Faire vivre des personnages n’est pas chose facile. En effet, même si leurs péripéties sont issues du travail de créateurs qui y mettent plus ou moins de passion, il faut penser que ces œuvres cherchent à trouver un public et donc en un sens à rapporter un succès financier. Peut-on trouver le bon équilibre ?
Un artiste peut décider de créer pour lui-même et pour ses proches. Il trouve alors son intérêt dans le fait de faire quelque chose avant tout, mais il peut aussi désirer diffuser ses travaux et donc rechercher un intérêt nouveau, qui sera l’interaction avec d’autres personnes simplement réceptrices. Cependant, la diffusion d’une œuvre va entrainer automatiquement des retours, qui pourront être artistiques avec des avis sur le travail effectués, ou financiers si le fait de diffuser l’œuvre est lié à une manne financière. La Pop Culture est le symbole de quelque chose qui se diffuse à grande échelle, parfois pour gagner de l’argent, parfois parce qu’un faiseur d’histoire a eu envie de partager sa créativité avec d’autres, parfois parce qu’une entreprise a mis la main sur une création confidentielle… Il y a tout un tas de raison pour expliquer son existence, mais le simple fait qu’elle soit de masse implique forcément que la popularité devient le point central de cette culture et qu’une économie puisse se mettre très facilement en place autour.
L’enjeu pour la Pop Culture est donc de conserver cette adhésion du public pour pouvoir perdurer et donc d’établir un icône à la fois inamovible, dans le temps et l’espace, et bénéfique d’un point de vue culturel et financier. Ainsi, ceux qui sont dans les rouages de cette culture ont une position extrêmement difficile à prendre, car les choix qu’ils feront à propos d’une icône devront convenir à une majorité de personnes, sans dénaturer son côté culturel. Modifier un personnage, c’est aller vers une nouveauté qui peut changer profondément l’œuvre et perdre une partie du public, tandis que ne rien changer peut installer un immobilisme lassant qui enfermera l’œuvre dans une époque.
Quand le statut d’icône permet toutes les transgressions
La pop culture est quelque chose qui va s’inscrire souvent dès l’enfance où l’on baigne dans un gargantuesque ensemble de références mondiales, nationales et familiales. Ainsi, si l’on comprend aisément que l’on puisse transmettre nos caractéristiques physiques à nos enfants grâce à l’ADN, il ne faut pas oublier que nous leur transmettons aussi des références comportementales et culturelles, de manière directe par notre éducation, ou indirecte du fait de la société. Certaines icônes vont ainsi s’inscrire en quelque sorte dans notre ADN culturel, des créations avec lesquelles ont vie depuis notre plus jeune âge, à un point qu’elles en deviennent même des concepts. Robin des bois, Dracula, Blanche Neige, le Père Noël et bien d’autres sont des personnages qui dépassent les frontières et qui sont tellement ancrés dans notre pensée qu’ils ne sont plus associés à des histoires ou des images.
Il suffit pour cela d’observer la grande diversité des créations réalisées à partir de ces personnages : on passe du dessin animé suranné de Walt Disney au film guerrier Blanche Neige et le Chasseur, du Père Noël tout en bonhomie made in Coca Cola au personnage baroudeur et tatoué des Cinq Légendes, du Dracula littéraire de Bram Stocker au Seigneur des ténèbres de Castlevania Lord of Shadow… Ces personnages peuvent être utilisés de toutes les manières aujourd’hui. Bien sûr, il peut être difficile à comprendre qu’on puisse avoir un film parodique avec Robin des bois et que Hansel & Gretel puissent chasser la méchante sorcière, mais la popularité existera toujours quel que soit le traitement fait par les artistes. Les personnages existeront toujours et chacun pourra apprécier sa propre version du personnage. On peut d’ailleurs constater que cela est valable principalement pour des icônes issus de contes, de romans et autres récits non imagés car à partir du moment où c’est une image qui est devenu une icône il devient beaucoup plus difficile d’accepter de la modifier.
Quand l’image entraîne le blocage
Nous somme depuis longtemps dans une société d’images, et l’art de tout temps à chercher à illustrer. Seulement, iconiser une image n’est pas la même chose que l’idée d’un personnage. Cela met en place des carcans qu’il est difficile de faire sauter. C’est le cas des créations du vingtième siècle qui aujourd’hui sont devenus d’énormes succès, en particulier les super héros. Superman est un extraterrestre presque invincible, oui, mais c’est avant tout un homme au costume rouge et bleu, tandis que Batman est bien un multimillionnaire mais qui se déguise en chauve-souris la nuit. Difficile ainsi de modifier ces codes imposés il y a plus de 70 ans, car oui c’est le temps qu’il a fallu pour faire disparaître de manière durable le slip de l’homme d’acier. L’avantage d’une idée est qu’elle peut traverser les âges. Un homme avec un arc peut s’imaginer dans de nombreuses situations et par tous, mais l’image d’un homme blanc mordu par une araignée et se baladant d’immeubles en immeubles à l’aide de toile peut subir l’évolution d’une société.
Aujourd’hui ces icônes récentes, qui n’ont pas eu le temps de devenir des idées implantées dans notre subconscient, subissent la confrontation entre l’époque de leur apparition et celle actuelle. Les créatifs essayent donc de faire perdurer le désir envers ces personnages en les transformant, mais s’ils ne parviennent pas à conserver ce qui a fait ces icônes, alors le public ne suit plus. Changer l’identité, le sexe, la couleur d’un personnage est quelque chose qui est possible aujourd’hui. Pourtant, il y a toujours beaucoup de ressentiment quand cela se produit. Une femme qui devient le dieu du Tonerre ou encore un acteur noir pour jouer un personnage blanc, deux évènements qui ont fait grincer des dents alors qu’ils cherchaient simplement à mettre en avant ces créations. On peut se dire que les protestations sont issues de pensées rétrogrades, mais il est important de prendre en compte le fait que le public a connu ces personnages via des images. Changer une icône imagée est donc la détruire pour un grand nombre, et cela peut parfaitement être compris puisque ces illustrations sont ancrées en nous.
Quand le changement passe par le chemin difficile de la création
Il existe un réel travail à faire pour s'assurer que l’ensemble de la population puisse intégrer certains personnages, non plus comme des images ou des caractéristiques, mais bien comme des idées. Et là où la modification d’une icône peut souvent heurter, on peut constater que c’est la réinterprétation importante qui peut trouver un point d’accord. Transformer Spider-Man, un jeune homme blanc en un adolescent noir, n’a pas été quelque chose de facile à faire comprendre. Pourtant cela a fonctionné tout simplement car Peter Parker, le Spider-Man d’origine, n’est pas Miles Morales le Spider-Man noir, c’est quelqu’un d’autre, c’est une création. Il est tout à fait compréhensible que la société, de par sa diversité, veut intégrer dans son imagerie de nouvelles identités ethniques, religieuses ou de consommation, mais imposer cette identité actuelle à une icône ancienne peut paraître artificiel. Il aurait pu paraître étrange de modifier des personnages d’Harry Potter à ces fins entre les livres et les films, eux qui sont le symbole d’une Angleterre un peu mystifiée du thé, de la reine et de la magie. Par contre, ajouter de nouveaux protagonistes plus divers au sein des films pour coller à une société d’aujourd’hui aurait pu se faire et être accepté de manière générale.
La difficulté pour les créateurs et qu’il est plus facile de maintenir des icônes déjà existantes que d’essayer d’en imposer de nouvelles, et la question qui doit être posée est de savoir si l’existence des anciennes est compatibles avec de nouvelles. Aujourd’hui, le poids économique de la pop culture est devenu tel qu’il est très difficile de penser à du long terme pour permettre son adaptation à la société, et le fait de faire perdurer des personnages fonctionnants sur d’anciens schémas et bien plus bénéfique financièrement que de prendre le risque de la mise en avant d’une nouvelle œuvre, qui devra trouver sa place au fil des ans. Il en reste ainsi qu’une tentative de fausse nouveauté, avec ces changements identitaires de personnages déjà établis censés faire le lien entre personnes attachés à l’icône originelle et personnes désirants voir autre chose.
La Pop Culture est devenue un vaste champ de personnages concrets et d’idées inscrites dans notre subconscient. S’il est simple de faire vivre de nombreux chamboulements à des idées anciennes issus de l’écrit, il est beaucoup plus compliqué de modifier les images s’étant imposées ces dernières décennies, sous peine de heurter une partie importante du public. Cette culture doit donc penser à cela lors de sa création si elle veut se diffuser et se rentabiliser.
Farid
Le 20 décembre 2015 à 20:15Une question qui me frappe à chaque fois : les artistes ont-ils explorer toutes les histoires possibles avec ces personnages avant de les réinventer ?