Head. Des complications techniques plus tard, Prey de 1995 est mort. Des portails certes, il y en aura, mais ça n’aura plus rien à voir avec ce qui aurait dû être. À deux années de sa sortie, Prey connaît un dernier reboot, encore une fois pour des raisons techniques. Le jeu sort donc en 2006, dix ans après le début officiel de son développementl. Quake n’est plus qu’un rival lointain, Unreal Tournament ne joue pas dans la même catégorie. Ses rivaux seront Halo 3 et Doom 3, un comble, mais en réalité, la rivalité ne durera pas longtemps, tant Prey va se perdre dans le même portail que celui de son héros à la fin ; celui de la suite, qui n’arrivera jamais. Avant d’aller plus loin, je dois remercier JV-Le Mag pour les trois dernières parties ; si vous voulez connaître toute l’histoire du premier Prey, je vous encourage vivement à vous procurer le numéro 17 !
On y joue ou pas ?
Maintenant que le reboot est sorti, vous vous demandez peut-être si ça vaut le coup d’essayer l’original de 2006 ? Pour cet article, j’y ai joué ; j’ai commencé la rédaction peu après la moitié du jeu et je le continue en parallèle. Très franchement, si Prey n’est pas un mauvais jeu, ça me coûte de dire qu’il est - vraiment - bon. Graphiquement, le jeu est loin d’être moche malgré des modèles de personnages qui commencent à être un peu trop géométriques. L’ambiance sonore n’est pas ouf et agace par moments, notamment quand le héros enclenche le mode esprit. On a alors le droit à une ambiance sonore amérindienne en boucle qui, à la longue, fatigue.
Niveau réalisation et histoire, c’est plat. Comme je le disais en introduction, j’aurais aimé que le côté amérindien prime plus, le pire étant que le côté science-fiction est relativement fade, passé la prise de contact avec ces environnements organiques-mécaniques. Il n’y a aucune idée particulière de mise en scène non plus. Enfin, niveau gameplay, si la sensation des armes est bonne et que tout ce qui est lié aux portails et aux murs anti-gravité marche, les ennemis ne sont jamais assez nombreux et vifs pour proposer un réel challenge. J’ai vraiment l’impression de jouer à un triste clone de Doom 3. Le comble je vous disais.
La suite n’aura pas lieu
Bien que Prey 1 ait été enfanté dans la douleur, bien plus que d’ordinaire, une suite a été mise en chantier. Reprenant l’histoire du premier volet, en y faisant des clins d’œil appuyés, elle devait prendre par surprise le joueur en l’emmenant bien loin de ses attentes. Sur une planète où le chaos fait la loi, le joueur devait incarner un chasseur de primes dans un monde plus ou moins ouvert avec des capacités d’escalade et de parkour (mais si vous savez, les Yamakazi).. Entre Mirror’s Edge et Mass Effect 2, Prey 2 semblait abandonner ses origines particulières pour se ranger. Mais cela n’aurait pas dû être un point négatif ; le jeu était parti pour être intéressant, dynamique et digne d’intérêt.
Cependant le développement s’enlise, les news se font rares. L’histoire semble se répéter, à la différence près que cette fois-ci, nous n’avons pas - encore - les détails. Tout juste sait-on que la licence a été confiée à Zenimax, et le développement à Arkane Studios. Une image remet la hype en route : on y voit Tommy, héros du premier Prey, dans le décor de Prey 2 (cf image ci-dessus). Mais rien n’y fait, rien de concret n’est annoncé sur le jeu et le 31 octobre 2014, le couperet tombe : Prey 2 est mis en stand-by, enterré, presque annulé.
Le reboot d’une suite de multiples reboot
La suite de l’histoire est nettement plus connue. Tout comme en ce qui s’est passé en 1999 et 2002 pour le premier Prey, la suite connaît une résurrection in extremis. Mais elle a un prix : le reboot. En effet, à l’E3 de 2016, l’E3 étant une grande messe annuelle pour le jeu vidéo, Bethesda, une succursale de Zenimax pourrait-on dire, prend tout le monde de court en dévoilant un trailer qui ne fait, au premier abord, penser à rien de connu. Puis, à la fin de ce dernier, quatre lettres : « P R E Y». C’est l’affolement et le train de la hype repart. Mais pour bon nombre de ses passagers, c’est le saut en marche. Le reboot n’a, semble-t-il, plus rien à voir avec la licence dont il porte le nom. Certes, les reboots sont quelques part là pour ça mais ils gardent toujours une trace de la licence originale. Rien dans ce trailer ne semble respirer Prey et ça en énerve pas mal. Surtout que Prey 2, avant d’être annulé, semblait promettre monts et merveilles.
Faut dire que dans ce trailer, et les suivants, pas de portails, pas de murs anti-gravité, pas de Cherokee, pas de Sphère. Ici, on découvre une station spatiale bien propre qui se fait envahir. Notre héros dispose de pouvoirs et des augmentations cybernétiques. Il est très difficile de savoir pourquoi le reboot a été aussi violent. J’espère que nous l’apprendrons un jour. Une déclaration du 13 juin 2016, quelque jours après la révélation donc, du directeur créatif du jeu Raphaël Colantonio, déclare qu’il faut plus voir ce reboot comme une réinterprétation de l’héritage du Prey de 2006. Mais quand on sait que ledit héritage est chaotique, n’est que reboot de reboot de reboot, on se demande bien ce que cela peut vouloir dire. Réponse dans le jeu.
« Mais du coup, celui-là, on y joue pas de Prey ? » Vous n’aurez pas la réponse ici : vous le savez sûrement, mais Pop Fixion n’est pas un site qui publie des tests/avis sauf si cela s’inscrit dans un dessin plus grand. Du coup, je ne peux rien vous dire de plus que d’aller vous renseigner. Un rapide tour de mes sources me permet de vous dire que pour l’instant, l'accueil du jeu est un peu froid.
Le débat est ailleurs
Ce reboot de Prey porte en lui deux aspects primordiaux, peut-être plus importants que le reboot de Prey lui-même. Il y avait tout une volonté de proposer un JTS bon, consistant, de qualité, là où, pour Raphaël Colantonio, tous les jeux de ce genre aujourd’hui ne produisent plus d’excitation chez le joueur. Prey 2017 se veut comme une réinterprétation non pas des mécaniques qui ont marché au cours de ces 20 dernières années mais des ambiances, des volontés, ce qu’impliquaient ces jeux en termes d’amusement et de philosophie. Cela, je l’interprète de l’entrevue qu’il a donnée à Jeuxvideo.com le 20 avril dernier. System Shock est une de ces grandes influences mais il est important de citer Half-Life 2 aussi.
L’autre bataille invisible de Prey 2017 est le moteur de jeu qu’il utilise : le CryEngine. Bien loin du « Prey Tech » dont il était question en 1995, Arkane Studios utilise le moteur des Allemands de chez Crytek, créé et utilisé à la base pour la série de jeux Crysis. Ce que vous ne savez peut être pas, c’est que Crytek est en grandes difficultés financières depuis quelques années et à un cheveu de fermer définitivement. Difficile de démêler le vrai du faux dans les détails tant Crytek et la presse se battent sur la véracité de certains faits mais le studio ne peut pas nier les impayés et les studios étrangers qui ferment. Toujours est-il qu’il y a encore 2 semaines, Crytek ne développait pas de jeux et son moteur, le CryEngine, n’était pas vraiment utilisé sauf par Arkane Studios pour Prey. Ainsi, il se retrouve donc le porte étendard d’un moteur qui n’est pas en grande forme. Je n’ai pas trouvé d’explication sur ce choix, ni même de connexion entre eux et Crytek. Ce qui est sûr, c’est que quelque chose se joue ici et qu’il y a un petit feuilleton à suivre.
L’histoire de Prey est très intéressante. J’ai vraiment essayé de vous faire toucher du point d’origine jusqu’à où nous en sommes aujourd’hui. J’en ai fait tout le tracé, avec le plus de détails possible dans certaines limites. Le jeu vidéo est un art au même titre que le cinéma ou la peinture : et tout comme ceux-ci, il regorge d’histoires de ce genre, entre rêves et désillusions. Des histoires riches d’enseignements en somme.