En seulement quatre films, Mamoru Hosoda a réussi à s’imposer sur la scène de l’animation japonaise. Retour sur un grand réalisateur.
Sorti en juillet 2015 au Japon et en Janvier 2016 en France, le dernier film de Mamoru Hosoda a confirmé de par son succès critique et commercial, (on parle de plus de 5,85 milliards de Yens récoltés sur l’année 2015 au Japon !) la place de son réalisateur dans le paysage de l’animation japonaise aux côtés d’autres grands réalisateurs comme Hayao Miyazaki, Katsuhiro Ôtomo (Akira), Satoshi Kon (Paprika) ou encore Isao Takahata (Le tombeau des lucioles).
De par sa présence depuis 1991 dans le milieu de l’animation, Mamoru Hosoda a su perfectionner son imagination, son art et réussi à donner vie à des œuvres qui resteront gravées dans l’imaginaire de ses spectateurs mais aussi dans la production cinématographique japonaise. Retour sur sa vie, ses influences et ses œuvres.
Son apprentissage de l’animation et ses débuts chez la Toei Animation
Si Mamoru Hosoda possède aujourd’hui son propre studio qui se nomme le studio Chizu, cela n’a pas toujours été le cas. En effet, avant de devenir réalisateur et scénariste, Hosoda n’était qu’un simple salarié au sein du grand groupe d’animation japonais de la Toei. Tout commença lorsque Hosoda réalisa ses premiers petits films d’animation durant ses années de collège. Comme beaucoup d’artistes passionnés, il a consacré ses études à l’apprentissage des Beaux-Arts et plus spécialement dans le perfectionnement de la peinture à l’huile.
Une fois ses études finies, il décida de postuler pour rejoindre le studio d’animation Toei, très réputé à cette époque-là. Il fut très vite engagé en tant qu’animateur et se voyait déjà en tant que réalisateur et metteur en scène. Pourtant, le studio insista pour que, dans un premier temps, il se consacre pleinement à l’animation afin d’améliorer ses techniques. Il a déclaré ainsi dans une interview pour Manga News : « Toei m'a conseillé de travailler d'abord en tant qu'animateur, chose que je ne regrette pas du tout, car je me suis rendu compte qu'apprendre le métier d'animateur était une étape indispensable pour devenir réalisateur […] ».
Ainsi commença le travail d’apprentissage d’Hosoda en tant qu’animateur pendant six ans où il travailla sur de nombreuses séries comme Dragon Ball Z, Magical Dorémi, Sailor Moon ou encore One Piece et pleins d’autres animés japonais de l’époque. Puis, lorsqu’il se sentit prêt, Hosoda passa le test au sein de la Toei afin de devenir réalisateur, test qu’il réussit haut la main.
Il eut alors l’opportunité de réaliser en 1999, le film « Digimon ». Satisfait de son travail, la Toei lui demanda de réaliser un an plus tard un deuxième film Digimon puis en 2005 de réaliser le sixième film « One Piece ». Hosoda déclare ainsi à propos de ces films qu’ils lui « ont permis non seulement de découvrir toutes les techniques nécessaires à la réalisation de films, mais aussi d'apprendre à gérer une équipe » malgré le fait que ces films s’adressent essentiellement à un jeune public.
Fort de ses nombreuses expériences, Hosoda décide de quitter la Toei pour le studio Madhouse où il va enfin pouvoir réaliser son premier long-métrage, « La Traversée du temps ».
La traversée du Temps : premier essai gagnant
Désormais installé et reconnu comme un animateur de qualité au sein du studio Madhouse, c’est à la suite d’une discussion avec M. Maruyama, le patron de Madhouse qu’il eut carte blanche afin de réaliser son premier long métrage. Fortement inspiré du livre de Yasutaka Tsutsui, “Toki o kakeru shôjo” (“La traversée du temps”) qui a été adapté de nombreuses fois à l’écran, l’histoire nous propose de suivre la vie de Makoto, une jeune lycéenne de 17 ans avec un fort caractère et qui passe souvent du temps avec ses deux amis, Chiaki et Kôsuke.
Un beau jour, elle se rend compte suite à une chute qu’elle a la possibilité de remonter dans le temps ! Elle va alors utiliser ses pouvoirs afin d’aider ses amis, d’améliorer ses notes, de changer les évènements de sa propre vie ou bien tout simplement en se remémorant comme en replay certains passages de sa vie. Cependant elle va très vite apprendre que jouer avec le temps n’est pas sans conséquences…
Le temps a payé
Malgré son synopsis qui semble assez classique, l’approche d’Hosoda se démarque par bien des aspects. Premièrement, plutôt que de partir dans un scénario complexe fait de paradoxes spatio-temporels ou alors de traiter d'événements historiques importants, le réalisateur fait le choix de se centrer sur la vie simple d’une étudiante et surtout la réflexion que l’on peut dégager de la vie en ce qu’elle a de plus simple. Les choix, les regrets, les erreurs que l’on peut tous commettre lors de nos relations avec autrui sont ici traités de manière juste et touchante à la fois, ce qui fait que chacun peut se retrouver dans le personnage de Makoto.
Hosoda a notamment déclaré que son but était de réactualiser le mythe de cette histoire qui est très connue au Japon afin de la rendre plus contemporaine et de toucher un large public en s’adressant à une jeunesse qui semble avoir perdu foi en ses rêves. Le film nous questionne sur notre rapport au temps qui passe et sur ce que nous sommes prêts à faire pour le manier selon nos désirs. L’une des grandes forces du film est surtout son humour qui n’est jamais en trop et qui donne plus de vie et d’humanité aux personnages. Par exemple, Makoto « saute » littéralement dans le temps, ce qui est prétexte à un running-gag tout au long du film.
Niveau animation le film est très correct, tandis que la mise en scène, elle, est assez inventive avec des jolis plans fixes et d’autres plans plus dynamiques assez inspirés. Le design des personnages est aussi plutôt efficace. Un premier bon film qui allie subtilement humour et émotion et qui a lancé la carrière d’Hosoda puisque le film a connu un grand succès au Japon et à l’international.
Summer Wars : la famille à l’honneur
Toujours au sein du studio Madhouse, Mamoru Hosoda réalise en 2009 son deuxième long-métrage qui est cette fois-ci une création originale qui nous raconte l’histoire de Kenji Koiso, lycéen passionné par les mathématiques, qui travaille pendant l’été au service informatique de la plateforme virtuelle OZ, sorte de Facebook géant où tous les individus du monde sont connectés en permanence et peuvent interagir entre eux. C’est à ce moment-là qu’une fille de sa classe, Natsuki lui demande de venir avec elle voir sa famille pendant quelques jours afin de lui rendre service.
Ce qu’il ne savait pas c’est qu’il va devoir se faire passer pour son petit ami auprès de sa famille pour faire plaisir à sa grand-mère qui fête son anniversaire. Dans le même temps, un virus informatique du nom de Love Machine prend peu à peu le contrôle d’OZ créant un désordre mondial...
Les relations sociales font tout
L’idée principale est venue du fait qu’après avoir réalisé « la traversée du temps », Hosoda s’est marié et il a constaté avec humour que plusieurs personnes dont il n’avait jamais entendu parler de sa vie, faisaient désormais partie de sa « famille ». C’est là le grand thème de ce film : la famille. Tout au long du récit, il va nous décrire les relations conflictuelles et amoureuses qui peuvent exister au sein d’une même grande famille.
Il y a un grand nombre de personnages (21 sans compter les personnages centraux du film...), une histoire et un passé commun à propos de la famille de Natsuki qui remonte au 19e siècle, Hosoda cherche délibérément à perdre le spectateur comme son personnage principal afin que les deux puissent apprendre à apprécier les personnages en même temps. Selon le réalisateur lui-même, le but au travers de ce film est de montrer les évolutions subies par les liens familiaux dans un contexte de mondialisation des communications liées aux nouvelles technologies.
OZ est inspiré de Mixi, le Facebook japonais et ainsi que de Twitter, et c’est dans ce lieu que se croisent les destins de milliers de personnes vivant à différents endroits du globe. En jouant sur une échelle mondiale et une échelle plus terre à terre, Hosoda nous montre que la famille et les relations sociales sont des éléments indispensables à toute personne. On peut aussi constater l’arrivée d’une autre thématique centrale du cinéma d’Hosoda, à savoir celle d’une nostalgie du Japon campagnard avec des personnages qui quittent la ville et les métropoles pour retrouver à une vie plus simple à la campagne.
Techniquement le film est superbe, les décors sont incroyables tant dans le monde virtuel d’OZ que dans le monde réel, les personnages sont attachants et l’histoire est très intéressante. Une très belle réussite pour un deuxième film de grande qualité !
Les Enfants loups, Ame et Yuki : une fable poétique
Après le succès de ses deux précédents films, Hosoda refait un retour remarqué en 2012 toujours au sein du studio Madhouse, avec son troisième film qui est certainement le plus poétique d’entre tous.
L’histoire nous raconte la vie de Hana, jeune étudiante au début du film qui va très vite tomber amoureuse d’un garçon, avec qui elle vivra pendant deux ans et aura deux enfants, Ame et Yuki. Le problème c’est que l’amour d’Hana est en réalité un descendant d’une ancienne race d’homme-loup, les loups de Honshū, et qu’il en est l’un des derniers représentants. De ce fait, les enfants d’Hana sont des enfants à moitié humains et à moitié loups. Tout se passe très bien jusqu’à ce qu’après un événement précis, Hana se retrouve à élever seule ses enfants, qui ne sont pas comme tous les autres enfants…
La dualité entre vie normale et vie secrète
Autant le dire tout de suite, nous avons à faire ici à un bijou de cinéma. Hosoda manie avec parcimonie la délicatesse de son propos sur la maternité, l’animalité de l’être humain, son rapport avec la nature, le sens et la réussite de sa vie etc. Il y distille des émotions fortes et des situations atypiques, nous permettant de nous attacher aux personnages. Tout le propos du film réside dans la gestion de l’éducation des enfants par Hana, car élever deux enfants seule est une chose (déjà compliquée en soit) mais élever deux enfants loups seule et sans repères pour l’aider, en est une autre.
Seule la patience et l’amour d’Hana pour ses enfants vont lui permettre d’éduquer ses enfants. Ainsi, elle ne doit pas seulement gérer les crises de ses enfants en tant qu’humains mais aussi et surtout en tant que loups, ainsi que leurs besoins d’humains, comme aller à l’école et leur besoin animal comme la chasse. On retrouve encore une fois le thème de la simplicité de la vie puisque Hana va quitter la grande ville, qui ne correspond pas aux attentes et au mode de vie de ses enfants, pour vivre à la campagne loin de tout le brouhaha de la ville.
Il y a une sorte d’amour pour le Japon rural et la nature qu’Hosoda embrasse avec ce film. On va alors suivre l’évolution d’Hana en tant que mère, mais surtout celle de ses deux enfants en tant qu’êtres vivants qui doivent choisir, et ce dès leur plus jeune âge, entre la vie d’humain et celle de loup. Mais ces deux vies sont-elles conciliables et quels choix prendront ses enfants ? C’est là tout l’intérêt du film.
Encore une fois, techniquement parlant, le film est impeccable, l’ambivalence entre humain et loup est très bien servie par le design des personnages, la mise en scène sert très bien le propos, plus subtilement que dans les autres films selon moi, et l’histoire est juste passionnante à suivre. Avec une musique envoûtante, on ne peut que se laisser bercer par ce film !
Le Garçon et la Bête : la quintessence du cinéma d’Hosoda
Désormais, plus personne ne présente Mamoru Hosoda, qui est connu et respecté pour son travail de réalisateur au Japon et dans le monde entier. Alors lorsque sort l’annonce de son prochain film, tout le monde attend le projet de pieds fermes.
En 2016 sort ainsi, Le Garçon et la bête, qui nous narre l’histoire de Ren qui vient de perdre sa mère qui était sa représentante légale depuis le divorce de ses parents. Sans nouvelles de son père, Ren décide de fuir sa nouvelle famille et erre seul dans les rues gargantuesques de Tokyo.
Au même moment et au même endroit, tout droit venu du royaume des bêtes, Kumatetsu se balade dans le royaume des humains et décide de prendre sous son aile Ren afin de l’entraîner pour qu’il devienne son disciple. Une fois arrivé au royaume des bêtes, Ren se fait baptiser par Kumatetsu et prend le nom de Kyûta. Commence son entraînement aux côtés de son maître afin que celui-ci puisse devenir le nouveau seigneur des bêtes.
La découverte de soi
Avec ce film, Hosoda reprend la plupart des éléments issus de ses précédents films. On trouve toujours la relation entre les humains et les bêtes qui atteint ici son paroxysme, puisque la majorité des personnages du film sont des animaux qui parlent et qui possèdent même leur propre royaume ! La frontière est désormais floue, puisque c’est dans le royaume des animaux que Ren se sent le plus humain et le plus vivant au contraire de sa vie dans le royaume des humains…
Cette opposition entre humain et animal sert le traitement d’autres thématiques comme l’acceptation de soi et des autres pour leurs différences ou leurs ressemblances, le courage, l’amitié, la famille, le pouvoir, la dignité, la religion etc. Bref, jamais Hosoda n’avait brassé autant d’émotions au travers d’un film. Chaque personnage apprend de ses erreurs et progresse tout au long du film, ce qui donne l’impression d’observer un voyage initiatique autant pour Ren que pour Kumatetsu.
Il est question pour Hosoda de décrire la construction de soi qui, bien souvent, passe par la rencontre, la compréhension et l’acceptation des autres. Ce n’est d’ailleurs qu’à partir du moment où Ren et Kumatetsu vont s’apprécier que le récit va s’éclairer d’une lumière intense, procurant une sensation de bonheur au spectateur. Mais, comme bien souvent, Hosoda fait monter cette sensation de bien être pour mieux la détruire et montrer un portrait paradoxal de l’être humain qui aspire au bonheur mais qui arrive pourtant à s’autodétruire. L’humain possédant dans le film un « trou noir » qui symbolise la tendance de l’humain à sombrer du côté obscur…
S’il y a bien un élément que l’on peut retenir dans le cinéma d’Hosoda, c’est sa capacité à s’inspirer du réel afin de créer des œuvres singulières tout en amenant dans ses films des thématiques universelles comme l’amour, le regret, la famille etc. Ce faisant, il permet au spectateur d’être impliqué dans le film et de ressortir du visionnage ému. Un grand homme du cinéma d’animation japonais.
Nedry
Le 28 février 2017 à 22:06Très bon article, je suis tellement fan de Hosoda !