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Interstella 5555 : Quand narration rime avec ambition

Leiji Matsumoto & Daft Punk, deux grands noms de la pop culture qui ont su transcender leur art dans un projet cinématographique à part. Bienvenu dans The 5tory of the 5ecret 5tar 5ystem.

Interstella 5555 est un film d’animation particulier dans sa structure, il fait en effet le choix de ne pas intégrer de dialogues et autres voix off pour raconter son histoire. Il possède une seule ambition, faire partager un récit uniquement par l’image et la musique. C’est le film muet moderne par excellence, des personnages vivent une aventure et la musique va créer une ambiance, une rythmique permettant de souligner les intentions scénaristiques de l’œuvre, comme les orchestres qui jouaient dans les cinémas jadis. Malgré cette ambition créative et les grands noms derrière la création du film, il faut reconnaître qu’il n’a pas réussi à marquer de manière durable l’histoire de l’animation. Il est pourtant le porteur d’une grande richesse dans sa forme et son propos, deux éléments qui vont être présentés par la suite de manière objectivement passionée.

LA GENESE

Si aujourd’hui le duo Daft Punk est devenu un symbole de la pop music, avec des sons qui touchent le monde entier accompagnés d’une communication ultra contrôlée et markettée, il faut comprendre qu’à l’époque du projet Interstella 5555  leur popularité était loin d’être aussi grande. Avec un album à leur actif, Homework, les Daft avaient réussi a imprégner leur marque sur la House music qui devint rapidement une spécificité française avec la French Touch.  Un beau succès donc mais qui restait très lié à ce courant musical des années 90,  il y avait donc encore un certains chemin à parcourir avant de devenir des icônes.
Leiji Matsumoto en était une d’icône lui, célèbre Mangaka il avait créé le personnage de Captain Harlock/Albator en 1969 et a œuvré pendant les années 70 à rendre populaire son univers avec notamment plusieurs séries d’animations. Matsumoto était un mythe, un style graphique très reconnaissable illustrant des histoires spatiales teintées de mystère et de poésie.

Et pourtant en 2000 les  Daft Punk viennent taper à la porte de ce grand monsieur avec leur nouvel album Discovery sous le bras. Si ce disque était bien un objet de musique avant tout, qui deviendra une source de tubes intemporels, il avait aussi comme désir caché de raconter une histoire de space opera et c’est là que les grands esprits se sont rencontrés. Matsumoto a été séduit par ce projet graphique inédit pour lui, et Daft Punk accompagné de leur ami Cédric Hervet ont fournit les clés d’une histoire mêlant aventure spatiale et critique de l’industrie musicale. Associés au plus célèbre des studios d'animation, la Toeï, les graphismes de Matsumoto prennent ainsi vie. Il faudra attendre 2003 pour que le film sorte, présenté à Cannes il avait toutefois été entrevu à l’aide des clips de l’album Discovery qui constituent le prologue de l’histoire d’Interstella.

UNE HISTOIRE D'AMOUR ET D'ESPACE

Si on peut considérer Interstella 5555 comme un projet expérimental sur la manière de raconter une histoire, il ne faut pas mettre de côté la partie histoire qui arrive à nous captiver pendant une heure. Les Daft Punk ont souhaité placé l’histoire sur Terre dans le milieu de la musique en y faisant intervenir des personnages principaux extraterrestres. Cette structure était essentielle à leur projet, le côté espace permettant une bonne association avec de la musique électronique et l’immersion dans l’industrie musicale permettant différente critique de ce milieu.

On se retrouve ainsi plongé sur une planète inconnue où les habitants sont des humanoïdes à la peau bleue. Cette espèce fort sympathique est en plus totalement fédérée autour d’un groupe de musique qui les fait danser dans tous les coins de leur système solaire. Composé d’un guitariste, d’un chanteur, d’un batteur et d’une bassiste, ce groupe est en plein concert lorsque débarque des soldats à l’apparence obscure qui ont pour mission de capturer ces musiciens. Malgré une certaines résistance et en faisant fit de la foule, les soldats emmènent le groupe inconscient dans un vaisseau en direction de la Terre. Derrière cette opération un homme d’apparence diabolique qui va transformer nos extraterrestres bleutés en charmants humains se lançant dans la pop music. Toutefois cet enlèvement ne passe pas inaperçu auprès d’un de leur compatriote, un astronaute casse cou et amateur averti de leur musique, il décide ainsi de rejoindre la Terre non sans mal pour sauver ses amis de papier glacé.


Le reste du film va donc chercher à résoudre ce kidnapping, en observant le plan commercial du grand méchant qui tente de rendre ses nouvelles acquisitions plus populaires que jamais auprès des terriens et la quête du fan transi cherchant à prendre contact avec les « Creshendolls » pour les libérer de cet avatar musical. Le film est court mais il tient en halène, de par son rythme et les émotions qu’il transporte. En effet on voit la construction de la célébrité auprès du groupe et l’effet qu’elle a sur eux ou en tout cas sur leur avatar humain, on apprend les objectifs de ce fameux producteur musical et on assiste aux émotions fortes présentes entres ces cinq expatriés sur Terre. En plus de ces péripéties, de nombreuses références et une réflexion sur de nombreux sujets peuvent intervenir pendant le visionnage du film ce qui permet de lui amener une profondeur inattendu.

C'EST BIEN, C'EST BEAU ET C'EST INTELLIGENT

Malgré le fait qu’Interstella 5555 soit un film d’animation et que ce soit le premier film écrit par Daft Punk, il est évident que ce  projet existe aussi pour leur permettre de dénoncer les dérives d’une société et mettre en valeur les sentiments auxquels ils croient. Il va de soit que la critique de l’industrie musicale est très présente dans ce film, de part la fabrication de produits marketing sans âmes et la transformation d’artistes en machines à disque. Le méchant du film représente ainsi la cupidité de ces entreprises qui décident au final de l’évolution de la musique populaire. C’est aussi tout le showbiz qui est égratigné en représentant une cérémonie de remise de prix qui ne récompense que les pop stars de studio. Cette misère intellectuelle représentée par une musique jetable est aussi accompagnée de la misère réelle, celle des rues. La société humaine y est ainsi représentée dans tous ces contrastes, des paillettes aux poubelles. On peut de plus dans le dernière acte du film observer que le fanatisme sectaires est aussi représenté d’une certaines manière, et qu’une quête de vérité surnaturelle s’accompagne facilement de conséquences tragiques.

Bien entendu on peut aussi voir de nombreux messages positifs, et là encore la musique y est centrale. Elle est universelle et rassembleuse quelques soient les couleurs, les idées et les races, elle peut créer une communion joyeuse et bienveillante. Et bien qu’elle soit contrôlé par de nombreux Hommes avides de richesse, il y a toujours des musiciens qui donnent leur cœur dans ce qu’ils font, les représentations sous forme d’hommage de Mozart, Miles Davis et d’autres ne sont pas là par hasard. Ils veulent marquer l’importance de la musique dans notre vie et nos comportements.

Autre jolie hommage musical, c’est celui fait aux fans, et oui le héros du film en est un. C’est lui qui après avoir écouté des centaines de fois leur musique va tenter de sauver le groupe, une image loin du fan possessif et qui n’arrive pas à dépasser cette attirance pour en faire quelque chose dans sa vie. La vie c’est au final ce qu’il faut retenir du film, elle qui comporte amour, amitié et imagination trois choses qui sont biens visibles dans le film. Des qualités qui ne sont pas travesties, elles sont là dans leur grandeur et leur humanité. Des émotions qui ont une relation réciproque avec la musique, parfois elles sont accompagner par elle et d’autres fois elles sont à l’origine des plus belles notes, c’est dans ce sens que va le final du film.

UNE NARRATION SONORE

Vous l’aurez compris la particularité du film Interstella 5555 c’est bien entendu de conter une histoire et de faire passer des émotions grâce à la musique. En ce sens l’album Discovery est bien plus qu’une bande originale, il va vraiment être au cœur du récit pour accentuer le message derrière le film ou pour faire ressentir les émotions des personnages. Ainsi les quatorze musiques qui composent l’album ont toutes des ambiances à elles. On peut ressentir la célébration, le stress, l’énergie, la nuit, la ville, la mélancolie, des choses immatérielles qui vont pourtant s’intégrer à l’histoire.

L’ouverture sur One More Time est vraiment une ôde à la musique et au bonheur qui l’accompagne, tout cela illustrant parfaitement le gigantesque concert d’ouverture. Digital love qui on le comprend bien va coller à l’amour rêvé d’un personnage, va de par ses nappes synthétiques retranscrire le côté imaginaire et psychédélique de ce fantasme de groupie. Something About Us illustre un évènement dramatique pourtant il arrive à la fois à retranscrire l’amour perdu d’un personnage, l’amitié sincère d’autres et la quiétude du dernier. Cette chanson arrive ainsi à créer une certaine universalité de l’émotion dans cette scène du film. High Life quant à elle va ainsi retranscrire toute l’ambiance d’une mégalopole et sa vie sans pour autant entendre un seul bruit, un seul klaxon, une seule conversation…

La force du film se retrouve dans ce phénomène la musique instrumentale est universelle, et toutes ces émotions pourront être perçues par toute la planète. L’ensemble du film est donc de cette nature et il sait de plus marquer des temps pour changer de propos. Passer d’une ambiance festive à une ambiance noire d’infiltration au début du film n’est pas chose aisée quand on y pense : pas de bruits de foules, d’armes, de pas, de cris… Pourtant le passage de One More Time à Aerodynamic est clair, les deux musiques sont en totales adéquations avec les émotions des protagonistes et le son de cloche sonne le glas de l’innocence du début du film.
Le bruit de vinyl entendu à la fin du film est lui révélateur de cette fin d’histoire, de la fin du voyage musical que tout le monde peut ressentir une fois un disque terminé.

Cette présentation avait pour but de vous montrer que des films d’apparence difficile d’accès peuvent pourtant se révéler de sacrées œuvres au propos universel. Il ne faut pas oublier l’association des ces grands noms qui ont su nous faire partager un classique de l’animation riche de leurs idées. Ce film humaniste est au final une magnifique preuve que la musique et l’art de manière général peuvent tout simplement faire du bien.

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