Le magazine Pilote n’est pas forcément connu de tout le monde aujourd’hui, car il date de la génération de nos parents, pourtant c’est absolument culte pour tous les amateurs de bande dessinée. Il suffit de dire qu’Astérix est apparu pour la première fois dans Pilote pour comprendre l’importance de ce périodique. Il a lancé toute une génération d’auteurs de bandes dessinées et de séries aujourd’hui considérées comme des classiques. Pourtant en allant dans une presse, le magazine est introuvable : en effet, malgré quelques retours, aucun numéro n’est sorti depuis 25 ans. Faisons un retour sur son histoire.
Le contexte
A la fin des années 50, il existe plusieurs périodiques de bande dessinée destinés à la jeunesse dont certains sont fondateurs de ce qu’est la BD aujourd’hui. Nous avons par exemple depuis 1934 Le Journal de Mickey, mais aussi et surtout Spirou depuis 1938, Vaillant (qui deviendra Pif Gadget) depuis 1945 et Tintin depuis 1946. Bref, les enfants avaient de quoi lire. Pourtant, en 1958, Radio-Luxembourg (aujourd’hui RTL) décide de lancer son propre périodique, genre de Paris-Match mais ciblé pour les jeunes. François Clauteaux, alors chef du service presse de la radio, va chercher des auteurs pour l’aider dans son projet. On retiendra surtout trois jeunes auteurs qui vont forger le magazine : René Goscinny, Albert Uderzo et Jean-Michel Charlier. En effet, les trois hommes sont des amis, et ont fondé leurs propres sociétés : Edifrance comme agence de publicité, et Edipresse comme agence de presse.
La création
Après plusieurs petits boulots, dont un passage dans le Journal de Tintin, ils vont participer à la création de ce nouveau périodique qui s’appellera Pilote. Cependant, avant le lancement du premier numéro, l’équipe dut partir à la recherche de financeurs, et pour cela créa plusieurs numéros zéro pour donner le ton et une idée de ce que sera le magazine. D’ailleurs un de ces numéros zéro est diffusé en juin 1959, mais le vrai premier numéro arrive en presse le 29 octobre 1959. Celui-ci est loin de ne contenir que de la BD : on y retrouve beaucoup de rédactionnel, des pages jeux ou sport, des dessins et des romans. Dans le numéro 1, on notera les débuts de bandes dessinées comme Astérix le Gaulois, Barbe-Rouge ou Tanguy et Laverdure, ainsi que la suite des aventures du petit Nicolas qui avait commencé dans l’hebdomadaire belge Le Moustique.
Des débuts difficiles
Malgré un certain succès (le premier numéro s’écoule à 300 000 exemplaires le jour de sa sortie), le magazine rencontre rapidement des difficultés financières. Le périodique est un hebdomadaire à l’époque, et est un vrai magazine avec des articles de grands journalistes ou des interviews de célébrités. Tout ça coûte cher, et finalement, quand son principal investisseur se désengage, la rédaction décide de mettre en vente le magazine. Plusieurs éditeurs sont intéressés, mais c’est finalement Dargaud qui récupère Pilote à la fin de l’année 1960. Si le format change légèrement, le contenu est le même. En 1961, des numéros spéciaux sont même proposés en plus.
L’extension
C’est en 1962 que le magazine subit une nouvelle formule. Le format change encore un peu, et surtout chaque numéro contient 16 pages supplémentaires. On notera que Bob Morane se rajoute la même année sous forme de roman. De nombreuses stars défilent en photo de couverture. En 1963, alors que le magazine se porte plutôt mal, Dargaud place René Goscinny et Jean-Michel Charlier au poste de rédacteur en chef, ce qui va marquer le début de l’âge d’or du magazine. En effet, le duo décide de laisser un peu tomber les articles sur les célébrités, et de se focaliser sur la bande dessinée. Une nouvelle vague de séries cultes va alors voir le jour.
L’âge d’or
Pour se donner une idée des séries apparues pendant cette période, rien ne vaut quelques exemples. Le western Blueberry apparait en 1963 par Charlier et Jean Giraud dont c’est sa première grosse série avant qu’il ne prenne le pseudonyme de Moebius. Greg rejoint Pilote et lance le fameux personnage d’Achille Talon, et ses tirades alambiquées. De nombreux autres auteurs se joignent à l’aventure comme Cabu (Le Grand Duduche), Fred (Philémon), Gotlib (les Dingodossiers, Rubrique-à-brac), Mandryka (Le Concombre masqué), Pierre Christin et Jean-Claude Mézières (Valérian et Laureline) ou Jean-Marc Reiser. Mais ce n’est pas tout, puisqu’on peut par exemple rajouter des noms comme Gébé, Jacques Lob, Robert Gigi ou Georges Pichard. Bref, l’équipe s’agrandit, et le magazine prend de l’importance, surtout que les aventures d’Astérix et Obélix rencontrent un énorme succès en album et font de la publicité à la revue.
La révolution
Les raisons du succès de Pilote, c’est que le magazine ne visait pas les enfants comme tous les autres magazines de bande dessinées de l’époque, mais ciblait l’âge au-dessus. Du coup, des adolescents le lisaient, et continuaient à le lire une fois passés à l’âge adulte. On peut attribuer ce succès pour beaucoup à René Goscinny, qui avant de créer le magazine, est allé travailler aux Etats-Unis, notamment avec les créateurs du magazine MAD. Cette expérience lui a beaucoup servi pour créer Pilote. Quand il se retrouve à la tête du périodique, c’est la première fois qu’un auteur a ce poste. Il est plus apte à comprendre ses employés, et à trouver de nouveaux talents, puisqu’il connait parfaitement le milieu. De plus, à l’époque, un magazine qui s’adressait autant aux adolescents qu’aux adultes était révolutionnaire, et a permis l’essor de la bande dessinée. Pour la première fois, les adultes n’avaient pas peur d’avouer lire des BD.
Le conflit
En mai 68, la rédaction est un peu chamboulée avec la nouvelle génération qui provoque l’ancienne : Charier se détache de Pilote, et Goscinny est blessé par cette « trahison ». Malgré tout, le magazine continue à avoir du succès, et à s’enrichir. De nouveaux auteurs se rajoutent à l'équipe comme Morris (Lucky Luke), William Vance (Bob Morane en BD), Jacques Tardi, René Pétillon, Philippe Druillet, Alexis, Christian Godard, F’Murrr, Jean Solé ou même le cinéaste Patrice Leconte. Anecdote amusante, le jeune Enki Bilal remporte un concours de Pilote en 1971, et y publiera sa première histoire en 1972.
La fin
En 1974, Goscinny quitte son poste de rédacteur en chef, et est remplacé par Guy Vidal. Le magazine devient alors mensuel et repart du numéro 1. Ca n'empêche pas la rédaction de s'agrandir avec notamment Hugo Pratt, Régis Loisel, Patrick Cothias, Michel Blanc-Dumont, Gérard Lauzier, Régis Franc, Caza, Rodolphe, Baru, Max Cabanes, François Boucq, Martin Veyron, Jean-Claude Denis, François Rivière, Floc'h, etc. On notera en 1978 que la Commission paritaire des publications et agences de presse a décidé de radier Pilote, qui perd donc son statut de journal. Après un soutien d’autres journaux, la commission fait marche arrière, et va même jusqu’à considérer la bande dessinée comme un moyen d’expression à part entière dès 1979. En 1986, Pilote fusionne avec Charlie Mensuel et devient donc Pilote & Charlie qui repart du numéro 1. Deux ans plus tard, le magazine reprend son nom de Pilote. Malheureusement, ça ne sera pas pour longtemps, puisque la presse de bande dessinée va subir une crise que le magazine ne passera pas. En effet, le dernier numéro sera celui d’octobre 1989.
L’âme du magazine perdure encore aujourd’hui. En effet, des anciens de Pilote sont à l’origine de nouveaux magazines comme l’Echo des Savanes ou Fluide Glacial qui existent encore aujourd’hui. D’autres ont créé Metal Hurlant, et même si le magazine n’existe plus aujourd’hui, on en entend encore beaucoup parler (notamment à cause de l’adaptation en série TV). De plus, Dargaud sort depuis 2003 des numéros spéciaux de Pilote sur des thèmes particuliers. Enfin, la plupart des séries ont été éditées en albums par la suite, et Dargaud a sorti en 2012 la série Les Plus belles histoires de Pilote, dont 2 tomes sont déjà sortis : les années 60 et les années 70.