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Ikigami : quotidien d'un faucheur d'âme

Partagez le quotidien d’un fonctionnaire au travail macabre : la livraison des Ikigami, des préavis de mort. Alors, s’il ne vous restait que 24h à vivre, que feriez-vous ?

Manga de Motoro Mase, à qui l'on doit également Demokratia, la série Ikigami sous-titrée Préavis de mort dans l’édition française de Kazé est, à l'origine, éditée au Japon par Shōgakukan. La série fut pré-publiée en 2005 d'abord dans le Weekly Young Sunday puis dans le Big Comics Spirit à partir de 2008. Le manga compte au total 10 tomes reliés.

Cette série raconte le destin funeste de personnes qui reçoivent l’Ikigami. Dans un futur alternatif au nôtre et à l’univers géopolitique totalement inventé, le gouvernement japonais a mis en place la loi de la prospérité nationale : chaque enfant reçoit un vaccin dès son entrée à l’école. Dans chacune des seringues est injectée, de manière aléatoire, une sorte de virus qui déclenchera la mort d'une personne sur 1000 à une date et une heure précise entre ses 18 et 25 ans. Par ce système, le gouvernement veut instaurer une justice citoyenne où chaque habitant est conscient de l'importance de la valeur de la vie.

Notre héros, Kengo Fujimoto, est un fonctionnaire travaillant pour la mairie et dont l’essentiel de l'activité est la livraison de ces Ikigami aux habitants du quartier. Chaque chapitre raconte l’histoire des différentes personnes à qui Fujimoto livre leur destin funeste. Petit à petit, le lecteur et notre livreur d’Ikigami se posent alors des questions sur la société et les conséquences de ces préavis de mort.

Une société futuriste et totalitaire

C'est dans ce climat pesant et autoritaire que Kengo Fujimoto, jeune fonctionnaire tout juste embauché dans une mairie d'un quartier, se retrouve à livrer des Ikigami. D'abord simple témoin secondaire au début du manga, chaque affaire le livre à de nombreux questionnements sur le fonctionnement du système, son efficacité et l'impact sur la société. Chaque chapitre nous livre une nouvelle victime avec qui nous vivons ses dernières 24h, mais aussi des fragments de sa vie. On se rend compte assez vite que le système de l'Ikigami est purement et simplement injuste et que la mort de ces personnes ne fait que créer de nouveaux drames supplémentaires.

En effet, il y a par exemple cette règle sordide qui solde la responsabilité des délits commis par la personne (qui a reçu l'Ikigami) durant les 24h qui lui restent à vivre par sa famille après sa mort. En plus d'être punis juridiquement, ils perdent la pension de réconfort versée aux familles des « victimes » et doivent déménager. De plus, le manga nous montre assez vite que la situation est bien plus récurrente qu'on le pense.

De même, l'opposition des personnes envers la loi de la prospérité nationale est très fermement condamnée par le gouvernement et les forces de l'ordre. Les habitants ont même l'obligation de dénoncer les opposants, au risque d'être aussi considérés eux-mêmes comme dissidents. Le climat se révèle très vite glaçant et beaucoup plus difficile à vivre puisque le système est totalement autoritaire, empêchant les personnes de penser par elles-mêmes dès que des oppositions d'ordre sociales ou politiques interviennent.

Destins croisés

Chaque chapitre nous présente donc une personne et sa situation sociale, professionnelle, familiale ainsi que son passé, tout ce qu'il a vécu jusqu'au jour où il a reçu l'Ikigami. À chaque fois, notre héros n'est qu'un témoin, ne se mêlant pas de la vie de la victime, ni même de sa réaction après la livraison. Au début de son expérience en tant que livreur d'Ikigami, Kengo est psychologiquement atteint par la portée de son travail : il livre la mort aux personnes et il se posera petit à petit beaucoup de questions. Il se confessera notamment à son supérieur sur ses inquiétudes mais aussi sur sa perception du système. Son destin rencontre ceux à qui il livre les Ikigami puisque son statut lui vaut aussi des attaques, comme ce jeune homme qui le prendra en otage après que Kengo lui aura livré l'Ikigami.

Il est très facile, en tant que lecteur, de prendre parti contre le système dans lequel vivent les personnages et de compatir aux situations, même les plus désespérées. En fait, très vite, les situations prennent une tournure critique où la mort n'est pas acceptée. D'une part car elle arrive soudainement mais aussi parce que ce temps d'attente de 24h avant de mourir fait souvent réaliser des actes de pure folie pour les personnes condamnées. C'est le cas de cette mère de famille de 23 ans qui a une petite fille et qui tente de la faire sortir du territoire pour qu'elle puisse échapper, à son entrée à l'école, au vaccin qui pourrait lui coûter la vie. N'importe quel parent ferait la même chose pour sauver la vie de son enfant et lui offrir une vraie vie.

L’Ikigami provoque alors le regret d'avoir à mourir plutôt qu’une fierté. D’un autre côté, le système réussit à faire comprendre la valeur de la vie aux condamnés. Ils s’interrogent sur le sens de leur propre vie, sur leurs actions durant celle-ci, sur ce qu’ils auraient pu améliorer aussi. Dans d’autres circonstances, on aurait toute sa vie pour réparer ses erreurs et trouver une solution à nos problèmes. L’Ikigami fait comprendre, dans un certain sens, l’importance des choix de vie et donne aussi la possibilité pour l’individu de changer les choses dans un laps de temps très court.

La préservation de la nation par la terreur

La loi de la prospérité nationale est un système qui, d'un point de vue réaliste, s'inscrit dans une logique totalitaire : dès leur plus jeune âge les enfants apprennent l'existence de cette loi par le biais de leur vaccination et surtout sont éduqués dans l'optique que leur mort soit une fierté pour eux, leurs parents et la nation. Le gouvernement met en avant les bienfaits de cette loi : le nombre de suicides et d'actes criminels ont chuté mais au prix de quoi ? D'une ambiance de terreur et d'une constatation que cette fierté de mourir n'est rien comparée à sa mort.

L'existence d'un tel système trouve donc rapidement ses limites, malgré la donnée aléatoire aux injections et surtout les drames familiaux et humains sont bien trop nombreux alors que l'Ikigami ne touche qu'une personne sur 1000. Mais aussi, dans le but de traquer et de mettre hors d'état de nuire les dissidents à la loi de la prospérité nationale, le gouvernement n'hésite pas à piéger et mentir pour mieux démanteler les réseaux. Cette « gestapo » s'infiltre dans tous les lieux pour mieux déceler les personnalités dissidentes.

Le système barricade ses habitants et empêche leur fuite, les condamnant à sacrifier de nombreux enfants mais curieusement c'est ceux à qui l'Ikigami est livré que l'importance de la valeur de la vie et de la fierté de la nation perdent leur sens. C'est l'exemple de cette infirmière qui s'occupe des injections des vaccins aux enfants dès leur entrée à l'école qui se retrouve avec l'Ikigami. Elle se rend compte de son rôle, de la place dans sa société et la condamnation à mort qu'elle a livrée à ces enfants. Mais sans l'Ikigami, l'aurait-elle réalisé ? Et si Kengo n'avait jamais fait ce travail de livreur d'Ikigami, l'aurait-il réalisé lui aussi ?

Ikigami est un manga qui frappe par son thème abordé, mais aussi par son scénario composé de petites histoires toutes indépendantes mais dévoilant la réalité autour d'un système totalitaire qui veut contrôler la vie et la mort de ses habitants pour apposer une fierté nationale.

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3 commentaires

  1. gwegs
    Le 19 avril 2016 à 20:56

    j'ai lu le premier tome, le concept et la narration sont vraiment top !

  2. Khesistos
    Le 20 avril 2016 à 01:13

    J'avais lu les deux premiers tomes je crois. J'ai trouvé ce manga très déprimant. 'ai pas pu continuer. Et, même si ce n'est pas le propos du manga, j'ai eu du mal à accepter la possibilité qu'un tel système se mette en place. Je sais que par le passé on acceptait que ses enfants soient enrôlés à la guerre mais delà à accepter qu'ils soient empoisonnés sans raison crédible. Je ne vois pas comment des parents pourraient l'accepter.

  3. Farid
    Le 20 avril 2016 à 13:25

    Une de mes séries préférées. L'auteur arrive à ne pas se répéter dans la première partie du manga, en nous pousse à se faire la réflexion suivante : sérieux, si je meurs demain, est-ce que ma vie aurait été celle que je voulais ? Une lecture à conseiller aussi à ceux qui ne sont pas fan des mangas.

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