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De la lecture des comics au kilo

La gourmandise est un des septs péchés capitaux. De nos jours, c'est toute notre consommation qui est gloutonne, y compris celle effrénée des comics.

Si les films de super-héros cartonnent au cinéma depuis environ quinze ans, il ne faut pas oublier que ce phénomène est avant tout lié à la bande dessinnée, appelée comic-book aux USA. Depuis la première moitié du 20ème siècle, le public américain, et progressivement mondial, dévore chaque mercredi - pour la version originale, date de sortie des nouveaux numéros - ses histoires préférées.

Si la publication d'un titre est presque toujours mensuelle, les éditeurs multiplient depuis toujours les séries pour tenir en haleine le lecteur tout au long du mois. En découle un principe simple : si le robinet à comics s'écoule sans fin, qu'est-ce qui va pousser le lecteur, ou le fan selon son dégré d'implication, à réduire, voir stopper, sa consommation ? Il faut dire que les habitués du genre, moi y compris, n'y vont pas avec le dos de la cuillère.

Un constat alarmant

Il existe autant de types de lecteurs que de types de publications. Du fan d'une seule série à celui qui lit tout, de l'amateur éclairé qui sélectionne les titres selon les artistes à celui qui attend la sortie en album relié pour se faire un avis, on peut dégager des habitudes plus ou moins réfléchies. Partons du principe que le lecteur lambda, une fois la période de découverte du média passée, possède un budget respectable et une plage de temps régulière pour lire ses achats. Ces deux présomptions sont à elles seules sujettes à débat, chacun ayant une vision différente du budget et du temps à allouer à cette passion.

En partant du principe que l'on est un bon gros lecteur de comics, posez-vous la question suivante : en moyenne, combien de comics lisez-vous ? Là, immanquablement, vous allez me rétorquer que cela dépend de la période donnée, ou de la fréquence, c'est à dire du temps alloué à cette activité chaque semaine ou mois. Parfois vous lisez beaucoup, d'autres fois presque rien. Vu que l'achat d'un comics n'impose pas sa lecture immédiate, en tant qu'être humain qui a tendance à accumuler des objets inutilisés, on repousse la lecture à plus tard.

Cependant, pour le besoin de cet article, on a décidé que l'on dédiait un temps moyen régulier et suffisant à cette activité. Néanmoins, vu que l'on achète, pose l'objet et l'oublie, ce temps respectable n'est pas suffisant pour rattraper le retard qui s'accumule au fil des semaines. On a tous des bibliothèques surchargées et les bureaux sont remplies de piles de comics. Il nous faut donc immanquablement plus de temps pour lire que celui a notre disposition.

Les deux extrêmes d'une situation ne sont jamais enviables. Lire une fois de temps en temps ne permet pas de tout couvrir. À l'inverse, lire tout le temps...c'est faisaible si cela devient votre travail (journaliste/blogueur, vendeur, éditeur, pas artiste, ils n'ont pas le temps). Résumons : nous accumulons des comics jusqu'au débordement et pas assez de temps pour les lire, mais on continue pourtant d'acheter régulièrement de nouveaux comics. Il nous semble quasi-impossible d'être à jour sur toutes ses séries passé un certain nombre. On est donc constamment en retard et cela en devient décourageant.

Toutefois, notre passion nous ratrape et on passe fréquemment en mode glouton pour ingurgiter du comics au kilo lors de séances effrénées de lecture. D'où l'expression, car cette pile de papier commence à peser lourd. Le pire, c'est que l'on ne fait plus de distinction en enchaînant les séries pour réduire cette masse d'oeuvres étalées sur notre bureau ou gonflant la mémoire de notre tablette. L'offre commerciale est énorme, et comme face à un banquet gargantuesque, on a les yeux plus gros que le ventre. Certains achètent même des bacs entiers de comics, mais ne nous égarons pas sur la pente du collectionneur, c'est un tout autre débat encore plus épineux... De là en découle un défi, presque une résolution nécessaire pour conserver sa santé mentale : limiter sa consommation de comics en définissant un catalogue plus restreint. Problème, cela génère une frustration. Donc on ne le fait pas. Bref, quoiqu'il arrive, on est niqué.

Les raisons du mal

Finalement, le vrai problème est plus profond : avec toutes ces lectures et entre toutes ces sessions non régulières et désynchronisées, est-ce que l'on se souvient de tout ? Fréquemment, on cherche tous à se rappeler la fin du dernier épisode du comic-book en ouvrant le nouveau. Au minimum un mois s'est écoulé et on a lu d'autres trucs. Que dire quand on lit avec trois ou quatre mois de retard.... Soyons clairs : avec ce type de consommation, est-ce qu'on savoure vraiment sa lecture ? Non. Malgré tout, on a du mal à abandonner, piégé dans son addictation aux mondes imaginaires.

Le coupable est identifié : l'addiction. On adore lire ces comics, et même si on n'a pas le temps, dès l'instant où l'on replonge, on retrouve ce plaisir (non coupable pour le coup). Pas de limites budgetaires pour ce type de création comparé aux médias "écrans" (cinéma, télévision, animation, jeu vidéo), une lecture rapide, des styles variés que ce soit pour le scénario ou les dessins (l'industrie a bien évoluée en plus de 80 années), tout est fait pour ne pas s'attarder trop longtemps en cas de mauvaise surprise. On pioche parmi les nouveautés, on teste un projet spécial d'un éditeur, on fait confiance à un artiste que l'on apprécie, chacun a ses critères de sélection.

Une histoire sans fin

L'avantage concurrentiel massif qu'ont les comics, ce sont les concepts d'univers partagé et de continuité. Le premier permet de regrouper dans un même monde ou univers (voire multivers) tous les personnages et séries d'un éditeur. Son catalogue forme un ensemble commun, évoluant plus ou moins de concert à coup d'événements plus ou moins spectaculaires. Forcément, la curiosité nous amène à lire le plus de séries possibles pour tout suivre, sauf dans le cas des lecteurs expérimentés capables de se couper de certains licences qu'ils n'apprécient pas. Hormis ces fans insensibles aux sirènes commerciales et aux grosses ficèles éditoriales, on est tous fasciné par l'évolution des univers Marvel et DC. Les autres se réfugient vers les éditeurs dits indépendants.

Le principe de la continuité renforce aussi cet attachement. Tout ce qu'il s'est passé, se passe ou va se passer dans une série sera conservé et réutilisé dans celle-ci ou dans tout autre titre de l'éditeur. C'est un engagement tacite : vous lisez deux séries, elles sont liées, on ne va pas vous trahir. Si un personnage meurt dans une série, il ne peut pas réapparaitre dans une autre, sauf si elle se déroule avant. Bon, dans les faits, ce n'est pas le cas, voire plus du tout le cas. De simple retcons (retouches scénaristiques), on est passé à la mode des reboots à gogo ou amnésies collectives. Les éditeurs ne respectent plus vraiment la continuité et, à moins de chercher des maux de tête, il vaut mieux s'accomoder de ce qu'on a.

De plus en plus de lecteurs cherchent donc désormais uniquement à apprécier une histoire indépendamment des autres, se doutant que la machine éditoriale risque de briser les codes des comics pour d'obscures (mais logiques) raisons commerciales. L'astuce, c'est qu'avec des histoires sans fin vu que les séries seront toujours publiées sous une forme ou une autre, on est constamment tenté de revenir et donner une seconde chance à une publication qui nous avait déçu. Résultat, on augmente encore la pile de lecture sur notre bureau. Quand on vous dit que c'est une histoire sans fin...

Cet article vilipende la lecture excessive de comics, mais son auteur est bien faible car il a par exemple pris un énorme plaisir à dévorer la cinquantaine de mini-séries liées au crossover Marvel Secret Wars. Et vous, comment lisez-vous ?

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2 commentaires

  1. gwegs
    Le 17 mars 2016 à 21:31

    article vraiment très intéressant.. Lisant des comics depuis bientôt 10 ans je me reconnait parfaitement dans le profil décrit d'acheteur compulsif.. Je lis environ 50 comics Vf/VO et DC/Marvel et Indés.. Il est donc extrêmement difficile de tout suivre, et surtout de ne pas se ruiner ! C'est vraiment une machine infernale. Depuis peu je me restreint uniquement à ce que j'ai déjà commencer, plus aucune nouvelle série ! Mais le budget d'un collectionneur et comics-addict doit être rudement élevé pour pouvoir être à jour partout ! La boucle n'en finit donc jamais..

  2. Farid
    Le 17 mars 2016 à 22:16

    Merci gwegs !

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