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Capital Story : Amazon, l'ogre numérique des livres

Amazon est un géant de l'internet. Cette entreprise a su se rendre indispensable auprès de ses consommateurs en devenant le supermarché en ligne du 21ème siècle. 20 ans plus tard, une nouvelle ère s'ouvre en France grâce à eux.

Article initialement publié en décembre 2013 dans le magazine Pop Fixion #2

Pour bien comprendre cet article, il faut prendre en compte le fait qu'Amazon, site web mondial, doit composer avec les enjeux et réglementations nationales. On l'accuse ainsi de ne pas se plier aux mêmes règles que les acteurs de l'industrie littéraire française grâce à la magie d'internet, étant basée à Seattle aux USA et au Luxembourg. Ainsi, le Syndicat de la librairie française a attenté un procès en 2007 contre Amazon au sujet des frais des ports. L'entreprise a été condamnée pour non respect de la loi Lang (sur le prix unique du livre) en 2008. Nous sommes en 2013 et la « lutte » se poursuit avec la volonté par les parlementaires d'insérer dans la loi Lang un alinéa stipulant que « dans le cas d’un livre expédié à l’acheteur, le vendeur ne peut cumuler à la fois le rabais autorisé de 5% et la gratuité des frais de port. » L'objectif est de limiter le dumping. Pourquoi cet acharnement sur un acteur du marché parmi tant d'autres ? Car il n'est pas comme les autres.

AMAZON, L'OGRE QUI DERANGE

Quand un livre se vend en France, il y a 3 chances sur 4 que cela se fait sur Amazon. Ce dernier qualifie son service de complémentaire à celui des librairies : « Nous réalisons 70% de nos ventes sur des livres de fond de catalogue. Au contraire, les libraires se concentrent sur les nouveautés et ne peuvent pas servir les clients qui demandent des ouvrages plus anciens, car ils ne les conservent pas en stock". Dans les zones où les librairies ont fermé, où les commerces de proximité se raréfient et où l'exhaustivité du catalogue des publications est impossible, Amazon est vu comme le seul moyen de se procurer l'ouvrage de son choix. Cela bouleverse aussi les petites maisons d’édition et les bouquinistes vendant des livres rares et anciens. Amazon est devenu leur point de contact avec le public, dédiant de plus en plus de temps à la mise en ligne leur catalogue car c'est l'occasion de toucher les consommateurs partout dans le monde. D'après certains libraires, c'est la rapidité d'Amazon qui est pénalisante, pas ses prix. Or, grâce à son implantation au Luxembourg, Amazon n'est pas soumis aux mêmes règles. Il parvient à ne déclarer que 7% de son chiffre d’affaires en France. La TVA imputée à la firme est de 3% pour les livres papier et numériques, contre 5,5% en France. La députée Isabelle Attard a ainsi proposé de monter cette taxe à 19,6%. Toutefois, c'est la règle de la concurrence et c'est plus en amont de la chaîne que la situation est explosive, au niveau du contrat entre Amazon et un éditeur. 

La part revenant à Amazon sur chaque article vendu peut atteindre les 50%, soit 13% de plus que la norme en librairie. Alors que chaque ouvrage commandé auprès d’un éditeur est payé par une librairie, qu’il soit vendu ou non Amazon ne rétribue que la vente du produit. La prise de risque est donc moindre, sachant que les problématiques de stock et d'accessibilité sont différentes (pas de loyer mais un entrepôt et un service de livraison). Certains parlent même de chantage, avec des cas où les ouvrages, visibles en ligne, ne peuvent être commandé par le public en cas de désaccord sur le partage des recettes. Là où Amazon semble avoir franchit la ligne rouge, c'est en proposant à ses clients américains d’utiliser une application mobile scannant le prix d'un livre dans une librairie pour vérifier si l’offre en ligne est moins chère. Un bon d’achat correspondant à 5% du prix est à gagner, ce qui a mené à une indignation de l'industrie. Néanmoins, la seule chose que semble compter, c'est le bon plaisir du lecteur.

AMAZON, LE LIBRAIRE 2.0

L'histoire est connue : le consommateur est attaché à l'objet physique, le livre. Mais le consommateur est faible et ne peut résister aux promotions, aux petits prix, aux bonnes affaires et aux ventes flash. Le consommateur est réticent face à la vente en ligne mais une fois le premier achat effectué, c'est la conversion quasi-assurée au livre numérique. C'est aussi le début de la fin pour les libraires. C'est un point de vue partagé par la majorité des acteurs de l'industrie littéraire.Un autre point de vue avance cette fois Amazon est que le livre numérique a créé un nouveau marché, qui a certes retiré une importante part de marché au libraire « physique », mais n'est que l'héritier de la vente par correspondance, un besoin aussi vieux que la vente de livre. La seule différence, c'est que tout un chacun peut ne plus vouloir sortir de chez soi, et non ne plus pouvoir. De plus, le modèle n'est pas gratuit mais payant, c'est donc un changement d'acteur mais pas de modèle. 

Néanmoins, avec le livre numérique, Amazon vend un droit à lire. Le client n'a pas la possession d’un fichier électronique, et c'est là le nœud du problème car au fond, au delà de la sauvegarde de nos belles librairies, dans un monde capitaliste, c'est la loi de la concurrence. Le consommateur a le droit d'aller là où son intérêt le porte, du moment qu'il reste dans la légalité. Or Amazon se donne le droit de supprimer un livre du compte Kindle d'un client, ce qui diminue les droits du consommateur. Kindle, c'est la fameuse liseuse d'Amazon, qui permet de lire les fichiers numériques, donc les livres. Toutefois, face à la percée de la tablette numérique, Kindle s'est transformé en support mobile complet avec la version Fire.

AMAZON EDITEUR

Amazon vend les livres, Amazon contrôle le support avec lequel on lit les livres et maintenant Amazon veut contrôler la publication des livres. En 2011, l'année du lancement de Kindle Fire, Amazon s'est lancé de manière agressive dans la production de contenu en commençant par les livres. Pour cela, l'entreprise s'est lancé dans le recrutement d'auteurs de renoms. Toutefois, au-delà de cette bataille classique entre éditeurs, un autre procédé semble révolutionner en profondeur l'industrie littéraire : l'auto-édition numérique sur Amazon. En France, l'édition littéraire bénéficie d'une longue tradition avec des maisons d'éditions prestigieuses. Si l'on veut connaître le succès avec son roman, il faut se faire éditer par l'une de ces maisons. Il est difficile de convaincre ces professionnels et l'auto-édition a depuis toujours été un moyen alternatif de proposer au public son œuvre. Néanmoins, il faut avancer tous les frais, intégrer les réseaux de distribution et assurer la communication soi-même. Autant dire une tâche dantesque face aux mastodontes du secteur.

Or, avec le boom du livre numérique, plus besoin d'imprimer. Avec le succès (voir monopole) de la plate-forme Amazon, il suffit d'intégrer ce réseau de distribution pour être à portée de son public. Et c'est là que le géant américain innove en laissant la porte ouverte à tous les auteurs (du moment que leur écrit est juridiquement validé). C'est le grand bazar, chacun a accès au public, il ne reste plus que la communication à gérer, ce qui est loin d'être la partie la plus facile. D'après Russell Grandinetti, l’un des dirigeants d’Amazon : « Les seuls acteurs désormais indispensables dans le processus éditorial sont l’écrivain et le lecteur ». L'auteur de Fifty Shades Of Grey a ainsi fait ses débuts sur le web en auto-édition avant de connaître une célébrité mondiale avec la publication papier. 

Cela reste un phénomène marginal si l'on prend en compte l'industrie dans sa globalité, mais c'est un phénomène qui va prendre de l'importance pour deux raisons. Tout d'abord, les éditeurs ne sont plus les dénicheurs de talent. De plus, les plus gros vendeurs de romans voient déjà les ventes de leur livre se passer de leur éditeur à travers le canal numérique, au delà d'un certain seuil de notoriété bien sûr. Pourquoi ne pas proposer son nouveau roman tout seul ? Enfin, la part de l'auto-édition est mécaniquement amené à être plus importante pour une simple raison, la même qui a frappée les librairies : le prix. Sur Amazon, l'auteur fixe lui même le prix de son ouvrage et encaisse en moyenne 70% du prix de vente public hors taxe. Si l'on compare au 8 à 15% d'un contrat classique, le choix est vite fait ! Néanmoins, un roman publié dans le commerce par une maison d'édition est vendu 10 à 20 fois plus cher, ce qui minore l'intérêt de ce pourcentage élevé. De plus, il peut tomber à 35% quand le prix de vente sur Amazon est inférieur à 2,60 euros ou supérieur à 9,70 euros. 

En effet, il y a une fourchette qui convient à Amazon, car de nombreux romans sont proposés entre 89 centimes et 2 euros. C'est le fameux prix psychologique. Une fois le processus d'achat en ligne adopté, dépenser 1 euro pour un roman, ce n'est pas bien compliqué. Kindle doit rester un appareil avec un contenu financièrement attractifs pour le client. Amazon capte donc un flux croissant d'artistes et réduit progressivement les marges de manœuvre des éditeurs. Le dernier mot revient au patron d’Amazon, Jeffrey P. Bezos, qui a décrit à plusieurs reprises Kindle comme un « service total ». L'entreprise a intégré toute la chaîne littéraire, de l'artiste au public. Au tour des films et les séries TV. 

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