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L'affaire Chelsea Cain ou la misogynie de certains pseudo-fans

Quand une scénariste de comics est harcelée sur Twitter par des connards opposés au féminisme, c'est la vision du sexe fort par une partie de la communauté qui pose problème.

Article écrit par Ben-J et Farid. 

La semaine dernière, la communauté comics a encore été bouleversée par un événement qui, malheureusement, se fait de plus en plus courant dans le milieu. Une explosion de haine, d'intolérance et de conneries sur les réseaux sociaux. Si le phénomène n'est pas nouveau et touche tous les médias, il a atteint cette fois une dimension inquiétante qui pousse à la réflexion.

Tout commence en mars dernier quand l'éditeur Marvel sort une nouvelle série comics sur Bobby Morse, alias Mockingbird, suite à sa montée en popularité grâce à la série télévisée Agents Of SHIELD. Ce personnage a été à une époque membre des Avengers, mariée à Hawkeye et impliquée dans plusieurs sagas cultes. C'est aussi une femme forte, un agent secret qui n'a pas de super-pouvoirs mais est capable de faire équipe avec Spider-Man pour mettre la misère aux super-vilains. 

La tendance actuelle chez Marvel est de mettre en avant ses héroïnes, même pour des séries courtes (faute d'audience), car le lectorat a évolué. En moins de deux ans, on a eu A-Force, The Mighty Thor, All-New Wolverine, Black Widow, Spider-Woman, Scarlet Witch, Patsy Walker, She-Hulk, Elektra, Silk et bien d'autres, mais surtout Captain Marvel, Ms Marvel et Spider-Gwen, qui sont médiatiquement un carton absolu. C'est une tendance de fond et la série Mockingbird n'est qu'un exemple parmi tant d'autres, une proposition commerciale et artistique. 

La relance d'une héroïne

Chelsea Caine est choisie comme scénariste du titre après avoir écrit un one-shot à l'occasion des 50 ans du SHIELD. À 43 ans, c'est la première expérience dans le monde des comics pour cette auteur qui, avant d'écrire Mockingbird, était tout de même une romancière assez célèbre aux USA. Plusieurs de ses romans sont ainsi devenus dès 2007 des New York Times Bestsellers, c'est à dire une des meilleurs ventes du pays. Si la volonté est de publier des séries originales avec des personnages différents (que ce soit en terme de sexe ou d'origines), il faut aussi penser aux artistes. Certes, un homme peut très bien écrire sur une femme, et inversement, mais il y a encore du travail à faire pour avoir assez de créatrices publiées. 

Le lancement de la série en mars se passe bien, avec notamment des bons retours de la presse sur le premier chapitre et une intrigue assez originale pour le personnage. La série est prévue pour tenir 8 chapitres, dont le dernier est sorti aux USA le 19 octobre. Le phénomène est assez régulier : publier assez de matériel pour avoir un à deux albums reliés disponibles en librairie, comme ça, si le personnage connaît un regain d'intérêt, des ventes sont facilement faites. Si la série parvient à se vendre suffisamment, elle peut poursuivre sa route. 

Ce n'est pas le cas ici, ce qui est logique. Marvel publie environ plus de 50 séries mensuelles, il y a peu de place pour une héroïne secondaire, voire de troisième zone. Après des débuts commerciaux honorables (39ème avec 42 000 copies), les ventes plongent comme prévu pour se stabiliser à 15 000 exemplaires commandés par les boutiques, soit environ une 140ème place des ventes mensuelles. Fait logique, elle se vend autant que la série Agents of SHIELD, mais aussi les indés Wicked & Divine ou Spawn. Surtout, elle fait mieux que Nova, personnage bien plus médiatisé (il est au coeur de la série All New All Different Avengers depuis le relaunch de 2016). 

Emballement médiatique 

Malheureusement, les derniers chapitres de la série semblent gêner un groupe de personnes qui n'hésitent pas à aller sur le réseau social Twitter pour s'en prendre directement à la scénariste. La raison de cette colère est que le titre serait (selon ses détracteurs qui ne lisent pas ce comic book) bien trop représentatif des valeurs féministes de Chelsea Cain et, bien sûr, dès qu'il s'agit de féminisme, il y a des anti-féministes qui ramènent leur nez pour contester ces valeurs. 

Si au début, ça ne reste que quelques cas isolés, la poudre prend feu très vite avec la couverture du dernier chapitre, faite par Joelle Jones où l'ont voit Bobby Morse porter un T-Shirt avec l'inscription "Ask Me About My Feminist Agenda" (posez-moi des questions sur mon féminisme). Une manière de tirer sa révérence en pointant du doigts la dimension sociale du titre, ce qui bien sûr a fait bondir ses détracteurs, estimant que l'auteur utilise ce personnage au profit de ses convictions politiques. Le pire dans tout cela, c'est que Chelsea Cain s'occupe dans ce dernier numéro de réécrire le passé de l'héroïne, transformant un épineux cas de viol (car non explicite, donc inexistant pour certains) en un adultère non accepté par Hawkeye qui a préféré la théorie où sa femme se fait manipuler par un super-vilain. Bref, on passe totalement à côté du sujet. 

Les critiques se multiplient sur la couverture et très vite l'auteur, agacée par ces commentaires, annonce qu'elle quitte Twitter et les autres réseaux sociaux, commençant à douter de son futur dans l'industrie du comics. Entre temps, la guerre éclate sur Twitter avec le Hashtag #IstandWithChelseaCain. D'un côté, ceux qui défendent Chelsea Cain, notamment un bon nombre d'artistes et scénaristes stars des comics, y compris le boss de Marvel, Axel Alonso. De l'autre, les anti-féministes de plus en plus nombreux. Les échanges houleux se succéderont pendant plusieurs jours. 

Si l'on peut s'interroger sur la précipitation de la mesure prise par l'auteur, on ne peut que condamner le harcèlement qu'elle a vécu. D'ailleurs, ce week-end, Chelsea Cain a publié sur un blog une explication plus détaillée où elle dit notamment qu'elle s'est rendue compte, en répondant aux tweets et grâce à sa fille, qu'elle passait plus de temps à répondre aux gens agressifs qui n'ont pour but que d'être méchants plutôt que passer du temps avec sa famille. Elle a alors décidé de plutôt rejoindre celle-ci que de continuer à voir tant de haine gratuite, et à donc désactivé son compte Twitter car malgré tout le bien que ce réseau apporte, il y a beaucoup plus de mal à en tirer et cela ne vaut pas le coup. 

Un climat social détestable 

Il est bon de noter qu'actuellement aux USA, la campagne politique pour la présidentielle bat son plein avec une atmosphère particulièrement abjecte. Le candidat républicain Donald Trump n'a pas hésité à multiplier les déclarations sexistes et misogynes, tout en assumant celle-ci. Un scandale a éclaté quand une vidéo l'a montré, il y a des années de cela, expliquant qu'un homme célèbre pouvait faire ce qu'il voulait avec les femmes, y compris les attraper par leur sexe. Dans ces conditions, la parole infecte des machos et anti-féministes s'est déversée sur les réseaux sociaux, ces idiots se sentant validés par les prises de paroles de leur idole. Attention, la question n'est pas de prendre parti pour un candidat, mais la campagne politique qui va prendre fin dans quelques jours n'a pas du tout épargné les femmes. 

Cette histoire avec Chelsea Cain pourrait être anecdotique, mais malheureusement ce genre de situations se multiplie de plus en plus sur internet où dès qu'un groupe de personnes décide de ne pas aimer quelque chose, ils vont essayer de détruire la personne en question. On prendra notamment l'exemple, toujours en octobre, de la variant cover de J. Scott Campbell pour Invincible Iron Man #1 où le dessinateur y dessine la remplaçante d'Iron Man, Riri Williams. Connu pour dessiner des pin-ups et des héroïnes en postures sexy, le dessinateur se fit prendre pour cible par un groupe de personnes trouvant scandaleux qu'il soit autorisé à dessiner un personnage mineur, utilisant l'excuse que la jeune fille était présentée de manière sexualisée sur la cover alors que ce n'est clairement pas le cas. L'affaire du nombril a fait tellement de bruit que Marvel a décidé de supprimer tout simplement la cover, laissant une victoire aux gens mécontents et une défaite à la liberté de création. 

C'est la situation inverse de Mockingbird, ce qui pose le problème général de la liberté artistique. On pourra se souvenir du même genre de cas avec Frank Cho et ses covers Wonder-Woman et ses dessins mettant en scène Spider-Gwen, Manara et sa cover Spider-Woman ou Raphael Albuquerque avec Batgirl et le Joker. Sans parler des déchaînements racistes quand un personnage noir ou musulman hérite d'un costume de super-héros. Il faut se dire que ce genre de victoire de la part d'un petit nombre de personnes amènera de plus en plus de cas comme celui de Campbell, Albuquerque, Cho ou Cain, ce qui n'est pas rassurant pour les créateurs qui peuvent voir à terme leur liberté créative censurée selon les désirs de la twittosphère. Pendant ce temps-là, Marvel se frotte les mains vu que le premier tome de la série cartonne sur Amazon et est en tête des ventes comics. Quand au second et dernier tome, il a été renommé Mockingbird Vol 2: My Feminist Agenda. CQFD 

Des cons, il y en a toujours eu partout. Toutefois, à l'ère des réseaux sociaux, leur impact ne cesse de prendre de l'ampleur et pourrait à terme sérieusement faire réfléchir certains éditeurs un peu trop obsédés par leur image et rentabilité. Il faut donc rester vigilant.

11 commentaires

  1. Lordo
    Le 01 novembre 2016 à 17:35

    Le problème qui peux se poser avec ce genre de positionnement de la part de Chelsea Cain se résume au fait que le comics, tout comme la télévision ou autres doit être impartial et ne pas prendre partie (que ce soit pour les féministes ou contre les féministes). Ca à d'ailleurs été très bien fait avec Ms Marvel qui malgrés sont héroine musulmane n'as pas pris partie et est rester le plus possible neutre. Du coup oui le bashage est ignoble et ne devrais pas exister, mais au vu de la société actuel, du climat aux états unis, il y a clairement eu une provocation avec cette couverture et en sachant justement la monté des bas du front sur Twitter de plus sa volonté de quitter le réseau est trop facile et leurs donne raison.

  2. Mad Monkey
    Le 01 novembre 2016 à 19:12

    On devrait rappeler à ces imbéciles que beaucoup de personnages de comics sont en soit une prise de position. ( A ses débuts Superman tenait du travailleur social, Wonder Woman portait des valeurs féministes, Captain America était un opposant au nazisme avant même l'entrée en guerre des USA, les X-men sont rapidement devenu des symboles de la lutte pour l'égalité des droits... )

  3. Farid
    Le 02 novembre 2016 à 00:18

    Je ne pense pas que l'art est impartial. Il y a de nombreuses séries TV qui dénoncent certains comportements. Je prends un exemple, Madame Secretary, série à succès qui a entamé sa 3ème saison et qui met en scène une pseudo-Hilary Clinton, se permet fréquement de critiquer certaines mauvaises habitudes de la politique américaine, jusqu'à violement mettre en cause les collusions entre donateurs et le président qui impose la vision du monde. De nombreux films essayent aussi de faire avancer des causes. Enfin, je pense justement que c'est quand le climat est le plus détestable qu'il faut imposer des messages de paix, d'égalité et de progression et ne pas reculer face aux cons. C'est le principe du phare, il n'éclaire que dans les ténèbres, pas en plein jour ;)

  4. Lordo
    Le 02 novembre 2016 à 12:09

    Sauf que le féminisme est loin d'être un mouvement de paix et d'égalité (car le soucis c'est que les féministes qui parlent veulent justement rabaisser l'homme pour qu'elles soit au dessus donc aucune égalité...). Le comics on veux lire nos (super)heros, elle aurais fait ça en indé il n'y aurais pas eu de soucis là on touche à une continuité et c'est ça le soucis à mes yeux. Mais attention il ne faut pas lire mes propos de travers, je ne cautionne pas du tout ce que font ces haters et ces abrutis sur internet, mais je ne cautionne pas non plus la prise de position dans le comics mainstream, on fait ce qu'on veux en indé car on vend son histoire, je n'aime pas qu'on m'impose son point de vu dans un comics que je suis pour son univers depuis des années (j'aurais autant été dérangé si on était pour on contre Trump/Hillary dans mon petit Marveluniverse chérie

  5. Just Ale
    Le 02 novembre 2016 à 15:22

    Lordo :"Sauf que le féminisme est loin d'être un mouvement de paix et d'égalité (car le soucis c'est que les féministes qui parlent veulent justement rabaisser l'homme pour qu'elles soit au dessus donc aucune égalité...)." C'est peut-être le cas des féministes que vous écoutez/entendez, mais ce mouvement est loin de revendiquer cela. Je vous propose de lire la définition ou des auteurs traitant du sujet. Encore heureux que le mainstream prenne position. Rien de nouveau à cela pour moi. Des mentalités ont bougé grâce à cela. Espérons qu'il en soit de même très vite avec le féminisme.

  6. Lordo
    Le 02 novembre 2016 à 17:17

    Sauf que justement c'est ceux que je lis entend, que ce soit à la TV, sur internet, dans les magazines etc. Ce n'est pas à moi d'aller fouiller pour comprendre le féminisme c'est justement à ceux qui le cri haut et fort d'en montrer quelque chose d'intelligent et non offensant ;) mais je n'irais pas plus loin dans ce débat car il est stérile d'avance.

  7. Cam
    Le 03 novembre 2016 à 08:16

    C'est une grosse mascarade ça ! Je pense qu'il n'y a même pas besoin de débattre sur les gros idiots qui menacent Chelsea Cain de viol, l'insultent et compagnie. Ils se basent sur quelques posts sur les réseaux sociaux et une couverture pour vomir leur débilités. C'est comme ça qu'ils fonctionnent et on ne pourra jamais les empêcher d'être ainsi. S'ils avaient seulement lu la série Mockingbird en question, ils auraient vu que Chelsea Cain n'a rien de vraiment féministe. Au contraire, elle arrange même "le mâle" en nettoyant le personnage de Mockingbird de l'un de ses événements fondateurs : son viol par le Fantom Rider. Le seul qui a relevé ça, c'est le Commis des Comics dans son JT : https://www.youtube.com/watch?v=pMu1FrEvJMM J'aurais aimé qu'on parle plus de ça parce que c'est selon moi, le vrai scandale. Je suis choquée qu'on transforme un viol en adultère et qu'on fasse passer Mockingbird pour une simple psychopathe. Donc allez-y, débattez sur des grands concepts : le féminisme c'est le mal, le féminisme c'est trop bien, mais ces étiquettes sont bien trop étroites pour englober la complexité du monde dans lequel nous vivons. Ce n'est pas parce qu'une femme écrit une série sur une héroïne qu'il s'agit d'une série féministe. Ce n'est pas parce qu'un dessin fait la pub d'un tee shirt féministe qu'il s'agit d'une série sur le féminisme. La série des vengeurs de la West Coast de l'époque était déjà quelque chose de mille fois plus courageux et Chelsea Cain nous a enlevé ça. Camille

  8. Just Ale
    Le 03 novembre 2016 à 09:25

    Lordo : complètement stérile en effet, c'est n'importe quoi, si on veut prétendre pouvoir parler de quelque chose, encore faut-il s'être informé un minimum. Sur ce bonne continuation

  9. Mad Monkey
    Le 03 novembre 2016 à 12:35

    @ Cam : Perso je débattais surtout sur l'idée qu'un comic book puisse être, ou non, une oeuvre engagée. Après j'avoue ne pas avoir lu la série Mockingbird (de plus je connais mal le perso). Et effectivement vu ce que dis le Commis il y a l'air d'avoir eu un gros travail d'aseptisation sur ce titre.

  10. Lordo
    Le 03 novembre 2016 à 15:30

    @Just Ale > Je n'ai jamais eu la prétention d'en parler, j'ai juste donner mon ressentie envers ce que je lis, vois, entend à la TV, radio, internet et clairement là mon ressentie est loin d'être quelquechose de sains et symbole de paix au contraire, c'est le contraire pure du machisme avec les femmes au pouvoir et les hommes en dessous, personnellement je suis pour une égalité totale (sur le plan intellectuel, car physiquement on risque pas d'y arriver pour des raisons évidentes), mais quand on lis des articles chez Mademoiselle, Paye ta Shnek et autres. Le feminisme me dérange pas plus qu'un autre sujets (aucun sujets me dérange) mais personnellement je reste totalement contre toute forme de prise de position dans un univers mainstream et imposé comme Marvel. Si dans l'univers indé un comics sors sur le thème du féminisme j'irais lire ça avec plaisir comme sur d'autres sujets, mais on ne me l'auras pas imposer dans un univers que j'affectionne et surtout un personnage qui existe déjà. Mockingbird n'est pas une création nouvelle, ils auraient créé une nouvelle héroine feministe et bien pourquoi pas, mais là on change la personnalité d'un personnage qui n'a jamais mit en avant cette facette là.

  11. Captain Raziel
    Le 08 novembre 2016 à 14:03

    Le féminisme est l'une de ces causes où je prends rarement position, trop inquiet de faire un faux pas. Globalement, je me contente de bien traiter mes paires féminins et puis basta. Je n'ai pas même compris toute l'affaire ici. Par contre, je déplore ici encore le rôle de Twitter, catalyseur du pire chez les Hommes.

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