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Conan Le Barbare : un film épique et flamboyant

En 1982, après cinquante années d'existence, le plus célèbre héros de Robert Ervin Howard, se voyait pour la première fois porter à l'écran par John Milius. Dans un cortège de cités disparues, de monstres reptiliens, d'épées ensanglantées, et de pulpeuses hyboriennes, retour sur le film le plus barbare du siècle.

Conan le Barbare (en version originale Conan the Barbarian) est un film américain réalisé par John Milius et sorti au début des années quatre-vingt, qui narre les aventures fantastiques d'un jeune barbare en quête de vengeance.

Il s'agit d'un film ambitieux qui a nécessité la création de plusieurs décors imposants ainsi que la réalisation d'animatroniques assez complexes pour l'époque. Même si plusieurs scènes jugées trop violentes par les producteurs ont été coupées au montage (selon certaines rumeurs, il existerait une version director's cut surpassant les quatre heures!), Conan le Barbare rencontra un large succès public et permit de lancer la carrière cinématographique d'Arnold Schwarzenegger, en même temps que celle de Basil Poledouris en tant que compositeur émérite de bandes originales.

Bien qu'affichant une nette orientation commerciale, le film n'en demeure pas moins une pièce maîtresse du cinéma d'aventure, inoubliable et passionnante, abordant aussi bien des thèmes classiques hérités de la tragédie telles que la mort ou le secret de l'acier, que des réflexions philosophiques sur la célébration du surhomme ou l'exaltation de l'individualisme.

Un vent de fantasy souffle sur les contrées du Septième Art

Les amateurs d'épopées fantastiques se souviennent encore de 1982 comme étant une grande année pour l'heroic fantasy au cinéma. Alors que ce registre n'avait encore jamais été exploité par le Septième Art, le public put découvrir successivement sur les écrans le très atypique, mais néanmoins magnifique, Dark Crystal de Jim Henson et Frank Oz, et l'incroyable Conan le Barbare de John Milius. Si le premier film s'adresse avant tout aux enfants (ce qui n'enlève rien à ses qualités esthétiques et narratives), le second affiche d'emblée un ton beaucoup plus adulte et fait l'effet d'un formidable coup de poing pour les spectateurs, qui en terme de fantasy, n'avaient eu droit, jusqu'à ce moment là, qu'aux aventures spatiales, naïves et aseptisées, de Georges Lucas.

En effet, avec sa violente quête de vengeance se déroulant aux temps sombres et lointains d'un âge oublié de l'Histoire, Conan le Barbare a de quoi dérouter et séduire en même temps. Malgré des critiques assez mitigées à sa sortie, le film connait un important succès commercial, le public s'enthousiasmant autour de la figure impressionnante d'Arnold Schwarzenegger dans le rôle titre d'un jeune barbare colossal cherchant, coûte que coûte, à venger la mort des ses parents, cruellement assassinés par le chef d'une secte adoratrice de serpents.

Pourtant, au fil du temps, la seule image que les spectateurs ont gardée de ce film est celle d'un héros chevelu et bodybuildé, épée en main et sueur au front, avec une fille superbe au bras, qui, même si elle est attractive, dessert le chef d'œuvre de John Milius. Mais rendons à César ce qui est à César avec cet article qui se propose de décrypter la trame narrative et les nombreuses qualités intrinsèques du premier film d'heroic fantasy de l'histoire du cinéma.

Un développement aussi épique qu'une épopée: la genèse d'un film culte

S'inspirant librement des récits de Robert E. Howard publiés dès 1932, le projet de réaliser un film basé sur les aventures de Conan est développé à partir de 1975, projet qui semble d'ailleurs encouragé par le succès de Star Wars en 1977 qui accroît l'intérêt du public et de l'industrie cinématographique pour les films présentant des aventures fantastiques au sein de mondes imaginaires.

Le scénario est alors confié à Oliver Stone, très en vogue depuis le triomphe commercial et critique de Midnight Express (1978), qui en écrit une première version absolument déjantée. En effet, l'addiction de Stone à la cocaïne, à ce moment là, se ressent dans l'écriture du script qui situe, de manière inattendue, l'histoire dans un futur post-apocalyptique avec, comme point d'orgue, une bataille titanesque où Conan mène une armée de guerriers contre une horde folle de plusieurs milliers de mutants! S'éloignant de l'heroic fantasy au profit de la science-fiction, le budjet nécessaire à la réalisation d'un tel film effraie les studios de production, à tel point que les droits de Conan sont, très vite, vendus à Dino De Laurentiis, qui invite Oliver Stone à réviser son scénario s'il désire toujours rester en course sur le projet.

Entre-temps, Ron Cobb, à qui l'on doit, entre autres, les décors du film Alien (1979), est engagé en tant que chef décorateur, et John Milius, n'ayant jamais caché son profond intérêt pour l'Histoire et les épopées héroïques, accepte de devenir le réalisateur, à la condition express de pouvoir réécrire le scénario.

Un scénario solide et brutal au service de la tragédie

Fort de cette première victoire, Milius s'attelle sans perdre de temps à la réécriture du script de Stone et replace, d'entrée de jeu, le film durant la Protohistoire, plus en lien avec le monde hyborien de Howard. Le cinéaste bénéficie ainsi de plus de liberté pour créer un univers propre à lui et à ses convictions, en mélangeant tout ce qui le fascine dans les différentes cultures anciennes.

Afin de coller au mieux à la sword and sorcery (terme littéraire créé par Fritz Leiber pour désigner les aventures de Conan écrites par Howard), Milius supprime certains éléments relevant trop du domaine du merveilleux fantastique (comme la magie ou les monstres féériques) et écarte d'emblée toute la deuxième moitié du scénario de Stone, pour des raisons facilement compréhensibles... Le cinéaste n'hésite toutefois pas à conserver certaines scènes de la première partie du script antérieur, telles que l'escalade de la Tour des Serpents et la crucifixion de Conan sur l'Arbre du Malheur (épisode tiré directement de la nouvelle Une sorcière viendra au monde), qui constituent des épisodes des plus marquants du film. Mais Conan le Barbare sait aussi s'enrichir d'apports individuels de John Milius tels que le développement du culte du Serpent, ainsi que l'exposition de la jeunesse de Conan, où nous assistons à la destruction de l'enfance du personnage lors de l'attaque de son village par Thulsa Doom, également responsable du meurtre de ses parents, sauvagement assassinés sous les yeux même de l'enfant.

Pour Milius, toute bonne épopée doit commencer invariablement par un moment dramatique très fort qui arrache, sans pitié, le protagoniste à la douceur de son foyer et à l'amour des siens, afin que puisse éclore le véritable héros qui sommeille en lui. Passionné par le film les Sept Samouraïs (1954) d'Akira Kurosawa en même temps que de tactiques et de stratégies militaires, Milius profite de l'inspiration de ses muses, en mettant au point les nombreuses scènes de bataille du film, notamment celle finale qui oppose Conan aux deux lieutenants de Thulda Doom -Rexor et Thorgrim- avec un grand souci de crédibilité et de réalisme.

Débarrassé de ses envolées futuristes, le scénario de Conan réécrit par Milius se contente désormais de narrer les pérégrinations d'un jeune aventurier musclé en quête de vengeance, qui, d'esclave, s'élève au rang d'homme libre aussi bien sur le plan social que psychologique et spirituel. C'est pourquoi le film revêt la forme d'un récit d'aventure initiatique, faisant la part belle à la force physique et à l'heroic fantasy dans ce qu'elle a de plus barbare et primitive.

Un casting musclé

Avec pour projet de réaliser un film sur Conan, la première question qui s'est posée était de savoir quel comédien pourrait bien incarner le barbare cimmérien dans toute sa splendeur. Dans sa quête de l'acteur idéal, la production envisageait de confier le rôle titre à Charles Bronson ou à Sylvester Stallone, même si l'un, malgré un physique toujours athlétique, était vieillissant, et l'autre ne présentait pas encore la carrure massive qu'on lui a connue par la suite. Ne parvenant pas à se décider, un pur hasard motiva le choix des producteurs sur une toute autre personne...

C'est après avoir visionné le documentaire Pumping Iron (1977) que les producteurs, très impressionnés par le puissant physique d'Arnold Schwarzenegger, se sont unanimement accordés sur le fait d'avoir trouver, dans ce champion du culturisme, l'incarnation parfaite de Conan[n]. On contacte immédiatement Schwarzenegger qui ne cache pas son enthousiasme à l'idée de tourner un film d'heroic fantasy, pressentant qu'il s'agit-là d'un formidable tremplin pour embrasser une carrière cinématographique. Milius désire toutefois que son héros ait une apparence beaucoup plus athlétique et moins massive que Schwarzenegger n'a alors. Avant le tournage, il convainc l'ex-Monsieur Univers d'entreprendre un programme d'entraînement pendant 18 mois, qui comprend, en plus d'exercices de musculation quotidiens, de la course à pied, de l'escalade, de l'équitation, de la natation, ainsi que des cours d'arts martiaux et de maniement du sabre auprès d'un maître d'armes japonais.

Aux côtés d'Arnold Schwarzenegger, deux autres acteurs novices intègrent le casting principal car Milius désire que ses protagonistes n'aient pas d'idées préconçues sur la manière de jouer leur personnage, privilégiant leur apparence et leur personnalité. La sculpturale danseuse Sandahl Bergman, que le cinéaste a vu dans All That Jazz (1979) et qui lui a immédiatement fait penser à une valkyrie, est engagée pour interpréter Valéria, la compagne de Conan. Le surfeur Gerry López, ami de Milius, que l'on voit brièvement apparaître dans le film The big Wednesday (1978), est, quant à lui, engagé pour le rôle de Subotaï. Durant les quelques mois qui précèdent le tournage, les trois acteurs principaux s'entraînent quotidiennement auprès de Kiyoshi Yamazaki, sabreur émérite et expert en karaté, qui leur enseigne plus particulièrement le kendo afin de paraître réellement compétents dans l'utilisation de l'épee et du sabre.

Contre toute attente, ce n'est pas un acteur musclé qui est choisi pour interpréter Thulsa Doom, l'ennemi mortel de Conan. Milius préfère pour ce personnage quelqu'un faisant le contrepied de Schwarzenegger, qui a, de toute façon, déjà fort à faire dans sa confrontation sur le plan physique avec les deux imposants lieutenants de son ennemi, interprétés par l'ancien footballeur américain Ben Davidson et le culturiste danois Sven-Ole Thorsen. C'est donc James Earl Jones, acteur très expérimenté qui prête d'ailleurs sa voix à Dark Vador dans les films Star Wars, qui est choisi pour incarner le mystérieux Thulsa Doom.]] Sous des dehors affables et raffinés, l'acteur est parfait dans son rôle de grand maître hypnotiseur de la secte du Serpent, dont l'habileté verbale et les pouvoirs surnaturels cachent un effroyable secret...

Une dimension philosophique et psychologique au service de scènes d'anthologies

Au début du film, il apparaît tout de suite que le thème central est le secret de l'acier. Le père de Conan inculque à son fils qu'il doit apprendre ce secret et ne se fier qu'à l'acier s'il veut survivre, et, pour parfaire son éducation, il emmène l'enfant aux forges pour assister à la fabrication d'une épée, lors d'un générique culte magnifié par la musique de Basil Poledouris. Thulsa Doom est, lui aussi, initialement persuadé du pouvoir de l'acier et extermine le peuple de Conan, afin de s'emparer uniquement de l'épée de son père. L'histoire trouve alors son élément moteur dans la quête vengeresse de Conan, qui entend, bien évidemment, retrouver l'arme en laquelle son père lui avait dit de placer toute sa confiance. C'est par cette restitution symbolique que la vengeance du héros sera totale, Conan recouvrant ainsi une certaine virilité dont il avait été privé durant son enfance.

Cependant, comme l'indique le professeur James Whitlark, le secret de l'acier se colore d'une touche ironique en détournant le caractère emphatique du film en ce qui concerne les épées, car bien que puissantes et mortelles, elles peuvent se révéler inutiles face à certains adversaires en dépendant, bien souvent, de la force de celui qui les manie. ]C'est pourquoi, dans la deuxième moitié du film, quand Conan retrouve son ennemi mortel, Thulsa Doom se moque désormais de l'acier et de ses prétendues propriétés, vantant à présent la supériorité du pouvoir de la chair sur celui des épées.

A la fin du film, lors de la scène de bataille, quand Conan récupère l'épée de son père des mains du cadavre de Rexor, l'arme a été brisée au cours du duel. C'est en fait Conan, lors du combat, qui brise l'épée de son père, alors maniée par son adversaire, ce qui l'amène à saisir la futilité du prétendu pouvoir de l'acier en se libérant symboliquement de l'emprise de son père pour accéder au rang d'homme autonome, fort et viril à part entière. Conan comprend alors que c'est le héros, c'est-à-dire lui-même, qui fait l'épée et non l'inverse. Quand le barbare s'incline solennellement après sa victoire contre les deux lieutenants de Thulsa Doom, nous avons affaire ici à un Conan, nouvellement affranchi, qui adresse un salut respectueux à ses parents, en sachant pertinemment que sa quête va bientôt s'achever dans le sang de son troisième et dernier ennemi.

Pour mener à bien ses projets vengeurs, le barbare a placé sa force physique au service de sa volonté d'acier. La force physique, à elle seule, ne peut suffire, ce n'est que dans son union avec la force mentale qu'elle peut triompher, et cela, Conan l'a également compris. C'est pourquoi le barbare aura raison de Thulsa Doom. Jusqu'à la toute fin du film, le maître de la secte du Serpent reste persuadé de la supériorité du pouvoir de la chair sur toutes autres choses, mais il va se heurter fatalement à la force mentale et physique de Conan. En effet, alors qu'il se retrouve pris au dépourvu par la précipitation des évènements qui tournent en sa défaveur, Thulsa Doom n'hésite pas à vouloir hypnotiser Conan par l'entremise du pouvoir de la chair en cherchant à l'attendrir et le déboussoler par une révélation filiale (révélation célèbre déjà faite par le même acteur dans l'Empire contre-attaque…).

L'effort de volonté que déploie Conan est toutefois un pouvoir bien plus fort que celui de son ennemi. C'est pourquoi il échappe à son pouvoir hypnotique et parvient à tuer le sorcier en lui assenant, impitoyablement, plusieurs coups d'épée à la base du cou (par l'entremise de plusieurs points de vue, nous assistons, nous spectateurs, à toutes les étapes de la décapitation de Thulsa Doom dans une overdose de violence barbare…), jusqu'à ce que sa tête soit tranchée puis jetée avec mépris dans les escaliers du temple du Serpent, en présence de toute la secte. La quête de vengeance du barbare se solde ainsi par un triomphe époustouflant.

L'antagonisme existant entre Conan et Thulsa Doom peut également souligner une relation d'opposition entre la barbarie et la civilisation. Milius reprend dans son film la thèse d'Howard selon laquelle la civilisation n'est pas naturelle, ce qui fait qu'elle ne peut rien apporter de véritablement bon, et que, quoiqu'il arrive, la barbarie finira toujours par l'emporter sur elle. En effet, le maître de la Secte du Serpent et son immense palais sont dans le film les avatars privilégiés d'une civilisation viciée et décadente fondée sur le prosélytisme fallacieux et l'asservissement aussi bien spirituel que matériel. Conan, champion des valeurs barbares, rétablira le cours normal des choses, en décapitant sauvagement Thulsa Doom et en incendiant le temple, ce qui aura pour résultats premiers de ramener à la raison tous les fidèles et de dissoudre en même temps la secte du Serpent.

Un voyage initiatique aux confins de la mort

Un autre concept littéraire, directement hérité de l'épopée et de la tragédie, est également très présent dans le film. Il s'agit du thème de la mort, qui s'accompagne d'un voyage souterrain débouchant sur la renaissance du héros. Selon le professeur Donald Palumbo, Conan le barbare utilise, à trois reprises, le motif du voyage souterrain pour renforcer les thèmes de la mort et de la renaissance. La première fois, lors de la scène de dégringolade au fond d'un tombeau où Conan découvre une épée, grâce à laquelle il se débarrasse de ses chaînes. Libéré à présent de ses entraves, il acquiert une puissance nouvelle qui se cristallise autour de la mise à mort des loups qui le menaçaient et de sa torride nuit d'amour avec une sulfureuse sorcière. Encore une fois, l'épée se charge ici d'une polysémie lourde de sens…

Plus tard, Conan fait l'expérience de deux autres voyages sous terre où la mort est omniprésente. Tout d'abord dans les profondeurs de la Tour des Serpents, où il doit combattre un serpent géant qui garde un précieux joyau, puis dans les entrailles du palais de Thulsa Doom où les membres de son culte mangent de la chair humaine pendant que le sorcier se transforme en serpent au milieu de l'orgie générale. En violant la Tour des Serpents, Conan et ses compagnons sont les premiers à défier ouvertement le culte du Serpent, craint de toutes et de tous. Quand il s'en échappe, le barbare n'est plus un vulgaire aventurier, c'est un homme considérablement enrichi par le butin volé, qui se moque de Thulsa Doom et de ses fidèles, en s'adonnant à tous les plaisirs aux côtés de sa nouvelle compagne d'armes et d'amour, la somptueuse Valéria.

D'autre part, les exploits de Conan ne tardent pas à parvenir aux oreilles du roi Osric qui s'empresse de faire quérir la présence du barbare, véritable héros local, à sa cour, afin de lui confier la dangereuse mission, contre richesses immenses, de retrouver sa fille, la princesse Yasmina, qui a rallié la secte du Serpent. Fort de son premier succès, Conan décide d'aller défaire seul Thulsa Doom. Bien mal lui en prend car il est châtié de sa témérité en étant condamné à expier ses fautes, en plein désert, sur l'Arbre du Malheur. Par ailleurs, cette crucifixion évoque, invariablement, une imagerie christique, où la mort n'a jamais été aussi proche du barbare. Pieds et poings liés, offert en pâture aux charognards, Conan ne s'avoue toutefois pas vaincu pour autant.

C'est pourquoi, n'ayant plus que sa mâchoire pour pouvoir se défendre, le barbare, au seuil de la mort, saisit un vautour à pleines dents en lui broyant sauvagement le cou, pour recracher ensuite le cadavre de l'animal avec mépris, adressant ainsi un geste de défi à son dieu Crom qui l'a abandonné. Conan sera finalement libéré par son ami Subotaï et Valéria se sacrifiera, lors d'un rituel magique, pour ramener son aimé des limbes du royaume des morts. Conan, ressuscité grâce à l'amour que lui porte Valéria, est désormais plus fort que jamais et fermement décidé à en découdre définitivement avec Thulsa Doom lors de leur prochaine et dernière rencontre.

Un opéra wagnérien célébrant la toute puissance du surhomme

Selon John Milius, Conan le barbare s'inspire directement de la tétralogie de Richard Wagner, L'Anneau du Nibelung, d'où le recours à une musique épique, et, ce, dès les premiers instants du film. La scène d'ouverture peut être rapprochée d'une scène de forge d'épée dans Siegfried, la troisième partie de l'opéra, et la scène de l'attaque du village de Conan est mise en scène à la manière d’un opéra wagnérien. Par ailleurs, les aventures et les épreuves traversées par Conan semblent s'inspirer de celles de Siegfried, qui est, lui aussi, témoin impuissant de la mort de ses parents, et grandit en esclave pour finir par tuer un dragon (Conan terrasse de son côté un serpent géant comme nous l'avons vu). De plus, l'apparence d'Arnold Schwarzenegger dans le film évoque celle du blond et nordique Siegfried.

Comment donc ne pas voir dans la figure de Conan la représentation idéalisée du surhomme nietzschéen? Raccourci facile qui semble pourtant bien évident quand on prend en compte la citation du philosophe allemand qui ouvre et donne le ton principal du film: "Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort". Représentant le héros tout puissant dans toute sa splendeur, Conan tire sa force des douloureuses épreuves qu'il doit traverser et écrase impitoyablement les oppresseurs malfaisants qui se mettent en travers de sa route. Le journaliste Fabien Delmas n'hésite pas à écrire que le barbare, interprété par Arnold Schwarzenegger marque l’avènement d’une nouvelle race de héros au cinéma, prenant place au sein d'un renouvellement formel qui accompagne le changement de décennie, et participe à la refonte des standards morphologiques. Les silhouettes chétives, sveltes ou même normales ayant désormais fait leur temps au cinéma, les années 1980, décennie de la puissance masculine retrouvée, seront celles de Schwarzenegger et de Stallone.

C'est d'ailleurs grâce à des acteurs aux physiques impressionnants que John Milius peut faire l'éloge de la force et de l'individualisme dans son film, célébration qui atteint son apogée lors des affrontements opposant Conan à Thorgrim et Rexor. A un contre deux, c'est à une véritable démonstration de force que nous assistons. Avant de plonger corps et armes dans l'ivresse sanglante de la bataille, les adversaires, comme durant la minute qui précède un duel dans un western, se jaugent et se tournent autour, si ce n'est qu'ici, ils paradent même de tous leurs muscles pour s'impressionner les uns les autres, tels de dangereux fauves prêts à s'entredéchirer. Conan s'y prendra à deux reprises pour venir à bout des deux lieutenants de Thulsa Doom qui seront finalement exterminés, en même temps que toute la garde du sorcier lors de la scène de l'embuscade qui utilise la princesse Yasmina comme appât.

Quand le sexe faible devient un sexe fort

Devant le triomphe de cette masculinité, nous sommes en droit de nous demander quelle place occupe la femme dans le film de Milius. Au sein d'un monde hyborien peuplé de dangers innombrables, les femmes, encore plus que les hommes, sont contraintes de recourir à des mesures aliénantes pour s'en sortir. Yasmina, la fille du roi Osric, est obligée de s'asservir à Thulsa Doom en embrassant son culte du Serpent pour échapper à l'emprise de son père. La sorcière, quant à elle, a recours à la sorcellerie et n'hésite pas à pactiser avec les forces du mal pour lutter contre l'hostilité des hommes et de son environnement. Et que dire des nombreuses victimes féminines totalement hypnotisées par le pouvoir de Thulsa Doom, qui sont destinées à être sacrifiées, dénudées, et livrées en pâture au Dieu Serpent ou à ses représentants démoniaques.

Le personnage de Valéria est un cas à part. En effet il s'agit d'une aventurière qui s'est astreinte à l'art du combat pour être en mesure de défendre chèrement sa vie le cas échéant, et qui trouve en Conan d'abord son égal, puis son amour. La relation qui unit ces deux personnages est très intéressante, car Conan et Valéria sont deux êtres moralement et physiquement endurcis par la vie et les épreuves difficiles de leur époque, qui trouvent l'un dans l'autre la complétude et la passion amoureuse immortelle qu'eux seuls étaient en mesure de s'offrir. Mais leur idylle sera malheureusement trop brève, Valéria se sacrifiant pour que son aimé puisse vivre et accomplir sa vengeance. Cela n'empêche toutefois pas la jeune femme de revenir de l'au-delà sous la forme d'une splendide guerrière en armure, telle une valkyrie étincelante, pour sauver Conan d'un coup mortel assené par Rexor. Ce bref retour de Valéria illustre l'idée que l'héroïsme désintéressé et le sacrifice de soi apportent la gloire éternelle, ce qui fait participer le film de Milius à une dimension laudative des héros.

Un standard pour la postérité

Conan le Barbare devient immédiatement après sa sortie un standard à suivre, et même un critère de comparaison pour tous les autres films de sword and sorcery qui vont jalonner les années 1980. [En effet, dans le sillage du film de Milius, de nombreux films de fantasy sont produits et réalisés les années suivantes, même si la plupart sont considérés par la critique comme des imitations, qu'elle n'hésite pas à qualifier, sous le terme peu valorisant, de sous-Conan. C'est ainsi que voient le jour Dar l'invincible de Don Coscarelli, Ator l'invincible de Joe d'Amato, Deathtalker et ses suites des productions Corman, The barbarians de Ruggero Deodato

A côté de ces pastiches qui ont fait la gloire du cinéma d'exploitation italo-américain, une suite à Conan le Barbare est réalisée par Richard Fleischer en 1984, Conan le Destructeur, avec un Arnold Schwarzenegger toujours aussi musclé et impressionnant reprenant le rôle-titre. Bien que le film connût un certain succès commercial dû, en particulier, à son exploitation en vidéo, il s'agit toutefois là d'une piètre suite, dont le scénario et la mise en scène affichent une grande faiblesse, d'où les mauvaises critiques qu'il reçut à sa sortie. Un troisième volet, Conan the Conqueror, est programmé pour 1987 mais Schwarzenegger n'est plus sous obligation contractuelle de le tourner. Pris par le tournage de Predator, et refroidi par le cuisant échec, tant critique que commercial, de Kalidor en 1985, l'acteur décide de ne pas s'engager sur ce projet.

Celui-ci est alors abandonné avant que le scénario ne soit utilisé sous une forme légèrement remaniée pour le film Kull le conquérant (1997), avec Kevin Sorbo et Tia Carrere, et dont la qualité, encore une fois, ne fut pas au rendez-vous. En 2002, John Milius relance le projet d'un troisième film en écrivant le scénario de King Conan: Crown of Iron, un scénario hyper violent et démesuré, où Schwarzenegger reprendrait son personnage, désormais roi d'Aquilonie, en proie aux conspirations et luttes intestines et sanglantes pour conserver son pouvoir. Malheureusement l'élection de Schwarzenegger au poste de gouverneur de Californie, vient contrecarrer les plans de Milius, les fans devant se contenter en 2011 d'un triste reboot de Conan qui ne restera pas dans leur mémoire, ainsi que dans celle des cinéphiles.

Toutefois, Arnold Schwarzenegger ayant repris sa carrière d'acteur en 2012, nous sommes en droit d'espérer la réalisation d'un nouveau film sur le plus célèbre des barbares faisant fi des évènements advenus dans Conan le destructeur, qui plus est que l'acteur serait des plus intéressés à reprendre le rôle qui a fait son succès, à la condition expresse que ce soit John Milius qui réalise le film. L'affaire est donc à suivre…

Plus qu'un film culte des années 1980, Conan le barbare est un classique du cinéma d'aventure qui, bien qu'inégalé dans le domaine de la sword and sorcery, a permis de déboucher, presque vingt ans après, sur la réalisation sans faille de la trilogie du Seigneur des Anneaux par Peter Jackson avec le succès public et critique qu'on lui connait, alors que l'on s'accordait à croire que la fantasy était un genre maudit du Septième Art.

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2 commentaires

  1. Dreadfox
    Le 08 mars 2016 à 22:48

    Alerte ! Alerte ! Un hater de Star Wars a été détecté ! PS: Chouette article tout de même (même si je n'ai pas tout lu pour ne pas me spoiler plus que ça, n'ayant pas encore vu tout le film)

  2. lieuxdetournages
    Le 09 mars 2016 à 05:08

    excellent article..retour sur les lieux de tournages 35 ans après sur mon blog..http://lieuxdetournages.over-blog.com/2014/04/conan-the-barbarian-conan-le-barbare-john-milius-1982.html

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