Né du même trait illustrant le groupe Gorillaz, Tank Girl narre les aventures déjantées d'une adolescente timbrée dans un univers moderne et apocalyptique.
Si la bande dessinée est résumée aujourd'hui à quelques grands noms de la BD Franco-belge, à de nouveaux artistes qui ont su faire leur réputation avec de longues séries bien illustrées, il existe un genre un peu particulier et indépendant qui est aujourd'hui complètement éteint. C'est celui du pulp, né dans des magazines (ou des fanzines) qui donne lieu à des histoires absurdes et sans retenue, parfois typiques de ce qu'on appelle un « plaisir coupable. »
Parmi tous ceux s'étant illustrés dans ce domaine, c'est Jamie Hewlett qui va nous intéresser. Avant d'être le designer du groupe Gorillaz, cet illustrateur de comics et de BD donne naissance au début des années 90 à une adolescente née de toutes les influences du punk britannique, avec une énorme dose de pop-culture émergente : Tank Girl. C'est grâce au magazine Deadline et à son camarade Alan Martin qu'apparaît ce mélange explosif, à consommer sans modération.
Une sacrée paire d'obus
Jamie Hewlett s'intéresse durant la fin de ses études à un projet commun avec ses camarades, une sorte de fanzine nommé Atomman leur servant de défouloir pour toutes leurs idées folles nées des films, soirées arrosées, ou consommation de substances plus ou moins licites. C'est dans une des planches d'Atomman qu'apparaît une pub pour une fille sexy et avec un tank. Sans aucun autre nom que Tank Girl. L'idée est aussi simple que ça, et va connaître un certain succès.
Jamie et Alan vont donner naissance aux histoires de cette fille en 1988, qui se retrouveront principalement dans le magazine Deadline, consacré à la pop-culture et dirigé par un esprit punk faisant fi de toute bienséance. Le succès fut tel que Tank Girl devient la tête de gondole du magazine, et se voit même adapté en film en 1995. Le film transpose librement la BD mais, même si l'accueil critique est peu flatteur, la bande dessinée connaît un nouveau souffle qui, paradoxalement, poussera Hewlett à stopper le projet : Il ne se sentait plus libre de faire des planches et n'était pas attiré par le travail de commande.
She Loves Big Guns
Tank Girl, c'est l'histoire d'une fille. Et de son char d'assaut customisé qui lui sert de maison.
Plus sérieusement, cette fille n'a pas d'autre nom, est âgée de 20 ans (Jamie fera vieillir Tank Girl par la suite) et vit dans l'Outback australien la plupart du temps. C'est dans ce désert aride et à priori post-apocalyptique qu'elle déambule, généralement la clope au bec, la bière dans une main et l'autre main sur les commandes. Vulgaire, déjantée, sans aucune notion du danger, ni aucune pudeur, elle vit sa vie au jour le jour, et n'hésite pas à rentrer dans le lard de quiconque vient chercher des ennuis.
Quand Tank Girl ne brise pas littéralement le quatrième mur en rencontrant parfois ses créateurs durant ses nombreuses escapades, elle partage son temps avec Booga (son petit ami humain-kangourou, merci les radiations), Jet Girl (sa sœur qui pilote un avion), Sub Girl (pareil, mais en sous-marin), et d'autres compagnons tout aussi fous qui partagent la même passion pour la gnôle, les morceaux Punk-Rock des années 80-90, et qui suivront Tank Girl jusqu'au bout du monde pour braquer 2000 canettes de bière en échange de sa petite culotte.
Gloubibooga
Vous l'aurez compris, Tank Girl ne s'attache pas à une cohérence ou une trame scénaristique : toutes les histoires tiennent sur quelques pages, et constituent bout à bout une nouvelle journée dans la vie de cette folle furieuse qui trouve toujours une bonne raison pour vivre, finir bourrée, s'amuser et casser des tronches si le besoin s'en fait sentir. Chaque planche est également une opportunité d'apprécier l'absurdité des situations et des dialogues, parsemés de punchlines bien senties et très critiques des auteurs (Hollywood, le côté prude de certains Anglais…), en ayant toujours la surprise du dénouement. C'est décousu, ça part dans tous les sens, et c'est l'esprit même des auteurs et dessinateurs : de la déconne. C'est pas philosophique, c'est parfois trivial mais toujours comique.
Que ce soit dans l'Outback australien ou en dehors, et ce quelque soit l'époque de rédaction, Tank Girl ne lasse jamais. Au carrefour de toutes ces influences, Hewlett et Martin partent dans tous les délires qu'ils souhaitent (avec parfois des références à leur vie et leur adolescence) et quelque soit le décor, rien ne reste sérieux. Le design général, les personnages, les dialogues, ainsi que les véhicules (et surtout le Tank) sont fous. Tout est fou. Et ce ne serait pas étonnant que des licences comme Borderlands s'inspire à leur tour d'une fille inspirée de films comme Mad Max. C'est du post-apo dans tout le côté punk, anticonformiste et déjanté qu'il soit permis de faire.
She doesn't fire blanks
Tank Girl bénéficie en 1995 d'une adaptation au cinéma. Au début, Hewlett et Martin n'étaient pas plus intéressés que ça, mais se sont laissés dépasser par leur projet et le film fut réalisé. Avec Malcolm McDowell en grand méchant (Alex dans Orange Mécanique) et Lori Petty dans le rôle de Tank Girl (Point Break, Sauvez Willy), le film adapte très librement la BD et se voit parfois entrecoupé de vignettes de bande dessinée en guise de transitions.
Hélas, même si l'univers semble respecté dans l'ensemble ainsi que le tank, le film se révèle assez agaçant. Tank Girl est jouée de manière horripilante et comme une fillette hyperactive (plutôt qu'une jeune femme violente et détraquée), les Kangourous sont mal faits et bénéficient d'une séquence musicale inutile, et l'histoire du film est assez convenue. Il manque ce côté irrévérencieux et imprévisible qui fait le charme de l'oeuvre ; à la place, on obtient un divertissement lisse et encore trop sage, qui a pourtant aidé les ventes de la bande-dessinée. Ne sentant plus que son œuvre lui appartenait, Hewlett et Martin décident d'arrêter quelques temps après le film, laissant derrière eux de nombreuses planches compilées aujourd'hui en réeditions ou intégrales pour garder une trace de cette guerrière de la route.
Si écouter les Sex Pistols avec une bière à la main ne vous empêche pas de lire, ou que vous cherchez une bande-dessinée illustrant même le mouvement punk anglais par son dessin et son univers, alors Tank Girl est fait pour vous. Dans tout ce bazar d'idées, de références, et de scénarios improbables, difficile d'y rester indifférent : Tank Girl vous laissera une trace d'une époque révolue, mais qui fait un bien fou à redécouvrir.