Image Comics existe depuis 22 ans. Entre succès initial et incapacité à confirmer, l’éditeur américain fondé par des artistes a tout connu avant de revenir aujourd’hui plus fort que jamais. Son ambition ? Devenir le premier éditeur de comics aux USA.
Article initialement publié en juin 2014 dans le magazine Pop Fixion #3
Pour bien comprendre la création d’Image, il est primordial de s’intéresser au contexte de l’époque. Au milieu des années 80, c’était la fin de ce qu’on appelle l’Age de Bronze des comics. Si ce dernier est dans la continuité de l’Age d’Argent qui avait vu revenir les super-héros chez DC et la création de Marvel, il avait apporté aux comics certains aspects réalistes du monde. Le tout puissant Comics Code Authority devenait un peu plus flexible, et on commençait à parler de drogues ou d’alcool par exemple. Cette tendance présageait de l’âge suivant des comics, celui qu’on aime appeler l’Age Moderne. Les ventes de comics (et de nombreux collectionnables) augmentent au début de cette période, et les artistes, en plus d’affirmer leur style et leur personnalité, se font mieux connaitre du public et commencent à acquérir une certaine renommée : on n’achète plus seulement un comics pour son personnage principal, mais pour les gens qui travaillent dessus.
C’est d’ailleurs surtout les dessinateurs qui vont marquer les esprits de l’époque, et être un argument de vente. Leurs styles deviennent reconnaissables au premier coup d’œil, et ils deviennent un argument d’achat pour un comics. Par exemple, Todd McFarlane qui s’est retrouvé sur Spider-Man a rencontré un énorme succès, si bien qu’on lui a proposé d’écrire sa propre série sur le héros. Le numéro 1 de celle-ci, sorti en août 1990, a été vendu à 2,5 millions d’exemplaires ! A titre de comparaison, le numéro 1 de la dernière série Spider-Man à avoir été lancée, Superior Spider-Man, a été vendu à « seulement » 210 000 exemplaires (et c’est un bon score). Même histoire avec Jim Lee, mais sur les X-Men cette fois : une nouvelle série X-Men est lancée avec la collaboration de Lee et Chris Claremont. Le numéro 1 est vendu à 8,1 millions d’exemplaires et reste à ce jour, le comics le plus vendu de tous les temps. Idem pour Rob Liefeld dont le numéro 1 de sa nouvelle série, X-Force, s’est vendu à 4 millions de copies.
Création d'Image
Il faut bien imaginer l’état d’esprit de l’époque, et à quel point il était incompatible avec le fonctionnement de l’industrie. En effet, quand on voit les chiffres de ventes de Marvel à l’époque, on peut avoir le tournis. Cependant, les artistes qui travaillaient pour cette compagnie étaient des employés, ils ne touchent aucun pourcentage sur les ventes. Pire, si un auteur créait un personnage, il n’avait aucun droit dessus, celui-ci était la propriété de l’éditeur. Il est compréhensible que des artistes, voyant Marvel se faire des millions avec leurs noms, en aient ras-le-bol et aient décidé de tenter l’aventure ailleurs. Il y eut de nombreux départs à l’époque, mais celui qui marqua le plus, c’est celui des créateurs d’Image Comics.
Un groupe d’artistes travaillant pour Marvel s’indigna et souhaita avoir plus de reconnaissance financière et artistique. Comme rien ne changea, ils sont 7 à partir pour fonder Image : Todd McFarlane, Jim Lee, Rob Liefeld, Erik Larsen, Marc Silvestri, Whilce Portacio, Marc Silvestri, et Jim Valentino. L’annonce fait mal et fit perdre 3,25 $ à l’action Marvel. Le principe de ce nouvel éditeur est simple : Image ne possède pas le travail d’un artiste, seul le créateur le possède, et les différents partenaires n’ont aucune influence sur le travail de l’autre, que ce soit d’ordre créatif ou financier. A partir de ce moment-là, chacun des membres va créer son propre studio qu’il dirigera comme bon lui semble. On compte 6 studios à l’époque, car Whilce Portacio dut quitter l’aventure suite aux problèmes de santé de sa sœur.
En 1992, les premiers titres d’Image arrivent sur le marché. L’éditeur peut rappeler le fonctionnement d’une coopérative, ce qui lui permet de s’associer à un petit éditeur, Malibu Comics, qui leur fournit un support administratif, mais aussi de production, de distribution, et de marketing. Les ventes furent impressionnantes pour un éditeur indépendant, et en quelques mois, Malibu possédait presque 10% du marché du comics d’Amérique du Nord, et dépassa même DC pendant un instant. En 1993, Image avait suffisamment d’argent pour se séparer de Malibu et voler de ses propres ailes. Marvel et DC n’étaient désormais plus seuls, et Image proposait une alternative pour une création totalement contrôlée par son auteur.
Les six studios d’origine
Todd McFarlane Productions
Comme son nom l’indique, il s’agit du studio de Todd McFarlane, et c’est surtout celui qui a sorti un des plus gros succès d’Image : Spawn. Le numéro 1 de la série sorti en 1992 s’est écoulé à 1,7 million d’exemplaires, ce qui est encore un record pour un titre indépendant. Le personnage de Spawn est une création que McFarlane avait dans ses cartons. On retrouve un peu de Spider-Man et de Batman, mais à la différence que c’est un anti-héros sur fond de bataille entre le ciel et les enfers. Dès le début de la série, McFarlane sait s’entourer d’artistes qui vont l’aider à développer son univers (Alan Moore, Neil Gaiman, Dave Sim, Frank Miller…). Des mini-séries plus ou moins longues sortiront aussi, et toutes tourneront autour de Spawn.
Mais l’originalité de Todd McFarlane Productions, c’est de s’être développé dans d’autres domaines que les comics. En 1994 est créé McFarlane Toys. Sa marque de fabrique est de proposer des figurines détaillées, mais à un prix très abordable. Au début, la production se centre sur des personnages de l’univers de Spawn, mais elle va très vite s’étendre à toute la culture pop avec des personnages de films, de séries, de jeux vidéo, mais aussi des groupes de musiques ou encore des sportifs. L’autre filiale créée en 1996 est McFarlane Entertainment, un studio de cinéma et d’animation. En 1997, celui-ci produira en association avec New Line le film Spawn qui, même s’il a été très critiqué, a ramené plus de 87 millions de dollars pour un budget de 40 millions. Bien mieux reçu par les critiques, la série animée Spawn est diffusée sur HBO de 1997 à 1999. Bref, dans les années 90, l’univers de Spawn était un immanquable d’Image. Cependant, Todd McFarlane Productions a eu des hauts et des bas. On se souvient du procès avec Neil Gaiman principalement sur le personnage d’Angela dont Gaiman réclamait des droits. Un comble quand on sait pourquoi Image s’est formé. Le procès qui s’est étalé sur plusieurs années s’est terminé avec le transfert d’Angela chez Marvel !
Top Cow Productions
Top Cow est le studio fondé par Mark Silvestri. Pour le line-up de sortie en 1992, l’artiste avait créé une série, Cyberforce, racontant les aventures d’une équipe de mutants. La série s’est arrêtée plusieurs fois et en est aujourd’hui à son quatrième volume. Mais ce qui allait devenir le cœur de Top Cow arrive en 1995. Witchblade, une série policière lorgnant vers la fantasy, est lancée et marque les débuts au dessin de Michael Turner. Un spin-off en fut tiré, The Darkness, avec le retour de Silvestri au dessin. Cet univers fut développé par la suite avec de nouveaux personnages et des mini-séries. L’achat de la licence de Tomb Raider permit même d’incorporer Lara Croft à cet univers. Si Witchblade et Darkness ont été portés en séries TV, en animé et en jeux vidéo, Top Cow ne s’est pas occupé de la production.
Le studio a aussi la particularité d’avoir créé d’autres studios. En effet, lorsque Michael Turner désire faire sa série Fathom, c’est un studio qu’il ouvre pour pouvoir développer son univers. Même s’il appartient à Top Cow, cela lui permet de totalement contrôler sa création. D’ailleurs, il s’en ira avec en 2003 en fondant Aspen Comics. Autre studio à apparaitre en 1998 est Joe’s Comics, regroupant des séries écrites par J. Michael Straczynski. En outre, celui-ci, après une pause, a relancé le studio en 2013. Top Cow est un studio avec un style de dessin assez reconnaissable qu’on peut dire dérivé de celui de Silvestri. De nombreux auteurs ont été lancés par ce studio dont Joe Benitez, Michael Turner et David Finch. Récemment, un évènement a été annoncé se nommant Top Cow Rebirth, afin de fêter les 20 ans de Top Cow. Il lui a permis de relancer son univers en 2012 notamment l’univers Witchblade/Darkness, mais aussi Cyberforce grâce à une campagne Kickstarter.
WildStorm Productions
Il s’agit du studio fondé par Jim Lee. Wildcats est la première série à être lancée en 1992 par l’auteur, puis d’autres suivront comme Gen¹³, The Maxx, Stormwatch ou Wetworks. Whilce Portacio, qui avait raté les débuts d’Image, vient créer sa série chez Wildstorm. Des auteurs comme J. Scott Campbell ou Sam Kieth y débutent. Le studio diversifia ses activités en produisant des figurines avec cependant beaucoup moins de succès que McFarlane Toys, mais aussi et surtout en se lançant dans la production de cartes à jouer dans la lignée de Magic. Wildstorm propose de nombreuses séries ayant plus ou moins de succès avec des auteurs plus ou moins connus. En 1997, le label Cliffhanger est lancé avec des séries comme Danger Girl de J. Scott Campbell, Battle Chasers de Joe Madureira ou Out There de Humberto Ramos par exemple. A la fin des années 90 cependant, avec la crise des comics, Jim Lee cherche à vendre Wildstorm. Il trouve son acheteur en 1998, il s’agit de DC. Wildstorm quitte donc Image définitivement en janvier 1999.
Extreme Studios
Extreme Studios est le nom du studio de Rob Liefeld au lancement d’Image en 1992. Sa première série, Youngblood, est aussi la première série Image, et le numéro 1 est le comics indépendant le plus vendus de tous les temps au moment de sa sortie. D’autres séries suivront comme Badrock, Bloodstrike, Prophet ou Supreme par exemple. En parallèle, Liefeld lance son propre studio en dehors d’Image, Maximum Press, ce qui laisse présager la suite. Digne de la réputation qu’il commence à se forger, des conflits apparaissent entre Liefeld et le reste d’Image, ce qui conduit l’homme à quitter Image et à fonder Awesome Studios avec ses personnages d’Extreme.
Highbrow Entertainment
Le studio d’Erik Larsen est surtout connu pour avoir publié Savage Dragon. Depuis 1992, la série est toujours écrite et dessinée par Larsen ce qui en fait le plus long run d'un comics couleur fait par un seul dessinateur/scénariste.
Shadowline
Le studio de Jim Valentino a sorti une série en particulier de son créateur : ShadowHawk. Cependant, les publications du studio sont assez sporadiques. Récemment, son site internet fut relancé afin d’accueillir des webcomics. Ce fut aussi l’occasion de créer un sous-studio, Silverline Books, afin de proposer des séries pour tout âge.
Image aujourd'hui
Le visage d’Image a beaucoup évolué depuis ses débuts. Déjà, les séries lancées en 1992 et qui existent encore sont rares (Spawn et Savage Dragon), et les autres ont soit subi des relances soit disparu. Mais surtout, des studios ont fermés. Aujourd’hui, le cœur d’Image est ce qui est appelé Image Central et propose beaucoup de séries qui, du coup, n’appartiennent pas à un studio d’Image mais à leurs créateurs. D’ailleurs, des studios partenaires, il n’en reste que deux : Todd McFarlane Productions et Top Cow Productions (comprenant le label Joe’s Comics). Le retour d’Image sur le devant de scène a commencé avec l’arrivée de Robert Kirkman. En effet, en 2003, l’artiste sort deux séries comics encore en cours aujourd’hui : Invincible et The Walking Dead. Invincible amène le renouveau du super-héros et aujourd’hui, avec ses spin-off, son univers est l’un des plus importants d’Image. The Walking Dead est clairement le plus gros succès d’Image des années 2000. Encore aujourd’hui, la série se vend très bien. L’importance que prend les séries de Kirkman chez Image amènera l’artiste à devenir un partenaire de l’éditeur en 2008, puis à créer son propre label, Skybound, ce qui lui donne l’occasion d’y regrouper toutes ses séries.
Aujourd’hui, les ventes d’Image sont loin d’être aussi importantes qu’à leurs débuts. Leur part de marché se situerait dans les 7%. Cependant, c’est sans compter les rééditions et les albums reliés –pour lesquels Image détient une grosse part de marché– qui rencontrent de plus en plus de succès aux Etats-Unis. D’ailleurs, pour les albums reliés, il arrive souvent qu’Image fasse de meilleures ventes que DC et Marvel, notamment grâce à The Walking Dead. De plus, certains auteurs stars souhaitant créer leur propre série se tourne de plus en plus vers Image, pourtant concurrencé par Marvel Icon ou Vertigo chez DC. En effet, Image ne prend aucun pourcentage sur les ventes en fascicule, uniquement sur les albums reliés, contrairement à Marvel Icon par exemple. On a pu voir par exemple Ed Brubaker et Sean Philips quitter Icon pour aller chez Image, ou alors Brian K. Vaughan quitter Vertigo pour Image. La série de Vaughan, Saga, est d’ailleurs un des gros succès critiques et commerciaux de l’éditeur. Et on compte de plus en plus d’auteurs, dont le nom fait vendre, qui arrivent chez Image : Brian Hitch, Mark Millar, Frank Quitely, Grant Morrison, Jonathan Hickman, Matt Fraction… Bref aujourd’hui, Image connait une seconde naissance, 20 ans après la première, et devient un sérieux concurrent à Marvel et DC.
Image reste tout de même un éditeur indépendant, ce qui lui permet d’avoir une grande liberté dans ses publications. En effet, si à plusieurs reprises, l’éditeur a essayé d’avoir un seul et même univers pour toutes ses séries, ce n’est plus du tout le cas. La diversification des artistes permet aussi de produire des œuvres originales et parfois novatrices. Pour revenir sur Saga, si le synopsis semble classique, l’ambiance et l’univers inventé n’ont jamais été vu ailleurs. D’ailleurs, le sexe y est présent, et la série a été en partie censurée par Apple lors de sa sortie numérique. La liberté des artistes semble donc totale. De plus, si certaines séries ont plus de 100 numéros à leur compteur, ça reste assez rare, ce qui rend les séries accessibles. Et de toute façon, chaque série ayant son univers, pas besoin de connaitre avant de se lancer dans une série. Finalement, Image, en plus de posséder les forces des gros éditeurs comme DC et Marvel, possède aussi celles des plus petits éditeurs indépendants comme Dark Horse ou IDW.
Image en France
Lorsqu’Image est lancé aux Etats-Unis, le paysage français du comics n’était pas bien développé. En effet, seul Marvel avait des publications régulières grâce à Sémic France, un éditeur scandinave qui avait récupéré la licence de LUG en 1989. Image Comics arrive plus tard en France, au moment où Panini rachète les droits Marvel en 1996. Sémic décide de continuer à publier du comics en sortant des séries DC et Image. Plusieurs sont publiées dans leur propre fascicule : Spawn (1995), Youngblood (1995), Wildcats (1995), Savage Dragon (1996), Cyberforce (1995), Witchblade (1996), Gen 13 (1997). Certains ne durèrent pas longtemps comme Youngblood (6 numéros) ou Savage Dragon (4 numéros). De nombreuses séries suivirent et permirent à l’éditeur de survivre.
En 2004, c’est la fin de Semic qui perd ses licences. Le catalogue est principalement repris par Delcourt sous l’impulsion de Thierry Mornet, un ancien de Sémic, qui va limiter les fascicules et se concentrer sur la librairie. Spawn, qui ne s’était jamais arrêté depuis son début en France en 1995, continue son aventure en kiosque par Delcourt, accompagné d’Aspen Comics et Top Comics, les trois seuls fascicules. Ils s’arrêteront les uns après les autres, jusqu’à Spawn le dernier qui s’arrête en 2011. Les séries sont continuées en librairie, et beaucoup de nouvelles apparaissent. Mais le gros coup de Delcourt, c’est de publier Walking Dead en 2007 (pourtant le tome 1 avait déjà été publié par Sémic en 2005). Le succès est énorme, et ce pour chaque tome. Il s’agit largement du comics le plus vendu en France, ce qui permet à Delcourt d’être le premier vendeur de comics en France.
Cependant, Image Comics n’est pas publié en France que par un seul éditeur. En effet, les droits appartenant aux auteurs, libre à eux de choisir l’éditeur qui les représentera en France. Urban Comics a par exemple récupéré les droits de Saga, mais aussi d’autres séries comme East of West ou John Prophet. Et c’est le cas aussi en moindre mesure pour Panini et Glénat.