Otome Games : les jeux de drague pour filles

Les otakus masculins ne sont pas seuls à s’adonner à la drague virtuelle : les femmes aussi y ont droit. Décryptage et explication de ce phénomène...japoniais.

Depuis moins de 10 ans, le mot otome game est devenu de plus en plus courant dans le jargon de la culture dite otaku. Basée sur une passion dévorante pour les mangas, l’animation japonaise et les jeux vidéo, celle-ci se dote aussi de loisirs un peu moins avouables à son entourage : celle de s’adonner à la drague virtuelle, non pas en ligne, mais avec des personnages virtuels.

Il y a quelques années de cela, une polémique était même née lorsqu’un japonais avait voulu se marier avec un personnage du jeu de drague Love Plus. Si certaines réactions bêtes et méchantes venaient s’attaquer aux problèmes sociaux rencontrés par les otakus, d’autres trouvèrent cette histoire touchante.

À l’origine, les jeux de drague sont essentiellement conçus pour le public masculin et il représente encore aujourd’hui la cible principale de ce type d'oeuvre. Cependant, depuis le début des années 2000, le nombre de jeux de drague à destination des filles ne cesse d’augmenter. Ils sont appelés otome game dans le jargon culturel japonais.

Ils se présentent la plupart du temps sous la forme d’un visual novel (on vous en parle ICI), sorte de roman interactif dans la même veine que les livres dont vous êtes le héros. Enfin, dans le cas présent, vous êtes une héroïne qui doit choisir l’élu de son cœur parmi une peuplade de jeunes hommes. Doux programme en perspective.

De l'intérêt de produire des jeux de drague

Le premier otome game à succès est Angelique, de la société Koei à qui on doit la saga de beat them all Dynasty Warriors. À cette époque, les jeux de drague sont uniquement destinés aux hommes, notamment adultes avec la production de jeux érotiques. Angelique sort en 1994, soit la même année qu’un autre jeu d’une entreprise tout aussi connue par les occidentaux : Tokimeki Memorial de Konami (Pro Evolution Soccer). Le jeu est connu pour avoir sauvé de la faillite la société. Konami surfera de nouveau sur la vague des otomes games en proposant en 2002 la version Girl's Side de sa série culte. Parce que oui, Tokimeki Memorial est, à l'instar de Silent Hill ou Metal Gear Solid, une des licences phares de Konami. Improbable.

Le développement d'Angelique est particulier puisque le jeu est conçu uniquement par des femmes travaillant à l’époque chez Koei. Ces dernières sont persuadées que des titres de drague à destination du public féminin marcheraient aussi. Le résultat fut plus que prometteur puisque aujourd’hui, la saga fait partie des incontournables des jeux du studio avec des adaptations en dessin animés et mangas, mais aussi de multiples suites, spin-off et remakes pour le jeu original. Ce succès lança progressivement la vague de ce qui sera appelé alors otomes games, se différenciant des galges games, jeux de drague pour garçons.

Angelique est un jeu dans la parfaite continuation des shôjo mangas, ces bandes dessinées destinées essentiellement aux jeunes filles. Ces œuvres racontent souvent des romances entre l’héroïne, une fille lambda qui va au collège/lycée et de jeunes hommes tous plus charmants les uns que les autres qui l'entourent. Dans un otome game, le principe est le même, à peu de choses près : le personnage féminin peut être renommé en le nôtre pour favoriser l’immersion et l'héroïne peut réellement choisir entre tous ses prétendants.

Cependant, n’attendez pas d’un otome game de vous proposer la possibilité de fréquenter plusieurs garçons à la fois : le jeu se terminera alors, d’une manière ou d’une autre, par un game over. Ainsi, la gourmandise n’est pas permise même si certains jeux comme Storm Lovers permettent à l’héroïne de pouvoir séduire plusieurs garçons sur une même partie, provocant alors des situations de rivalité entre les prétendants. 

Comment revêtir la panoplie parfaite du prince charmant

Les prétendants, parlons-en. Comme dans les shôjo mangas, on y retrouve de nombreux personnages dits « clichés ». Un otome game est en effet un véritable outil marketing et l’objectif est de donner envie aux jeunes filles de vouloir y jouer. Les RPG ont des clichés relous, c’est aussi le cas pour les otomes games.

On a droit, dans une majorité de jeux à l’ami d’enfance/meilleur ami secrètement amoureux de l’héroïne mais qui ne le voit pas, le sportif qui ne pense qu’à ses performances et veut écraser tout le monde, la rockstar/idol qui a plein de groupies à ses pieds en plus de se prendre pour Dieu, l’aîné de Terminale (ou même le professeur !) et/ou le garçon plus âgé qui peut s’adonner à la pédophilie sans que ce soit inquiétant, le petit jeune qui braille et qui rend fou avec son positivisme qui fait mal aux oreilles, le ténébreux et ses phases emo-dépressives parce que sa vie est dramatique et même parfois un psychopathe/stalker de service qui veut du bien à l’héroïne...ou du moins c’est ce qu’il dit.

Cette liste – très caricaturale – représente cependant une galerie assez exhaustive des personnalités des protagonaistes qui vont graviter autour de notre potiche héroïne. On ne leur demande pas d'être bourrés de charisme et d'intelligence ; seulement d'avoir une belle gueule – ce qui dépend, selon les goûts, de votre attrait ou non pour les japoniaiseries – et un comportement limité par leur personnalité et le scénario. Parce qu'à l'instar des galges où chaque fille a une personnalité stéréotypée pour plaire au public selon un bon nombre de caractéristiques, il en est de même pour ces bellâtres virtuels. Il ne faut donc pas attendre d'un otome game de proposer des personnages profonds. 

Des clichés comme s'il en pleuvait

De même pour les caractéristiques physiques, il n'est pas rare d'avoir l'impression de croiser un peu les mêmes personnages d'un jeu à un autre. Le design est souvent typiquement dans la veine des shôjo manga pour ne pas froisser le public cible souvent client de ce type de séries. De même que dans les otomes games se déroulant dans le milieu scolaire, on y retrouve tout un tas de personnages et de situations tout droit tirés de comédies scolaires dont les japonais raffolent.

Un exemple plus probant pour les non-initiés est le jeu RPG Persona 3 qui reprend un peu toutes les caractéristiques de l'univers scolaire japonais (on a même droit à la fameuse scène dans un bain Onsen!). Si c'est complètement risible pour le public occidental, les japonais(es) semblent réellement attaché à ces choses qui font/ont fait parti de leur vie à un moment donné.

Évidemment on trouve également des otomes games se déroulant dans des univers fictifs et non scolaires et avec des thèmes plus noirs comme la mort, la maladie ou même la violence. Certains jeux permettent même de finir avec le méchant de l'histoire comme dans Asaki, Yumemishi, Bloody Call ou même Hakuouki.

Pour autant les stéréotypes ont la vie dure, même dans un soft aussi éloigné que possible d'une quelconque réalité. D'une part car cela est vendeur d'un point de vue marketing mais aussi parce que les joueuses ont besoin de repères qui sont souvent représentés par les personnalités et le caractère de leurs prétendants virtuels. 

Un succès qui étonne avec des adaptations plus ou moins réussies

Les otomes games n’ont pas la prétention d’être des chefs d’œuvre, ni même de bouleverser l’histoire du jeu vidéo, comme le furent certains visual novels comme Clannad ou même Fate/stay night. Ce sont simplement de petites bulles de savon qui font un peu rêver, tout comme peuvent le faire les shôjo mangas mais dans une optique plus immersive. Pour autant le genre connaît un véritable succès depuis quelques années grâce aux adaptations en dessin animé desdits jeux. C'est d'ailleurs ce qui a permis au genre de devenir soudainement connu en occident, grâce à Internet principalement.

En fait, pendant très longtemps, dès qu'une série shôjo sortait, il n'était pas évident de faire le lien avec les otomes games, tant ce type de jeu restait méconnu. On peut cependant remarquer quelques adaptations réussies comme La Corda d'Oro un jeu à l'origine édité en 2003 par...Koei. Quand je vous disais que leurs jeux étaient plus que populaires ! La Corda d'Oro raconte l'histoire de Kahoko Hino, une jeune fille qui n'a aucun talent pour la musique mais qui est capable de voir Lily, une espèce de fée braillarde qui lui confie alors un violon magique. Notre cruche héroïne se retrouve donc embarquée dans un concours où participent de nombreux musiciens de son école...et essentiellement des bishônen (beaux garçons en japonais).

Dans un style totalement différent et au succès quasiment mixte pour le coup, on y trouve Hakuouki Shisengumi Kitan. À l'origine un otome game sorti sur PS2 et PSP en 2008, le jeu est adapté en série animée en 2010. Son succès vient de l'exploitation de l'histoire japonaise en faisant graviter des figures célèbres autour d'une théière sur pattes. Le scénario, basé sur l'Histoire avec un grand H du Japon suffit largement à donner de l'intérêt à la série animée mais aussi au jeu qui a bénéficié d'une sortie sur le territoire américain en langue anglaise en 2012.

Si je vous parle plus haut d'une théière sur pattes, c'est tout simplement que les héroïnes d'otomes games sont rarement pourvues d'intelligence ou d'une personnalité forte. La faute revient aux jeux en eux-mêmes qui proposent une protagoniste très plate et vide pour que la joueuse puisse totalement s'imprégner d'elle et adapter ses réponses en fonction de sa personnalité. Dans un anime, il devient assez vite difficile d'exploiter un personnage aussi plat, ce qui explique l'impression de cruchitude (faut que j’arrête d'inventer des mots) des moules sur pattes présentes dans les adaptations. 

Mais c'est quand même con comme jeu, non ?

Si certaines adaptations ont clairement réussi le pari d'être intéressantes, au-delà même de leur support original, ce n'est malheureusement pas le cas de toutes. Du coup, il est souvent difficile de présenter un type de jeu de manière positive quand on voit le nombre de navets qui sortent chaque année. Entre le soporifique Hiiro no Kakera, le sanglant et dérangeant Diabolik Lovers, le musical-attention-vos-oreilles Uta no prince-sama ou même le-hentai-soit-disant-romantique Kuro to kin to akanai kagi, vous êtes rapidement agacé et énervé pour peu que vous vous attendiez à quelque chose de charmant.

Le principal problème d'une adaptation d'un visual novel, c'est qu'il est important de considérer le travail sur le scénario vu que le matériel de base propose très souvent une histoire non linéaire. Si dans un otome game, on peut passer sur l'importance du scénario et se concentrer sur les personnages, c'est quelque chose de plus difficile dans un anime où il faut accrocher le spectateur avec des intrigues suffisamment intéressantes. Mais surtout, comme dit plus haut, les personnages étant souvent des stéréotypes sur pattes – même au niveau de leur background – il est alors délicat de transposer leur caractère dans un cadre plus dynamique qu'est un dessin animé.

Il est en effet parfois quasi-impossible d'adapter un visual novel en anime juste à cause de la narration ou simplement parce que les différentes routes emploient des choix par trop différents qui ne peuvent se regrouper. C'est le cas de Uta no prince-sama qui s'est vu proposer une histoire originale pour l'anime, empruntée de quelques passages du jeu pour le backgound des personnages. Mais des fois ce n'est tout simplement pas possible, comme l'a montré l'adaptation en dessin animé de l'otome game Amnesia. Le scénario est basé sur le thème des mondes parallèles et alternatifs selon les choix opérés par l'héroïne et l'anime échoue misérablement à retranscrire l'univers, faisant du visionnage un supplice pour le spectateur/trice.

Il est donc tout à fait logique que pour le public occidental – masculin ou non – ces séries animées soient un véritable calvaire, d'autant plus que le succès de celles-ci sur le territoire japonais tient de l'incompréhension totale. On en vient à regretter de voir d'aussi mauvais choix opérés pour des jeux qui ne sont pas forcément si niais, ni même mauvais. Certains titres mériteraient vraiment une adaptation réussie – rendue possible par le scénario – avec en tête de liste Heart no Kuni no Alice et Asaki, Yumemishi. 

Romantisme et libido font bon ménage

On a presque fait le tour sur les otomes games, sauf sur un sujet assez délicat : l'érotisme. Ne croyez pas que les filles sont uniquement des délurées romantiques. Les éditeurs de romans s'en sont rendu compte depuis plusieurs années : les femmes ne sont plus seulement réceptives aux romans à l'eau de rose et cherchent aussi les aventures coquines. Comment expliquer alors le succès du best-seller 50 Nuances de Grey qui s'arrache partout ? Pour les otomes games, c'est un peu pareil. Très vite, l'intérêt de faire des jeux érotiques pour femmes est apparu et certaines sociétés comme Mirai-Soft se sont même spécialisés dans l'édition d'otomes games érotiques, appelés souvent otoge, contraction des mots otome et eroge.

Alors, qu'est ce que ça donne un otome game érotique ? Eh bien, à peu de choses près, c'est la même chose que les eroges pour hommes. On aurait pu penser que ça serait beaucoup plus soft mais en réalité, les fantasmes japonais ont toujours ce côté étrange de faire pénétrer ses adeptes dans l'horreur pure de manière pas toujours subtile. Et malheureusement, dans le fabuleux monde des hentai, les filles ont rarement un traitement sympathique. Les otomes érotiques ne font pas exception à la règle avec son lot de scènes chaudes qu'on laissera à l'appréciation des amatrices.

D'un autre côté, si ce type de jeu existe même sous forme érotique, c'est bel et bien pour exploiter les fantasmes du public féminin dans un cadre purement virtuel. Il ne faut donc pas s'offusquer outre mesure puisque ces jeux ne font qu'être dans la mouvance des romances érotiques populaires chez le public adulte féminin. Pour l'instant, les otoges n'ont pas encore une très grand réputation puisque seul Kuro to Kin to Akanai Kagi de la société Little Cheese a eu droit à une déclinaison en dessin animée sous forme d'OAV (Original Animated Video).

En réalité, comme pour les eroges classiques, les otoges, se sont surtout beaucoup de scènes de sexe pour un scénario très minimal servant à alimenter les situations plus ou moins romantiques. On peut cependant remarquer que certains titres comme Hoshi no Oujo 3 et Under the moon ont eu droit à une version tous publics, l'un sur PC et l'autre sur PS2. Preuve s'il en est que certains ont d'autres arguments que leurs scènes chaudes ! Ils sont juste pas très nombreux...

Moi pas parler japonais

Jusque-là je vous ai surtout parlé des otomes games japonais qui, à l'exception de Hakuouki restent des exclusivités sur le territoire nippon. Si vous ne parlez pas la langue, tous ces jeux seront très difficiles d'accès vu qu'ils demandent une maîtrise de la langue parlée et écrite. Certains fans se sont dévoués pour donner des traductions en anglais de certains jeux comme Storm Lovers ou Starry Sky mais le plus simple est de tout simplement se tourner vers les otomes games occidentaux.

Ces initiatives de plus en plus professionnelles proposent des otomes games qui n'ont rien à envier à leurs homologues japonais – le charme en moins ? - en plus de proposer une langue beaucoup plus accessible. Enfin, si votre anglais est au niveau de « Brian is in the kitchen », vous risquez de tout autant galérer mais c'est déjà nettement moins compliqué que d'apprendre les Kanji.

Cependant, à l'instar des visual novels, ce type de jeu reste très localisé et les formats d'otomes games en français restent majoritairement sous la forme de « Pay to win ». À savoir que l'on pousse la joueuse à vider son compte en banque pour soit avancer plus vite, soit débloquer la suite d'une histoire, des illustrations ou même des scénarios supplémentaires. Ce procédé de plus en plus populaire grâce à l'essor des applications mobiles colle plutôt bien à ce type de jeu. Pour le reste, les quelques rares sociétés qui font des visuals novels / otomes games vendent leurs jeux via des boutiques en ligne pour des prix relativement abordables (entre 10 et 30 euros) et proposent donc un jeu complet sans quémander au joueur. 

Le vent tourne vers l'occident

En France, le jeu en ligne Amour Sucré, édité par la société Beemoov, remporte un gros succès depuis plusieurs années avec la joueuse qui avance dans le décor en utilisant des points d'actions. Le jeu fait figure de proue dans le milieu puisqu'il est, à juste titre, le premier jeu de drague pour filles en français. Depuis, d'autres jeux du même genre sont progressivement apparus sur Internet utilisant la même formule que Amour Sucré avec plus ou moins d'audace comme AnticLove de Tictales qui propose un jeu d'aventure/énigme teinté de romance.

Cependant les boites japonaises d'otomes games commencent elles aussi à sortir de plus en plus de jeux en version anglaise. L'éditeur D3 Publisher a édité un certain nombre de jeux sur mobiles et Idea Factory travaille aussi à la diffusion de leurs otomes games auprès d'un public occidental. Ainsi depuis l'été dernier les utilisateurs de Steam peuvent se procurer l'otome game Amnesia en langue anglaise.

Cette percée des éditeurs japonais sur le marché occidental impose une concurrence assez sévère avec les éditeurs occidentaux. Ces derniers s'étaient lancés sur le marché des otomes games pour pouvoir répondre à une demande et une offre inaccessible. Ces initiatives croisées sont la preuve que le genre séduit, mais surtout trouve son public.

Que retenir des otomes games ? Ce sont des jeux d'aventure et de romance destinés aux jeunes filles et femmes adultes les moins farouches. Si cela donne rarement des chefs d'oeuvre en dessins animés, force est de constater son succès (grandissant?) auprès du public féminin.