Pendant des années, The Walking Dead a symbolisé le renouveau de l'éditeur indépendant Image Comics. Il faut désormais aussi compter sur Saga, l'autre série qui bouleverse le milieu des comics depuis trois ans.
Quand on pense comics, on a forcément en tête les super-héros Marvel et DC Comics. Dans le flot mensuel de ces séries, il existe de nombreux comics de très bonne facture qui contredisent les Cassandre annonçant la mort créative de ces univers partagés. Cependant, les Big Two ne sont pas les seuls à proposer des histoires de qualité. Les éditeurs dits indépendants publient aussi bon nombre de titres à essayer à tout prix. Libérés de toute contrainte éditoriale liée à la propriété de personnages comme Superman ou Spider-Man, les artistes peuvent explorer leurs plus folles idées.
Si l'on devait établir une liste de lecture de comics indépendants actuellement publiées aux USA, voici 25 œuvres parmi lesquelles vous trouverez forcément votre bonheur : Walking Dead, Saga, Birthright, Uber, Lazarus, Conan The Avenger, Low, God is Dead, Letter 44, Day Men, East of West, Black Science, Deadly Class, Velvet, Real Heroes, The Dying and The Dead, Zero, Jupiter Legacy, Sex Criminals, Crossed +100, Bitch Planet, Rumble, The Manhattan Projects et Clone. Notez que la publication deux dernières sont en pause.
La plupart de ces séries sont indépendantes, mais peuvent être quand même considérée comme mainstream car elles sont publiées par des éditeurs majeurs (Image Comics, Boom Studios, Avatar Press) et produites par des artistes célèbres (Remender, Hickman, Gillen, Brubaker, Millar). Cela reste logique : on a connu ces artistes en lisant leurs travaux chez Marvel et, se faisant un nom dans le milieu, le public a adhéré au lancement de leurs séries indépendantes qui leur offre plus de liberté. Lire ces comics indépendants demande un certain investissement, aussi bien en temps qu'en argent. Il est plus facile de réserver ces ressources pour les univers partagés Marvel ou DC Comics, surtout quand on est complétiste et fan de la continuité.
Cependant, au fil des années, une certaine routine s'installe et on apprécie de temps en temps des bouffées d'air frais. C'est tout l'intérêt de ces séries indépendant qui ne partage aucun univers, toute idée peut être développée. Le best-seller Walking Dead a été le parfait ambassadeur de cette production ces dernières années et un nouveau phénomène a éclot récemment dans son ombre : Saga.
UN DUO MAGIQUE
Saga est le nouveau comics de Brian K Vaughan. Artiste connu et reconnu, il avait avant 2012 une petite carrière bien remplie, entre participation au scénario de la série TV Lost, écriture pour Marvel, DC, Vertigo, Wildstorm... À son palmarès, trois séries très appréciées du public : Runaways chez Marvel entre 2003 et 2007, Ex Machina entre 2004 et 2010 chez Wildstorm, Y The Last Man chez Vertigo entre 2002 et 2008. Très actif pendant les années 2000, ce scénariste s'est bâti une solide réputation. Je vous conseille l'excellent album Pride of Baghdad sur une bande de lions qui quitte son zoo et explore une ville suite à l'invasion américaine en Irak. Autant dire que la présence de ce nom sur la cover du premier numéro du comics Saga a interpellé le public.
À ses côtés, l'artiste Fiona Staples. Chose assez rare dans ce milieu, elle s'occupe de toute la partie créative : dessin, encrage et couleur. Franchement, on va avoir du mal à lui trouver des détracteurs vu la qualité de son travail. Son art sublime le scénario de Vaughan. Comme pour Walking Dead où Adlard parvient à plonger le lecteur dans ce monde terrifiant grâce à ses dessins en noir et blanc, ici, c'est l'utilisation des couleurs qui vont donner vie à ce monde si particulier. Fiona Staples n'était pas vraiment connue en 2012. Après des premiers travaux chez des éditeurs mineurs, elle a dessiné des mini-séries pour Wildstorm et produit plusieurs covers pour DC Comics. C'est en 2011 qu'elle obtiendra sa première récompense dans le milieu avec un Joe Shuster Award pour son travail sur Mystery Society chez IDW et des covers DC.
UN SUCCES CRITIQUE ET PUBLIC
Voici le synopsis proposé par l'éditeur français, Urban Comics : Un univers sans limite, peuplé de tous les possibles. Une planète, Clivage, perdue dans la lumière froide d’une galaxie mourante. Sur ce monde en guerre, la vie vient d’éclore. Deux amants que tout oppose, Alana et Marko, donnent naissance à Hazel, un symbole d’espoir pour leurs peuples respectifs. L’espoir, une idée fragile qui devra s’extraire du chaos de Clivage pour grandir, s’épanouir et conquérir l’immensité du cosmos. Lancé en mars 2012 pour 2$99 les 44 pages (pagination spéciale pour le premier numéro), Saga va tout simplement casser la baraque Image Comics et s'imposer comme un lieutenant de luxe à Walking Dead. Dès ce premier numéro, les ventes s’affolent. Regardez le graphique suivant :
Sur ce graphique, vous avez Saga mais aussi Manhattan Projects, un autre succès d'Image lancé au même moment. On a rajouté Y The Last Man, l'autre gros succès de Vaughan, et Invincible (les ventes sont celles de 2012-2014) pour comparer avec une série bien installée. Vous remarquez la folie Saga. Les ventes augment constamment et se consolident à la sortie de chaque nouvel album relié. Le numéro #25, publié en janvier 2015, a atteint la 19ème place du top 300 mensuel aux USA. Une incroyable performance qui éclipse de nombreuses séries comics bien plus médiatiques. The Walking Dead reste solidement devant Saga, mais c'est normal (longévité, série TV et sujet plus fédérateur). Ce comics profite aussi du renouveau de son éditeur qui multiplie les succès et attire donc de plus en plus de lecteurs. Néanmoins, Saga s'est durablement installé dans le paysage comics. La série est souvent en pause après la fin d'un arc, mais elle ne perd pas de lecteurs. En janvier 2015, ses quatre albums étaient présents dans le top 10 des ventes albums aux USA. Encore une fois, ce n'est pas la domination écrasante de Walking Dead, mais c'est un cas unique en son genre, et rien ne dit que Saga ne va pas un jour rattraper son aîné.
Outre les ventes exceptionnelles, ce qui va faire le succès de Saga, c'est la communauté de fans qui va naître autour de ces personnages. Lire le Courrier des lecteurs en fin de chaque numéro du comics révèle la folie entourant Saga. Ce comics a profondément ému des milliers de lecteurs. Nombre d'entre eux militent activement pour faire découvrir cette série à leurs proches. Les artistes encouragent cet engouement et l'alimente même en instaurant une excellente relation avec leurs lecteurs. Par exemple, chaque année, ils organisent un sondage pour connaître leur public. Ce n'est pas révolutionnaire mais c'est un des facteurs du succès d'un comics indépendant, comme quand Greg Rucka prend le temps pour sa série Lazarus de répondre méticuleusement aux questions de ses lecteurs, développant autant l'univers de sa série dans Le Courrier des lecteurs que dans les 20 pages d'histoire. Il se passe quelque chose dans Saga mais aussi autour de ce comics. On a déjà salué le travail de Fiona Staples, la dessinatrice, mais celui de Vaughan, le scénariste, est tout aussi louable.
L'AMOUR D'UNE FAMILLE
Saga, c'est d'abord une histoire d'amour INTERACIALE. Non, ceci n'est pas le tag d'une vidéo porno mais une relecture du mythe de Roméo et Juliette en mode alien. Une version plus musclée bien sûr. Tout part d'un conflit entre deux planètes voisines qui va contaminer toute la galaxie. Les civils ne savent même plus pourquoi les deux peuples s'affrontent mais une haine viscérale oppose les deux camps. Chacun a logiquement agrégé autour de lui différents aliens, et c'est plusieurs races qui vont s'affronter. Que ceux qui détestent les récits de guerre et de stratégie se rassurent, il n'en est nullement question ici. Non, dans Saga, nous suivons le destin bouleversant d'un couple né sur le front, entre Marko le pacifiste et Alana la violente. De cet amour va naître une enfant unique dans la galaxie, pas du tout pour ses pouvoirs ou une quelconque prophétie mais parce qu'elle est le fruit de l'union de ces deux espèces. Cette famille pas comme les autres va devoir survivre à une impitoyable traque organisée par les différentes factions menant cette guerre galactique.
Toute la beauté du scénario réside dans la narration menée par ce bébé, Hazel. Nous comprenons de suite que cette enfant a survécu à cette traque et raconte dans ce comics son enfance. Ceci n'est pas du tout un spoiler. Pour comprendre Saga, il faut imaginer un album de famille feuilleté avec nostalgie. Hazel nous raconte l'histoire de sa naissance et ses conséquences sur sa famille. On s'attache très vite à ce monde et aux nombreux personnages secondaires qui gravitent autour d'eux. Ce n'est pas tant la peur de voir survivre ou non un des personnages grièvement blessé à la fin d'un épisode qui nous passionne, mais la peur de voir le scénariste révéler en toute simplicité par le biais de la narration de Hazel le sort d'un personnage en avance. Par exemple (ceci n'est pas vrai pour ne pas spoiler) « Si seulement on avait su à l'époque qu'il ne lui restait qu’un an à vivre ». C'est machiavélique, car on a un indice mais on reste dans le flou, donc on panique encore plus et on veut lire la suite au plus vite !
C'est aussi l'histoire d'une famille comme les autres. Les parents se disputent, la belle-famille s'en mêle, les cultures de chacun s'entrechoquent... C'est une ode aux couples mixtes qui doivent lutter chaque jour pour protéger leur famille du reste du monde. Comme dans la réalité, cette famille rencontre aussi bien des obstacles que des aides inattendues. Le scénario se réinvente constamment et l'histoire avance vite (les mois défilent). Plonger dans Saga, c'est plonger dans la poignante saga familiale d'Hazel. Amour, famille et science-fiction, c'est la recette du nouveau best-seller d'Image Comics. Si vous voulez un jour faire lire un comics à quelqu'un, commencez par Saga car c'est l'assurance de proposer une aventure qui va marquer la personne à jamais.
Image et Urban Comics sont les heureux éditeurs de ce comics qui va pendant encore quelques années récolter des récompenses critiques et des ventes hallucinantes. On en parlera surement longtemps après sa fin car le buzz autour de cette série est largement mérité. Pour l'instant, quatre volumes vous attendent en VO ou en VF. Longue vie à Saga, longue vie à la famille d'Hazel !