Tout dessin publié doit être encré, que ce soit pour une bande-dessinée, un comics ou un manga. Pourquoi ne pas laisser le dessin à son stade initial ? Comment faire pour encrer ? Le laboratoire vous explique tout ce qu'il faut savoir !
Article initialement publié en octobre 2013 dans le magazine Pop Fixion #1
Il nous est tous arrivé de dessiner un jour, et pour cela nous avons utilisé le plus naturellement possible des crayons, un outil aussi bien employé par les stars du dessin que par les dessinateurs amateurs. Objet essentiel pour réaliser un dessin (plus précisément un crayonné) qui fera apparaître sur une feuille blanche un personnage original, un décor détaillé, une émotion… Néanmoins, on ne lit que très rarement des bandes dessinées réalisées au crayon. Qu'elles soient en noir et blanc ou en couleurs, dans les deux cas une étape essentielle est nécessaire pour aboutir au résultat final : l’encrage.
L’encrage fait partie des trois « essentiels » nécessaire à la création d'un dessin complet, avec le crayonné et la colorisation, qui forment une sorte de trinité à suivre pour tout artiste.Il va consister comme son nom l’indique à « encrer » un dessin, c’est-à-dire passer d’un crayonné modifiable à un dessin définitif fixé par l’encre. Ce travail va être intimement lié au matériel utilisé. En effet, on passe d’une utilisation exclusive du crayon à celle de l’encre, que ce soit via un marqueur, un feutre ou encore une plume à encre de chine, sans oublier le pinceau.
Chacune de ces techniques possèdent bien entendu ses spécificités : la plume associée à l’encre de chine permettra d’obtenir de jolis déliés (trait fins et précis), les feutres et marqueurs seront quant à eux très efficaces pour réaliser des aplats de noir, tandis que la souplesse du pinceau permettra un usage polyvalent. Bien entendu, un outil n’est rien sans son utilisateur, dans le cas présent l’encreur. Il aura forcément des affinités pour telle ou telle technique, et choisira la plus adaptée au résultat désiré.
L’encrage et le numérique
Aujourd’hui, l’encrage traditionnel n’est plus l’unique solution : l'encrage numérique s'est imposé comme une réelle alternative. Il n’est plus question d’encre et de pinceaux mais de tablette graphique et de logiciels (Photoshop, Painter, Manga Studio…). Ainsi l’encrage se fait-il à partir de scans de dessins originaux ou directement sur un dessin fait par ordinateur, et utilise des outils virtuels pour obtenir différents rendus. Les logiciels utilisés peuvent en effet reproduire les différentes techniques traditionnelles décrites précédemment. Le passage au numérique a comme atout principal de permettre une correction de son encrage, celui-ci n’étant pas indélébile. On peut aussi noter la rapidité de cette méthode et les fonctionnalités de zoom comme points positifs.
Néanmoins, un certain nombre d’auteurs préfèrent encrer sur papier principalement pour deux raisons. Tout d'abord, le numérique ne possède pas toujours un rendu très naturel. Il faut en effet avoir une grande maîtrise des logiciels et ceux-ci connaissent plus de limites que les outils traditionnels dont l'utilisation est beaucoup plus intuitive. Ensuite, l’encrage papier a a pour résultat une œuvre physique. Cela permet aux artistes de vendre (parfois très cher) leurs planches originales, matérialisation physique de leur travail, ce qui est impossible avec des fichiers informatiques.
L’encrage parfait existe il ?
Cette question résume toute la problématique de l’encrage : comment savoir quand un encrage est réussi ? Après tout, l’étape de l’encrage ne permet pas de créer un dessin, celui-ci étant conçu en amont. Il va au contraire le modifier, voire le bonifier, tout en conservant l’esprit et le style du crayonné original (crayonné et encrage n’étant pas forcément réalisés par la même personne). L’encreur, en repassant sur les traits du dessinateur, va forcément apporter des choses nouvelles de par sa sensibilité artistique et son matériel. Des détails vont ainsi disparaître, des traits vont être mis en valeur, des hachures vont être plus prononcées… Ces modifications sont obligatoires, il ne faut donc pas s'en formaliser lorsque l'on évalue la qualité d’un encrage, sauf si bien entendu l’original est dénaturé. Au contraire, il faut étudier ce qu’elles apportent, principalement en termes de lumière. L’encreur, de par son passage au noir et blanc, va en effet mettre en évidence les ombres, les expressions des personnages, les différentes expositions lumineuses… Une utilisation du contraste qui sera déterminante dans la réussite de l’encrage, celui-ci ayant pour fonction d’appuyer certaines parties du dessin pour nous marquer l’esprit et faire passer des émotions.
L’encrage à travers le monde
La bande dessinée est un art majeur qui, historiquement, s’est développée dans différentes parties du monde, chacune ayant ses propres codes. On peut ainsi en distinguer trois grands types : la BD franco-belge, le comics américain et le manga asiatique. L’encrage est ainsi effectué de manière différente selon le pays où est produit la bande dessinée, pour des raisons culturelles et économiques.Ainsi le franco-belge s’est historiquement construit avec des auteurs polyvalents qui gardaient le contrôle sur l’ensemble de leurs dessins et de leurs personnages, dessinateur et encreur étant donc souvent la même personne. De plus, le rythme de parution des albums franco-belges laisse le temps aux dessinateurs d'assurer eux-même l’encrage.
Pour le comics, l’approche est à l’exact opposé, chaque étape du dessin étant réalisée par une personne différente. Il existe ainsi les pencilers et les inkers, respectivement les dessinateurs et les encreurs. Pour comprendre cette dichotomie, il faut se rendre compte que le comics possède une composante économique très importante. Les comics paraissant chez mois, le partage des taches est indispensable finaliser les épisodes dans les temps.
Le manga, quant à lui, est aussi fortement lié à une contrainte économique et possède un rythme de publication soutenu. Les mangakas sont ainsi aidés d’une multitude d’assistants, chacun dessinant et encrant une partie du dessin final, un s'occupant des décors, un autre des détails, le mangaka conservant bien entendu les éléments essentiels comme les personnages. Le manga possède aussi la particularité d’être en noir et blanc. L’encrage est ainsi essentiel et la technique utilisée n’est jamais choisie à la légère (l’encre de chine et la plume étant assez courantes).
L’encrage est, au final, une technique qui permet de fixer le crayonné, de sélectionner le trait juste pour obtenir un dessin final qui exploite tout son potentiel et de créer de vraies zones de contraste essentielles pour faire passer les émotions. Mais quel que soit l’encrage, il faut bien garder en tête que cette étape restera toujours une interprétation d’un encreur face à un dessin original, en fonction de sa technique, de son ressenti et aussi de son talent. Un dessin original n’aura jamais un seul et unique encrage possible, il en aura une multitude, autant de versions du dessin à aimer ou à détester.