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Débat : la Narration est-elle prioritaire dans le jeu vidéo ?

BEYOND : TWO SOULS, le nouveau jeu du studio français Quantic Dream, propose une expérience presque exclusivement centrée sur la narration. Alors que les joueurs se posent de plus en plus la question de l'importance de celle-ci, nous nous sommes posés une question à la con à la rédaction de POP FIXION : la narration est-elle prioritaire dans le jeu vidéo ? 

Article initialement publié en octobre 2013 dans le magazine Pop Fixion #1

Si l'on se penche sur les origines du jeu vidéo, on constate l'absence d'expérience narrative. Le premier jeu vraiment marquant, PONG, proposait uniquement un concept de gameplay simple et addictif. Plus l'univers vidéoludique a évolué, plus les jeux se fondant uniquement sur le gameplay se sont raréfiés. On peut prendre l'exemple extrême des jeux de combats et de sports. A l'origine, ils ne proposaient pas d'histoire précise. Aujourd'hui, la quasi-totalité des jeux de combats se retrouvent agrémentés d'une histoire. Certains comme INJUSTICE: GODS AMONG US en font même leur argument de vente principal, avec une adaptation comics à la clé. Pour les jeux de sports, suivre la carrière d'un joueur pendant plusieurs saisons devient la clé d'un jeu réussi. 

Pourquoi un tel engouement autour de la narration dans le jeu vidéo d'aujourd'hui ? Eh bien, une des raisons principales est l'avancée de la technologie. Plus les jeux gagnent en qualité et se rapprochent d'un rendu photoréaliste, plus les gens ont envie de s'attacher aux personnages, d'avoir un background et une histoire qui les lient pendant les nombreuses heures de jeu. L'immersion est totale et offre une place prépondérante à l'histoire. Evidemment, ce n'est pas la seule raison. On notera également l'évolution du divertissement en règle générale. Au cinéma, le public critique de plus en plus les productions de divertissement pur, sans réel message ou histoire complexe. Il n'y a qu'à voir la levée de boucliers face aux sagas Transformers (orgie visuelle) ou The Expendables (fibre nostalgique). Les films sont censés proposer des scénarios de plus en plus complexes avec une justification pour chaque élément narratif. Cette évolution de la société se retrouve dans tous les médias, noyant le but initial pour lequel le jeu vidéo à été crée : jouer. Si la plupart des jeux nous offrent encore des expériences de gameplay jouissives, une frange extrême expérimente de nouvelles conceptions de jeu. On en revient donc à Quantic Dream qui n'en est pas à son coup d'essai. On se souvient de HEAVY RAIN ou précédemment FAHRENHEIT. 

Progressivement, ce type de gameplay a été réduit au strict minimum avec des QTE, des interactions visuelles par une série de touches sur la manette. On se concentre uniquement sur l'histoire et on peut dire que le summum a été atteint récemment avec certains jeux indépendants. Le dernier à avoir fait parler de lui dans cette catégorie est THE STANLEY PARABLE. Le but du jeu est simple : sortir d'un bâtîment. Il ne vous est possible que d’avancer et de faire des choix qui influeront sur l'expérience narrative et la fin du jeu.
Ce parti pris a ainsi ses avantages. Une des grandes forces de ce côté narratif à l'évolution progressive est de laisser au joueur la liberté de faire des choix, permettant de personnaliser l’expérience de jeu pour chaque joueur. L'histoire n'a pas à se dérouler en ligne droite, chacun peut expérimenter sa fin. On peut prendre récemment l’exemple des jeux de Telltale Games avec THE WALKING DEAD et THE WOLF AMONG US, des jeux aux choix cruciaux, avec une influence incommensurable sur l’histoire et surtout sur les personnages qui nous accompagnent. Du coup, si deux joueurs jouent l’un à côté de l’autre, il y a peu de chance qu’au final ils finissent le jeu de la même façon. La rejouabilité est énorme. De cette manière, cela permet un niveau d’implication du joueur beaucoup plus importante que lors d’une aventure linéaire.

D'autres jeux sont à la frontière de cette expérience, comme la saga METAL GEAR SOLID de Hideo Kojima. Ici, on nous propose simultanément un gameplay fort, basé sur l'infiltration, et des séquences cinématiques très longues, dignes des films, qui mettent en valeur l'histoire du jeu jusqu'à l'overdose. METAL GEAR SOLID 4 offre ainsi une séquence de fin de presque 3 heures où l'on touche à la manette pendant seulement quelques minutes, non pas pour faire un choix, mais pour progresser. Parmi les jeux AAA (jeux à gros budgets) modernes, on peut voir ce délaissement du gameplay dans les séries comme ASSASSIN'S CREED ou CALL OF DUTY qui, à chaque épisode, offrent de moins en moins d'innovations en termes de jeu mais toujours plus d'immersion. Sortie ce mois-ci, BATMAN ARKHAM ORIGINS offre exactement le même contenu de jeu que son prédécesseur avec seulement une histoire et une époque différente.

Si ce type de jeu représente souvent une expérience superbe et très prenante, on est en droit de se demander quel est l'avenir des jeux de type arcade. La technologie et les goûts du public semblent donner raison aux développeurs privilégiant la narration. Quid des jeux où le but est uniquement de se marrer sans réel objectif pendant quelques dizaines de minutes ? Sans avoir à regarder de cinématiques, ni avoir des dialogues toutes les minutes ou ne pas devoir contempler des pixels pour ressentir une émotion ? L’avènement actuel des jeux indépendants aurait pu y répondre s'il n'avait pas été paradoxal. Au départ, la volonté était de remettre au goût du jour de vieux concepts datant des ères 8 et 16 bits. L'objectif était d'améliorer ces jeux pour les rendre encore plus fun, en profitant des mécanismes actuels. Serait-on sur le point d'abonner progressivement cette voie pour une scène indépendante misant elle aussi tout sur la narration, comme le hit JOURNEY, en laissant tomber de côté le jeu au profit de l'histoire ?  Evidemment non, il existe de nombreuses pépites indés avec des mécanismes jouissifs, voire révolutionnaire. Toutefois, bien souvent, c'est la narration qui permet à ces jeux d'être remarqués par l'industrie. On se rend bien compte qu'aujourd'hui, dans l'industrie du jeu vidéo, la narration devient de plus en plus prioritaire, au risque de perdre la caractéristique principale de ce média grâce à laquelle elle se différencie des autres : l'interaction. Cela n'est pas possible pour un film, une BD ou un roman (sauf si c'est celui dont vous êtes le héros). 

Il reste tout de même un pan de la communauté vidéoludique qui veut de plus en plus retrouver les sensations funs des jeux d'arcade des années 80-90. C'est la mode du retro-gaming qui délaisse les consoles et jeux nouvelle génération pour acheter des anciennes consoles et d'anciens jeux afin de retrouver l'amusement originel. La scène indépendante est aussi vue comme un autre moyen de vivre ces sensations avec de nombreux remakes. Sur le long terme, ces mouvements pourraient renverser la tendance actuelle et pousser les studios à se concentrer sur de nouveaux concepts de gameplay plutôt que sur des histoires de plus en plus travaillées. Nintendo prône, avec son écosystème, des innovations en termes de gameplay (reconnaissance de mouvement, tactile, support secondaire) mais ne les marie pas avec l'immersion photoréaliste des jeux de nouvelles génération. Le projet de film sur la licence ZELDA va dans ce sens. L'éditeur planche ainsi sur une expérience interactive au cinéma, le spectateur étant muni de sa console de jeu portable pour interargir avec l'histoire à l'écran. A méditer.

 

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