Will Eisner était un artiste complet qui a contribué à enrichir les comics. Il fut au cours de sa longue vie dessinateur, scénariste, éditeur de bandes dessinées et même directeur artistique d’un magazine militaire. Il toucha a toute les phases de production d’un comics. Ce travail constant et inventif lui a permis d’atteindre les sommets et d’être considéré comme un des pères fondateurs de la bande dessinée moderne. 

Article initialement publié en juin 2014 dans le magazine Pop Fixion #3

Will Eisner est né le 6 mars 1917 à New York, une ville qui deviendra une de ses principales sources d’inspiration. Son père juif autrichien était la fibre artistique du couple Eisner en s’adonnant notamment à la peinture, tandis que sa mère Roumaine était-elle bien plus pragmatique et terre à terre. Will développa ainsi ses talents pour le dessin dans cette famille de classe moyenne relativement modeste, avec le soutien de son père.Ses premiers émois artistiques se sont trouvés dans les journaux de l’époque ou de nombreux Comic strip étaient publiés, il s’intéressa tout particulièrement au genre Pulp qui lui fournira sa renommée bien des années plus tard avec son personnage du Spirit. Fort de toutes ses inspirations il publia sa première BD dans le journal de son lycée, « The Clintonian », qui aura pour thème le quartier du Bronx démontrant sa prédilection pour les histoires sociales et autres récits autobiographiques.

Il est intéressant de noté que Will Eisner fit la rencontre de Bob Kane (Monsieur Batman) au DeWitt Clinton High School, avec qui il travailla plus tard. En sortant de l’école à 19 ans, Eisner enchaina les petits boulots de pigistes et dessinateurs pour divers journaux et revues, et rencontra Samuel Maxwell "Jerry" Iger pour travailler sur le magazine Wow. Celui-ci ne sera publié que quelques mois mais permis à Eisner de publier ses premières créations et surtout de rencontrer un de ses principaux partenaires créatifs, soit Jerry Iger.

Le big bang artistique d’avant-guerre

Cette rencontre ave Iger fut décisive pour la carrière de Will Eisner, puisqu’elle déboucha sur la création d’un studio Eisner & Iger en 1936, qui publiait différentes bandes dessinées pour des magazines. Eisner devint ainsi Editeur et du gérer un équipe d’artistes comprenant entre autre Bob Kane et Jack Kirby, tout en restant dessinateur de ses créations comme Hawk of th seas, un série sur les pirates. Le petit studio réussi ainsi à obtenir divers contrats, permettant sa viabilité et l’arrivée de nouveaux clients parmi lesquels Victor Fox qui fut l’initiateur du plus grand scandale de la carrière de Will Eisner. En effet fort du succès de Superman créé en 1938 par Siegel et Shuster, Fox voulait lui aussi son Super héros pour son magazine Wonder Comics du mois de mai 1939, il réussit ainsi à obtenir son héros des propres mains d’Eisner, Wonder Man une copie à peine dissimulé de Superman.

L’histoire se termina devant les tribunaux où Eisner avoua son plagiat malgré les menaces de Fox, qui perdit son tout nouveau personnage. Iger et Eisner ont pu continuer de travailler grâce à l’éditeur Fiction House qui leur commanda plusieurs créations, dont Sheena Reine de la Jungle dès 1937.  En 1939 à l’aube de la guerre, Will Eisner du haut de ses 22 ans était déjà devenu un artiste bien connu du milieu et quitta Iger pour une nouvelle aventure avec Everett Arnold et Henry Martin, qui le conduisit à créer The Spirit sa plus célèbre création. En 1940, The Spirit apparu pour la première fois dans les pages dominicales d’un journal de Martin, ce détective-justicier au nom de Denny Colt réussi à percer auprès d’un public plus adulte et se développa rapidement en obtenant même son propre Comic book. Dès la création du personnage, les principaux éléments de la série étaient là : de l’aventure, un commissaire ami, sa fille pour donner une relation amoureuse au Spirit…Le destin du Spirit fut entre les mains d’Eisner jusqu’en 1942 où celui-ci fut appelé par l’armée américaine et commença à illustrer des messages de soutiens et autres magazines militaires.

Les suites de son engagement militaire

La guerre a fortement marqué le travail de Will Eisner en le forçant à abandonner sa création du Spirit et surtout en l’introduisant à une utilisation publicitaire et pédagogique de la bande dessinée. Eisner a en effet travaillé pour l’armée américaine en produisant divers illustrations et strips, utilisés pour expliquer les actions militaires et le fonctionnement de l’équipement militaire aux soldats de manière un peu plus légère. C’est à cette occasion qu’il créa le personnage de Joe Dope, un soldat pas très malin ayant toujours besoin de conseils. C’est avec ce nouveau bagage militaire que Will Eisner a créé une entreprise de dessins publicitaires lors de son retour à la vie civile : la American Visuals Corporation. Une entreprise qui fonctionna très bien grâce à son étroite collaboration avec l’armée américaine pour produire le magazine Preventive Maintenance de 1951 à 1972. Eisner illustrant bon nombre de couverture et des pages intérieures tout en dirigeant l’ensemble de la partie artistique du magazine. Il utilisa ainsi très régulièrement son personnage Joe Dope pour prodiguer tous les bons conseils de l’armée aux soldats présents sur le terrain.

En parallèle du travail fait pour l’American Visuals Corporation, Will Eisner revint en décembre 1945 sur sa création du Spirit qui avait continué ses aventures durant la guerre sous l’égide d’autres auteurs. Ce personnage est ainsi arrivé à son pic de popularité à cette période en vivant de nombreuses aventures, Eisner tente des choses, explore de nouveaux genres et de nouvelles façons d’écrire. Malgré ce succès, la série s’arrêta en 1952 à cause du départ d’Eisner, qui s’est au final lassé du personnage au profit de son activité pour l’American Visuals Corporation. Bien que le couple Eisner/Spirtit soit revenu dans les années 60 sou la pression des amateurs, celle-ci ne dura pas et le Spirit poursuivi son destin sou les crayons d’autres artistes.

Le renouveau

Après la fin de sa série The Spirit, Will Eisner s’est éloigné de la bande dessinée qu’on pourrait qualifier de « loisir » publiée dans les journaux sous forme de strip ou de périodiques spécialisés. Il s’est spécialisé dans l’illustration, et c’est cette nouvelle approche du dessin qui lui aura probablement permis de créer son nouveau style : le Roman Graphique.  C’est en 1978 qu’Eisner revient sous le feu des projecteurs en publiant Un Pacte Avec Dieu, premier exemple du genre Roman Graphique et surtout début des récits autobiographiques de Will Eisner. Bien que la vie lui ait plutôt réussie, il reste néanmoins un immigré juif s’étant installé à New York et cette histoire lui servit pour écrire ses plus grandes œuvres. Un Pacte Avec Dieu se déroule dans les années 30 et suit la vie d’immigrés vivant dans le Bronx. Il est la démonstration de l’affranchissement d’Eisner des codes de la bande dessinée classique : une publication composée de quatre mini récits, des cases absentes, des dessins et un lettrage élaborés…

Will Eisner enchaina ensuite les publications en développant le thème New Yorkais d’une part avec New York – The Big City en 1986 et The Building en 1987, et la thématique juive avec A Life Force (Jacob le Cafard en France) en 1988 et Au Cœur de la Tempête en 1991. Il profita aussi des années 80 et 90 pour développer sa réflexion et son influence sur la bande dessinée en publiant des ouvrages pour comprendre son travail et pouvant servir de base à tout artiste. Il détailla ainsi son travail sur la bande dessinée et l’art séquentiel, sur la narration, sur les personnages… Associé à ces publications, Eisner donna des cours et des conférences régulièrement pour partager son œuvre et son savoir. Fort de tout ce travail, Will Eisner fut récompensé par la création des Eisner Awards en 1988, considérés comme les plus grandes récompense du monde de la Bande Dessinée.

Les ultimes travaux

Jusqu’à la fin de sa vie Will Eisner continua de travailler activement malgré son âge avancé et publia de nombreuses histoires toujours centrées sur la vie de gens ou la sienne comme Une Affaire de Famille en 1998 ou Les Petits Miracles en 2000. Il continue ainsi de développer son œuvre et propose des variations dans son style de dessin, tantôt précis et hachurés avec un trait géométrique tantôt fluides et nuancés à l’aide de l’aquarelle, toujours en restant fidèle au noir et blanc sa marque de fabrique. Dans les années 2000 , Eisner s’est centré sur des récits très personnels, sentant peut être qu’il vivait ses dernières années. En 2000 il raconte ainsi ses souvenirs de guerre dans Derniers Jours au Vietnam, son expérience militaire pendant la seconde guerre mondiale et ses correspondances au Vietnam et en Corée pour le magazine Preventive Maintenance y sont traitées.

Vint ensuite Fagin le juif en 2003, revisitant le personnage d’Oliver Twist, et Le Complot : L’histoire Secrète des protocoles des Sages de Sion en 2005, sa dernière œuvre basée sur de vrais documents de propagandes centenaires censés prouver l’existence d’un complot juif maintes fois utilisés au cours de l’histoire alors qu’il est prouvés qu’il sont faux depuis les années 20. Deux œuvres complètements ancrées dans l’Histoire et la culture d’Eisner qui tout au long de sa vie aura parlé de la confession juive. Will Eisner s’est éteint le 3 janvier 2005 des suites d’une opération du cœur, et laisse derrière lui une œuvre riche et exhaustive. Des comic books destinés à la jeunesse américaine au Romans Graphiques autobiographiques, en passant par des récits reflétant la société, Eisner aura exploré de nombreux styles mais il conserva à chaque fois son amour du dessin et de la narration.