Retour sur la success story du studio qui a réinventé le visual novel et imposé tout un culte autour de ses œuvres.
Avant toute chose, nous vous conseillons la lecture de l'article consacré aux visual novels pour mieux comprendre celui-ci.
Type-Moon, c'est la rencontre de deux gars sur les bancs de l'école au milieu des années 1990 : Kinoko Nasu et Takashi Takeuchi. Ils se découvrent très vite des passions communes mais surtout chacun un rêve : Nasu veut devenir écrivain et Takeuchi, mangaka. Les deux garçons sont également des passionnés de jeux vidéo et réussissent chacun de leur côté à trouver un travail dans ce milieu. Nasu s'essaie à la scénarisation de jeux vidéo mais garde à l'esprit ses pages remplies de caractères. Il publie, en marge de son boulot, son premier roman : Mahô Tsukai No Yoru en 3 exemplaires.
Takeuchi, plutôt adepte du dessin, fait aussi ses premiers pas dans le milieu vidéoludique et y rencontre un collègue qui fait partie d'un cercle dôjin, groupe d'artistes amateurs faisant aussi bien du jeu vidéo, du manga que de l'animation. L'objectif à terme, pour ces artistes, est de percer dans le jeu vidéo où le manga. Par exemple, les CLAMP sont à l'origine un groupe dôjin qui ont percé grâce à leurs œuvres publiées en amateur (des manga yaoi pour ceux qui sont intéressés) avant de devenir des mangakas professionnelles dont le talent n'est plus à démontrer.
Du roman graphique au visual novel érotique
Revenons à nos deux compères. Nasu et Takeuchi se retrouvent, après leurs différentes expériences professionnelles pour monter un projet. Nasu avait envoyé à Takeuchi un des trois exemplaires du roman Mahô tsukai no yoru pour qu'il se fasse une idée de l'univers que le jeune homme cherchait à développer à cette époque. Magie noire, sorcières et démons se côtoient déjà dans l'esprit de Nasu. C'est ainsi que les deux amis se lancent dans la création d'un light novel, un roman graphique. Le projet est lancé sous le nom de Kara no Kyoukai, appelé chez nous The Garden of Sinners lorsque les romans seront adaptés en films animés dans les années 2000.
Nasu et Takeuchi envisagent à la même époque la réalisation d'un manga à quatre mains, de type hentai. Cependant, le goût de Nasu pour l'écriture de pavés de textes empêche la réalisation de ce projet. Enfin pas totalement. Takeuchi s'intéresse à la même époque aux eroges, ces fameux jeux érotiques japonais et particulièrement sous la forme de visual novel. À cette époque, les jeux érotiques pour hommes connaissent un véritable boom au Japon, notamment avec le succès des jeux de la société Leaf.
En effet, jusque là, les jeux érotiques se contentaient d'être de simples plaisirs masturbatoires sans scénario. Le studio Leaf change la donne avec le succès des jeux Shizuku, Kizuato mais surtout To heart. C'est à la même époque que le studio Key lance sa première grande œuvre : Kanon. Le format visual novel permet de marier aussi bien la qualité graphique que scénaristique, ce qui intéresse très vite Takeuchi.
Tsukihime, premier grand succès
C'est ainsi qu'à la fin des années 1990, Nasu et Takeuchi décident de créer leur propre cercle dôjin appelé Type-Moon, en hommage à un personnage d'une des nouvelles de Nasu, Notes. Cependant, les deux compères réalisent assez vite qu'ils ont besoin de renforts pour écrire leur visual novel érotique. Takeuchi fait appel à un ancien collègue de travail, Kiyobee pour la programmation mais surtout à KATE pour composer la musique.
Le premier grand projet du collectif devient Tsukihime. Le jeu sort durant la convention Comiket de l'hiver 2000 et est un incroyable succès. Nasu et Takeuchi avaient produit 1000 exemplaires du jeu en se disant que tout ne se vendrait pas sur le Comiket. Grossière erreur. Les 1000 exemplaires sont écoulés durant cette édition et le jeu gagne rapidement des fans.
Dans sa construction, Tsukihime est un eroge classique où chaque héroïne possède sa propre route. Pourtant, le talent de Nasu en narration rend Tsukihime bien plus intéressant puisqu’au début du jeu, il n'y a que deux routes possibles pour le joueur. Une fois que l'une des deux routes a été complétée, on accède à la seconde partie du jeu. Cette construction, brillante, se base également sur le scénario de chaque route qui possède sa propre histoire et enjeux. KATE livre aussi des musiques magnifiques pour le projet. Amateur rappelons-le.
La sorcellerie vampirique
Tsukihime prend place dans un Japon contemporain et raconte le quotidien de Shiki Tohno, un adolescent qui revient dans sa famille après plusieurs années. Très vite, il découvre que sa mise à l'écart durant toutes ces années est bien étrange. Mais surtout, un jour qu'il rentre du lycée, il est pris d'une envie de meurtre qu'il commet sur une jolie blonde. Pensant faire un mauvais rêve, Shiki retrouve pourtant la jeune femme devant son lycée le lendemain....
Le succès critique et public de Tsukihime permet à Type-Moon de sortir une version dite collector du jeu. Mais surtout, ils livrent en 2001 la suite directe du jeu, comme simple fan-disc, appelée Kagetsu Toya. À la même époque, des compagnies conseillent à Type-Moon de passer professionnels, ce que le groupe refuse. Le succès de la firme est grandissant, jusqu'à l'adaptation en animé de Tsukihime en 2003 et de la publication en roman papier de Kara no Kyoukai.
Le passage au studio de jeu vidéo professionnel
Face à un succès toujours plus grandissant, Type-Moon se résigne finalement à devenir une société professionnelle. Takeuchi décide en effet d'exploiter une histoire de Nasu sur une guerre du Graal mettant en scène des protagonistes divins. Cependant, dans cette ébauche qui fut publiée comme trailer animé en 2011 appelée Fate Prototype, le protagoniste principal est une femme. Takeuchi demande alors à Nasu d'inverser les sexes des deux personnages principaux. Selon lui, le fait de mettre une femme comme héroïne ne colle pas avec le style eroge.
Pendant que les deux amis préparent ce qui deviendra Fate/stay night, le succès de Tsukihime ne faiblit pas. En 2003, Type-Moon s'associe avec le studio de jeu vidéo amateur Watanabe Seisakujo pour créer un jeu de combat d'arcade appelé Melty Blood. Dans cette suite quasi officielle, on y voit les différents protagonistes de Tsukihime s'affronter mais aussi rencontrer de nouveaux antagonistes. Un manga sortira plus tard pour raconter le scénario principal de Melty Blood. Le jeu est en effet un franc succès et le groupe dôjin Watanabe Seisakujo devient le studio French-Bread qui déclinera Melty Blood en un certain nombre de versions.
C'est cette même année que Type-Moon devient un studio professionnel sous le nom de Notes Co Ltd. Il continuera cependant dans la pratique à être appelé Type-Moon et le logo apparaît d'ailleurs systématiquement sur les jaquettes de leurs jeux. Le projet Fate/stay night devient tellement imposant que le studio a besoin de devenir une structure professionnelle pour arriver à la réalisation du visual novel. Finalement, le jeu sort en janvier 2004 et devient rapidement un hit. Il se vend en effet à presque 150 000 copies sur l'année, devant Clannad de Key.
Fate/stay night, légendes et guerre du Graal
Fate/stay night raconte le destin de Shiro Emiya, un lycéen qui se retrouve embarqué dans une guerre du Graal un peu spéciale. Durant celle-ci, sept magiciens invoquent des figures antiques appelées Servants qui s'affrontent pour obtenir le Graal. Ce dernier est capable d'exaucer n'importe quel vœu. Et évidemment, cette guerre est loin d'être gentillette, puisque la mort est présente à chaque coin de rue. Shiro est d'ailleurs sauvé par Rin Tohsaka, une magicienne et camarade de classe alors qu'il vient d'être mortellement blessé par un des Servants ennemis. Notre héros se retrouve dans la course avec son Servant du nom de Saber.
Le visual novel propose un scénario dense de près d'une centaine d'heures de lecture et où la partie érotique est limitée au minimum syndical. Le jeu se découpe en trois grands arcs consacrés à chaque héroïne : Saber pour Fate, Rin pour Unlimited Blade Works et enfin Sakura Mato pour Heaven's Feel. Pour chaque scénario, les choix à effectuer sont tellement différents que l'histoire évolue différemment, aussi bien sur les enjeux que sur les protagonistes et antagonistes.
Une quête du Graal fructueuse
Fort de son succès critique et public, Fate/stay night est adapté en animé en 2006. Cette version reprend assez fidèlement le scénario Fate. En 2010, un film animé appelé Unlimited Blade Works adapte le scénario du même nom. Il sera également repris en 2014 comme suite de Fate/Zero, un light novel non écrit par Nasu mais par Gen Urobushi adapté en animé en 2011.
Fate/stay night devient rapidement culte pour sa qualité d'écriture mais également graphique et sonore. Sa longueur, qui pourrait rebuter plus d'un, en fait une œuvre complète où la romance n'est qu'un élément déterminant dans les choix de Shiro. Alors que Tsukihime se construisait encore sur les bases d'un eroge classique, Fate/stay night brise progressivement les codes. Les scènes érotiques ne représentent que 1% de la totalité du jeu, ce qui est complètement risible pour un eroge.
Fate/hollow ataraxia, la confirmation d'un savoir-faire
Type-Moon ne se repose cependant pas sur ces lauriers en préparant, dès 2003, une suite sous la forme d'un fan-disc destiné essentiellement aux fans. Annoncé comme une suite avant tout parodique, Fate/hollow ataraxia repousse très vite les limites du concept. En effet, Nasu propose un scénario bien sérieux, certes entrecoupé d'éléments comiques mais qui interpelle par sa narration. Le joueur est pris dans des boucles temporelles intempestives qui le mènent constamment au game over au bout du 4ème jour.
Fate/hollow ataraxia est aussi dense que son grand frère, aussi bien en terme de contenu que de scénario. Mais il est surtout tout aussi pervers que Fate/stay night et sa quarantaine de game over si on procède aux mauvais choix. On se retrouve en effet empiété dans ces boucles temporelles sans savoir comment en sortir. Pour vous détendre après être mort pour la cinquantième fois, vous pouvez vous essayer à des mini-jeux chronophages : un donjon crawler avec les personnages de la licence mais aussi le jeu de cartes japonais, le hanafuda, où vous affrontez les différents personnages dans une version complètement dingue. Les Servants peuvent se servir de leurs pouvoirs, ce qui complique sérieusement la partie...
Fate/hollow ataraxia est donc loin d'être un simple fan-disc pour contenter les fans et on se retrouve à passer des heures entières aussi bien sur les mini-jeux que pour comprendre le scénario bien complexe du jeu. Il devient d'ailleurs un hit au Japon en étant en seconde place des meilleures ventes de l'année 2005.
Des adaptations diverses et variées
La machine business de Type-Moon est lancée. Animés, mangas, romans, jeux vidéo, Fate/stay night est réédité sur PS2 en 2007 en version tout public et avec les voix japonaises, suivi de Melty Blood sur arcades mais aussi consoles de salon et PC. Les romans de Kara no Kyoukai sont adaptés en films d’animation à partir de 2007 pour un total de 8 films. Devenu des stars de la japanimation, Nasu et Takeuchi collaborent au visual novel 428:Fusa Sareta Shibuya en écrivant l’un des scénarios du jeu. Il sera adapté en 2009 en anime sous le nom de Canaan.
Nasu travaille également à la même époque sur le scénario du Donjon-RPG Fate/EXTRA sur PSP, reprenant le concept de guerre du Graal dans un univers mêlant numérique et divinités. Le joueur, homme ou femme selon vos goûts, a la possibilité de choisir entre trois classes de Servants: Saber, Archer ou Caster. Vous y affrontez d'autres personnages, plus ou moins empruntés au Nasuverse et votre objectif est bien évidemment de remporter la guerre en y affrontant les Servants ennemis.
Mahô tsukai no yoru, le retour aux origines
Consacrant leur énergie aux multiples projets cross-media autour de ce que les fans appellent le Nasuverse, Type-Moon ne retourne à la réalisation de visual novel qu'en 2012. Vous vous rappelez du premier roman de Nasu publié à 3 exemplaires ? Et bien c'est ce scénario que les deux compères décident d'adapter.
Mahô tsukai no yoru sort finalement en avril 2012. Le jeu est radicalement différent des autres visual novels de Type-Moon. En premier lieu, celui-ci est entièrement linéaire, sans embranchements scénaristiques multiples qui faisaient le bonheur des fans. Mais en plus, le jeu ne se dote d'aucune romance et s'avère être une introduction. Enfin, une introduction de 30 heures quand même. On y retrouve Aoko Aosaki, personnage que l'on avait découvert dans Tsukihime dans sa jeunesse et ses débuts comme sorcière. Elle y rencontre un curieux jeune homme : Sojyuro Shizuki. Étudiant également au même lycée qu’Aoko, il se retrouve assez vite impliqué dans la vie de la jeune et fougueuse sorcière aux cheveux rouges...
L’expérience cinématographique
Si Mahô tsukai no yoru fait office d'introduction à une trilogie, le jeu offre une performance graphique et technique irréprochable. Les mouvements de caméra et la mise en scène sont tout simplement splendides et donnent l'illusion d'être dans un vrai film animé. Alors, certes, on se demande pourquoi l'équipe n'a pas conçu un vrai film animé. La réponse se trouve évidemment dans la volonté de Nasu et Takeuchi de proposer une expérience nouvelle pour le joueur à travers un format texte interactif, non pas dans ses choix mais sa réalisation technique.
Musicalement, le jeu s'offre des pistes sonores magnifiques, signées Hideyuki Fukasawa qui sera de nouveau de la partie en 2014 sur l'adaptation animée de Fate/stay night Unlimited blade works. Takeuchi se fait également aider au chara-design et au dessin par Koyama Hirokazu, faisant perdre au jeu un peu de son style graphique si particulier. Le jeu est évidemment un franc succès mais 5 ans après, malgré l'annonce d'une trilogie, Mahô tsukai no yoru 2 ne pointe toujours pas le bout de son nez...
Faire monter la hype versus Type-Moon
En effet, après avoir réalisé Mahô tsukai no yoru, Nasu se met à travailler activement sur Fate/EXTRA CCC, la suite de Fate/EXTRA. Le jeu sort en 2013 sur PSP, étant d'ailleurs au passage l'un des derniers jeux de la console. Entre temps, Nasu et Takeuchi annoncent publiquement le futur remake de Tsukihime. En effet, le jeu original est devenu culte, introuvable mais surtout vénéré par toute une communauté. Cependant, depuis l'annonce c'est silence radio, à l'exception faite d'une diffusion des nouveaux chara-design des protagonistes du jeu.
En réalité, Type-Moon planche toujours sur la saga Fate avec la sortie en 2014 de Fate/hollow ataraxia sur PSVita. Jusque-là, le jeu restait une exclusivité PC et surtout il n'avait jamais été réédité depuis sa sortie. Si l'initiative de proposer la saga Fate dans une version plus récente et abordable pour le grand public est appréciable, les fans semblent plonger dans une grande perplexité.
Des promesses en l’air
Les annonces autour du remake de Tsukihime et de la suite de Mahô tsukai no yoru ont complètement disparu depuis plus de 3 ans maintenant. À l'heure actuelle, le studio ne semble pas avoir de projets originaux, se concentrant sur des spin-off/univers alternatifs consacrés à Fate/stay night comme Fate/Grand Order prochainement adapté en animé. Si les fans de Fate sont heureux de voir leur saga préférée déclinée en mille façons possibles, les autres regrettent finalement la richesse et l'originalité qui faisaient le succès de la firme dans ses jeunes années.
Mais c'est aussi le pari d'un studio qui aujourd'hui est devenu un business model à part entière. En commençant comme studio amateur, Type-Moon a montré la voie dans la capacité de révolutionner un support mais aussi de saisir les codes marketing de son époque pour concevoir des œuvres cross-media qui se vendent comme des petits pains. Un modèle que certains doivent sûrement prendre pour exemple sur un marché aussi concurrentiel que le visual novel au Japon.
Type-Moon est un studio de jeux vidéo culte au Japon qui a su fédérer son public autour de séries comme Fate/stay night et devenir un nom reconnu et respecté dans la culture japanim.
Yakbar
Le 30 janvier 2017 à 13:56Bonjour, Merci pour cette article hyper intéressant. Je suis tombé sur le type "visual novel" des jeux vidéos l'an dernier, et en faisant des recherches, on trouve très souvent que "fate/stay" est l'un des meilleurs. Malheureusement, j'ai l'impression de ne le trouver qu'en japonais. Je me trompe?
Elesia
Le 31 janvier 2017 à 17:04@Yakbar : Merci pour ton retour :) Concernant Fate/stay night il existe une version en anglais réalisée par des amateurs avec le patch des voix PS2 (le jeu original n'est pas doublé). Evidemment, je ne puis te donner de lien vu que c'est une traduction illégale et que malheureusement, Type-Moon ne semble pas vouloir sortir le visual novel chez nous... Tsukihime a lui aussi bénéficié d'une traduction anglaise amateur, si cela t'intéresse.
Yakbar
Le 01 février 2017 à 00:11Pas de souci, je vais me debrouiller. Je voulais juste ne pas passer a cote d'une version "propre". Encore felicitation pour cet article. Ca m'a permis de te decouvrir, ainsi que ton blog!