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Lazarus : une femme forte dans un monde capitaliste

Greg Rucka a une histoire particulière avec les femmes. Il faut dire qu'il a toujours su les valoriser dans ses scénarios. Sa nouvelle série mensuelle publiée chez Image Comics met en scène une dame qui doit gérer les affaires sanglantes de sa famille.

Les mondes post-apocalyptiques sont à la mode ces dernières années. Toutefois, ne vous attendez pas à trouver dans l'univers du comics Lazarus une société anarchique secouée par des milices, zombies ou clans barbares. Non, dans Lazarus, tout est extrêmement codifié, et c'est ce qui pose problème à notre héroïne, Forever Carlyle.

VISION D'UN MONDE POST-APOCALYSE

Ce comics nous propose la vision d'un monde dominé par des corporations impitoyables qui dirigent la vie de tous les êtres humains. Tout part d'une thèse scientifique sur la moralité de la sélection naturelle en cas de crise économique. Les partisans de cette thèse deviennent rapidement des consultants pour de nombreux gouvernements qui vont jusqu'à privatiser les économies nationales. Les pays d'Europe du Sud testent en premier la méthode (Grèce en tête) et, face au succès, ceux d'Afrique et d'Amérique du Sud font de même. Quand l'économie chinoise explose suite à des spéculations financières, la technique est adoptée par ce géant mondiale.

Logiquement, les entreprises qui consultent ces nations deviennent trop grosses et s'engagent même dans des conflits armés. La crise chinoise fait alors paniquer le monde entier et les corporations appliquant la dite technique se voient dotés de prérogatives démesurés. Elles prennent rapidement le contrôle des états alors que des émeutes éclatent avec plusieurs millions de morts à travers le monde. Quand les 16 familles les plus puissantes de ce nouveau système économique se réunissent pour définir une association bénéfique (notamment un pacte de non-agression), c'est la naissance d'un nouveau monde.

Ces familles prennent ainsi le contrôle physique de territoires immenses, assumant elles-seules la sécurité et le développement de l'économie. Tout le monde s'incline face à ce pouvoir, soit pour intégrer le cercle des assistants, appelé Serfs (comme au Moyen-Âge), soit pour survivre en tant que Waste, c'est à dire les déchets. Ainsi, à chaque nouveau lieu présenté, on nous précise le nombre de membres de la famille présents, mais aussi le nombre de Serfs, c'est à dire les individus privilégiés travaillant pour la famille, et enfin si possible le nombre d'humains négligeables. La technologie est avancée, mais la société est féodale. Pour contrôler ces populations sans interagir avec elles, chaque famille possède son Lazarus. C'est un agent immortel (grâce à la science, il peut guérir de presque tout), un combattant incroyable élevé dès sa naissance pour servir sa famille. Dans le cas de notre héroïne, Forever Carlyle, la Lazarus de la famille Carlyle, il s'agit de la fille du chef de famille. Enfin, c'est ce qu'on lui raconte depuis son enfance, mais elle sent bien une différence entre elle et les siens. Qu'elle est donc sa place ? Doit-elle continuer à servir aveuglément sa famille ?

GRECK RUCKA A ENCORE FRAPPE

Greg Rucka est un romancier américain de 45 ans. Sa carrière dans l'industrie des comics est couronnée de succès, aussi bien critique (4 Eisner Award, l'équivalent des Oscars) que commercial. Il réalise en 1998 son premier coup d'éclat : le comics Whiteout (adapté depuis en film). Il récidivera dès 2001 avec Queen & Country chez Oni Press, puis Stumptown en 2009.

Figure importante de l'éditeur DC Comics dans les années 2000, Rucka a été de tous les bons projets. Il a scénarisé plusieurs séries Batman, mais aussi des épisodes du crossover Final Crisis, la série Checkmate et celle sur Wonder Woman. Il a fait partie des scénaristes aux commandes du projet original 52 qui racontait pendant un an (une publication hebdomadaire) l'histoire de l'univers DC durant l'année écoulée entre Infinite Crisis et One Year Later. Rucka a aussi scénarisé la série Action Comics à l'époque où Superman vivait avec des réfugiés Kryptonniens, une époque connue sous le nom « New Krypton ». Un autre des ses travaux majeurs est sûrement Gotham Central, la série mettant en scène les policiers de la ville de Batman.

Greg Rucka a aussi travaillé pour Marvel. Il a lancé le 3ème volume de la série Wolverine et travaillé sur le titre Elektra. Son dernier comics chez cet éditeur reste la série Punisher, un très bon run qui mérite plus d'attention. Depuis 2013, il se concentre sur le comics Lazarus chez Image Comics, reprenant ainsi sa liberté créative, chose importante quand on connaît les différents qui l'ont amené à quitter DC mais aussi Marvel.

IMAGE COMICS A ENCORE FRAPPE

Il faut dire que la tendance actuelle, que ce soit pour un dessinateur mais surtout pour un scénariste, c'est de faire un gros doigt d'honneur aux Big Two (Marvel et DC) et d'aller chez Image Comics publier sa propre série. Les artistes font ce qu'ils veulent, peuvent proposer des pitchs fous sans restriction, sans continuité, sans impossibilité d'utiliser un personnage ou de lui faire perdre sa jambe, bref, les artistes sont libres ! Curieusement, cela semble marcher parfaitement.

Si on observe les séries lancées en 2013, nous remarquons des comics qui ont tous plus ou moins secoué le marché : East of West, Sex Criminals, Black Science, Deadly Class, Pretty Deadly, Velvet, Zero et donc Lazarus. On peut ajouter les pépites de 2014 (Trees, Birthright, The Fade Out) et le nouvel ogre de l'industrie lancé en 2012, Saga. Lazarus a pour vedette une femme, mais ce n'est pas le seul comics de l'éditeur a rendre hommage au sexe fort. Rien que dans les nouvelles séries, on peut ajouter aux séries déjà mentionnées les titres Bitch Planet, Copperhead, ODY-C et The Wicked and Divine.

C'est une tendance de fond des années 2010 dans les comics. Marvel lance ainsi chaque mois des séries centrées sur des femmes qui ne visent pas uniquement un public féminin. Marvel propose désormais des séries solos centrées sur des femmes qui n'ont rien à envier aux hommes : Black Widow, Captain Marvel, Ms Marvel, Spider-Woman, She-Hulk, Storm, Silk, Spider-Gwen, Thor version femme, Angela... Le constat est moins évident chez DC Comics, mais les séries sont mieux installées : Wonder Woman, Catwoman, Harley Quinn, Batgirl, Supergirl et Batwoman (que des déclinaisons de la Trinité). 

Greg Rucka a toujours offert aux femmes une place de choix dans ses comics. Outre ses séries indés (ce sont toujours des héroïnes) et son run sur Wonder Woman, c'est lui qui a donné à Batwoman son statut actuel (la hype est moins forte aujourd'hui qu'à son apparition) et proposé une Punisher assez réaliste récemment.

POURQUOI CE COMICS EST BON ?

C'est bien beau de faire l'éloge du féminisme, mais c'est mieux quand on découvre que les comics reposant sur une héroïne sont aussi bons que ceux des musclors. Dans Lazarus, Forever est capable de massacrer ses adversaires tout en cherchant des émotions bienveillantes à son égard dans le regard des siens. Éduquée comme un soldat (pas comme un homme mais un soldat), on apprécie de la voir déambuler parmi ses soldats tel un géant du manga Ken Le Survivant. Rucka n'oublie pas pour autant sa féminité et démontre que cela n'a rien de naturelle chez une femme. La voir lutter avec ses émotions, alors que son rôle de garde du corps/exécuteur la fait inconsciemment refréner ses sentiments, est fascinant. 

Outre ce sublime personnage, le scénariste nous dépeint un monde effarant où le quidam est forcé de quémander la protection des familles dirigeantes pour survivre. La technologie ne protège plus ces gens qui sont des esclaves modernes. Si les familles sont alliées dans la direction de ce monde, elles n'en oublient pas que la nature humaine va toujours refaire surface. Les joutes diplomatiques sont donc au cœur du développement de l'histoire, en attendant que Forever dévoile le mystère de ses origines. 

Enfin, comment ne pas savourer la page Courrier des Lecteurs publiée à la fin de chaque numéro ? Greg Rucka s'implique énormément. Il propose une chronologie détaillé des événements aillant précédés la situation actuelle. Il présente aussi chaque famille, logo et chiffres à l'appui. Enfin, il répond aux questions des fans sur la vie quotidienne de ce monde et les interactions entre les personnages, ainsi que le futur de la série. Tout ce qui ne peut pas être inclus dans les pages dessinées est ajouté à cette partie du comics. L'implication du scénariste renforce donc la crédibilité de ce monde, en espérant en apprendre toujours plus une fois que le scénario se recentrera inévitablement sur le destin de Forever.

Lararus ne révolutionne pas la science-fiction, mais c'est un comics efficace proposant une dystopie dangereusement réaliste. Son héroïne n'a rien à envier aux bombasses des Big Two et pourrait bien dans quelques années s'offrir une place au panthéon des belles demoiselles à ne surtout pas froisser. 

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