Définir la trahison est une entreprise délicate de par son ambiguïté. De manière générale, on s’accorde à dire que malgré ses différentes interprétations, la trahison est le fait de briser une relation de confiance. On peut trahir un groupe (en passant d’un parti à un autre dans le monde politique ou en changeant de religion), une personne (il y a beaucoup de types de trahison, cela va du petit secret répété au fameux « coup de poignard dans le dos », réel ou imagé) ou un principe, une doctrine, une éthique (une promesse rompue peut être interprétée comme une trahison envers soi ou une autre personne).
Article initialement publié en octobre 2013 dans le magazine Pop Fixion #1
La figure du traître n’est pas récente. Nombreux sont ceux qui sont connus pour leur traîtrise et uniquement pour leur traîtrise comme Brutus, Isabeau de Bavière, Prométhée et bien sûr, le traître par excellence dans notre société judéo-chrétienne : l’apôtre Judas. Avec des figures aussi fortes dans notre histoire ou nos légendes, il n’est pas étonnant que la figure du traître soit si utilisée dans nos bandes dessinées, films ou jeux-vidéo. La raison en est plutôt simple. Une trahison fait mal. C’est un moyen rapide et efficace de faire souffrir psychologiquement de nombreux personnages (et souvent le principal) à coup sûr et de les faire évoluer tout en surprenant les spectateurs.
Dans les comics, la trahison est assez difficile à gérer et à mettre en place. Le fait est que, contrairement aux personnages principaux des autres supports, les super-héros des comics ont pour la plupart été créé entre 1939 (Superman) et 1963 (Spider-Man/X-Men). Ce sont des personnages qui ont pour certains plus de 70 ans. On ne veut pas tuer des super-héros pareils ou les faire basculer de l’autre côté car cela sous-entendrait qu’il faudrait tout un travail derrière pour refaire basculer le personnage à son statut « de base ». Une sorte de pirouette scénaristique sur laquelle bon nombre de scénaristes se sont casser les dents car souvent jugée bâclée ou peu crédible. Néanmoins, on peut noter tout de même quelques trahisons bien rodées du début à la fin : Hal Jordan qui trahit tout le corps des Green Lantern ou encore Wonder Woman qui brise le code des super-héros en même temps que la nuque de Maxwell Lord.
Concernant ces petits écarts de conduite, certains diront que les scénaristes de comics de super-héros tendent fréquemment à revenir très vite vers une situation dit « d’origine ». Une situation dans laquelle tout est très vite oublié. Dans un sens, ce n’est pas faux. Les comics de super-héros ont en effet tendance à créer un certain nombre de changements qu’il faut par la suite très vite (trop vite ?) rétablir.
Il y a plusieurs raisons qui expliquent ce retour systématique à la case départ. Des raisons multiples et variées qui n’ont aucun intérêt à être développées ici mais qui sont belles et bien réelles. Par contre, il y a une citation de Maurice Chapelin qui peut défendre cette volonté de revenir en arrière et de pardonner rapidement les différentes trahisons. Une citation qui dépasse le cadre des comics mais qui, dans ce cas précis, pourrait expliquer le fait que les trahisons soient vite oubliées : « L’homme est parfois assez fou pour préférer le chagrin à l’oubli ». Une phrase qui est suffisamment claire pour se passer d’explications.
Par contre, bien que ce retour plus ou moins forcé soit une généralité, ce n’est pas non plus une règle d’or. Il y a des auteurs qui font l’effort de ne pas tomber dans la facilité. C’est le cas par exemple de Geoff Johns pour Green Lantern. Après la destruction du corps par Hal Jordan, il a mis en avant tout un mal-être et une rancœur plus que présente de la part des Green Lanterns envers Hal Jordan. D’ailleurs, toute une partie d’entre eux, les Lantern Perdus, qui avaient eu la malchance de devoir arrêter Hal Jordan, mettront énormément de temps à pardonner à ce dernier de les avoir laissé pour mort dans l’espace.
Plus généralement, l’univers de chaque super-héros étant déjà très étendu, le lecteur averti (joli terme pour dire « gros lecteur de comics ») pensera de premier abord que chaque nouveau personnage qui s’approche d’un super-héros (et qui découvre son identité secrète pour certains) a de grandes chances de mourir ou de jouer un double jeu et donc, de trahir le super-héros.
Pour le manga, la trahison est également difficile à mettre en place mais pour d’autres raisons. Le manga, et notamment les shônens de combat, ont pour habitude de se focaliser tout d’abord sur un seul et unique personnage puis de broder autour de lui pour monter une sorte d’équipe. C’est le cas de tous les plus grands héros de shônens comme Son Goku, Naruto, Luffy, Ichigo,… qui ont eu un certain focus sur eux avant que les différents auteurs ne leur donne des amis. Or, nombreux de ces futurs amis étaient auparavant des ennemis (ou au moins des rivaux). On pourrait presque parler de « schéma classique » dans le shônen de combat et qui se répète neuf fois sur dix. Mettre ce fait sur le dos de la « tradition » ou le considérer comme un vulgaire copier-coller sans cesse répété, serait une erreur. Il y a des arguments derrière ces choix. Le premier et le principal est qu’il s’agit là d’un moyen très pratique pour mettre le personnage en scène (sans aucune maladresse), le décrire, lui définir un caractère voire un côté sombre (que les lecteurs apprécient le plus souvent) avant de le faire basculer chez les gentils.
Aussi, l’auteur a le temps de juger son personnage sur la durée et voir la réaction des lecteurs. Si l’ennemi est apprécié, pas de problème, on le fait passer chez les gentils pour pouvoir continuer à l’utiliser après sa défaite. Bon nombre de personnages sont ainsi passés du « mauvais côté » au « bon côté », le plus connu d’entre eux étant sans doute Végéta (Dragon Ball). Il n’y a qu’Eiichiro Oda pour faire dire à son personnage Luffy « Tu veux venir avec nous ? » à un autre personnage qu’il vient à peine de rencontrer. Tous les personnages n’auraient pas pu dire ça. Ici, c’est uniquement possible parce que Luffy est un gros naïf et qu’il est du genre à sympathiser en un instant. Les autres auteurs ne peuvent que très rarement utiliser un tel raccourci et doivent passer par d’autres subterfuges pour mettre en avant un futur allier et parmi ces subterfuges il y a le fait qu’il ait été un ancien adversaire.
Néanmoins, il est à noter que lorsqu’un personnage trahit pour rejoindre le héros, on ne considère pas souvent son action comme étant une trahison. Une citation de Georges Clemenceau met plutôt bien en avant cette différence de point de vue et cette idée que, finalement, chacun voit midi à sa porte : « Celui qui quitte ton parti pour celui d’un autre est un traître. Celui qui quitte un autre parti pour rejoindre le tien est un converti ». Ainsi, on qualifiera beaucoup plus volontiers de trahison un personnage qui, à l’inverse, quitte le héros pour passer à l’ennemi. Le cas que l’on retiendra le plus facilement, tout du moins dans notre génération, est Sasuke qui affronte Naruto dans le tome 27 du manga pour rejoindre Orochimaru alors qu’ils étaient jusque-là dans la même équipe. La fin du combat marque d’ailleurs la fin de la première partie du manga. Bien sûr, il existe d’autres mangas bien plus « spécialisés » dans la trahison. L’un des plus connus reste sans doute Saint Seiya (Les chevaliers du zodiaque en français) dans lequel les changements de camps et les trahisons sont plus que fréquents. Une dissertation de vingt pages pourrait être faite sur chaque chevalier d’or à l’exception de Saga, le Chevalier d’Or des Gémeaux connu pour son dédoublement de la personnalité, pour lequel il en faudrait le double. Le manga non-shônen le plus représentatif de la trahison actuellement reste sans nul doute « Liar Game » (traduisible par « le jeu du menteur ») dans lequel le but est de mentir, manipuler et trahir les autres participants d’un gigantesque jeu afin de récupérer l’argent qu’ils ont en leur possession.
Concernant le petit ou le grand écran, je ne sais pas s’il y a clairement une trahison qui a plus marqué les esprits que les autres. A l’époque, on aurait pu parler de la première trilogie Star Wars sortie : Dark Vador qui est le père de Luke. Un type de trahison peu repandu car dans ce cas précis, ce n’est pas quelqu’un qui change de camp. Ici, on peut parler de trahison car il y a les liens du sang qui changent la donne. On pourrait parler de trahison d’ordre moral. Maisble impact chez le spectateur, de nos jours, cet événement est un peu moins impressionnant. Tout le monde sur Terre sait que Dark Vador est le père de Luke. Même si l’on n’a pas vu Star Wars ou si l’on n’aime pas Star Wars, on connait l’histoire. Forcément, la trahison et surtout l’impact qu’il suscite chez le spectateur perd déjà un peu plus de sa splendeur. Ce qui n’est pas le cas de la trahison de Lando Calrissian, toujours dans Star Wars, qui trahit Han Solo et ses amis parce que l’Empire est « arrivé avant ». Une trahison tout aussi efficace et surtout moins connue des quelques personnes au monde à n’avoir pas vu les films. Bref, il y a pas mal de paramètres à prendre en compte concernant les trahisons dans les longs-métrages. Je vous laisse vous faire votre avis sur la question.
Il y a pas mal de choses à dire également au niveau des trahisons dans les séries TV. L’avantage des séries TV sur les films ? Leur longévité qui permet de faire évoluer un personnage dans n’importe quelle direction. De manière générale, la trahison est monnaie courante (sans être banalisée pour autant) afin de tenir le spectateur en haleine. Lorsque l’on est attaché à une série, la trahison fait toujours autant mal, que cela soit pour le personnage principal ou pour le spectateur.
Certains personnages sont d’ailleurs connus pour être de gros manipulateurs spécialisés dans la trahison. On peut penser à Benjamin Linus (lost) qui a retourné sa veste de nombreuses fois, à Dexter Morgan (Dexter) qui est toujours proche du méchant de saison d’une manière ou d’une autre mais qu’il tuera tout de même, à Sam Winchester (Supernatural) qui a préféré faire confiance à un démon plutôt qu’à son frère ce qui libérera Lucifer, à Walter White (Breaking Bad) qui fait tout dans le dos de sa famille, à Littlefinger (Game of Thrones) qui a trahi Eddard Stark qui est alors enfermé puis exécuté,… Les trahisons sont (le plus souvent) travaillées par les scénaristes ce qui fait qu’elles ne tombent pas comme un cheveu sur la soupe. Il y a toujours un contexte, une logique voire des indices qui expliquent les actions du futur traître. Elles sont souvent utilisées en fin de saison en tant que twist final afin de pousser le spectateur à revenir découvrir une situation nouvelle et inédite l’année suivante. C’est également un bon moyen de découvrir plusieurs jeux d’acteurs, plusieurs facettes d’un acteur. Supernatural, qui met en avant quelques trahisons mais aussi un bon nombre de possessions démoniaques/angéliques en plus d’épisodes que l’on pourrait qualifier de « WTF » (épisodes 4x06 : Yellow Fever, 5x08 : changing chanels,…), a l’avantage de placer ses personnages dans des situations toujours très différentes et quelques fois loufoques dans lesquelles les acteurs dévoilent tout une panoplie de mimiques et de gestes bien différentes.
En résumé, les trahisons restent très utilisées et ce, quelque soit le support. Et si l’on ne peut jamais la prévoir, il y a bien une chose à retenir: « trompe moi une fois, honte à toi, trompe moi deux fois, honte à moi ». A bon entendeur…