Appellation au goût de borborygme dans le monde du jeu vidéo, le DLC est un puissant vecteur de stratégie économique qui revêt des pratiques fort différentes. Aperçu sur cet acronyme incontournable d'une industrie florissante.
Article inédit.
Le développement des DLC fait écho au mouvement récent et progressif de dématérialisation du contenu numérique. Le DLC faisant à présent partie intégrante de l’industrie vidéoludique, la transition des jeux boîte au profit des jeux sans support physique a grandement profité à l’essor des DLC en termes de quantité et diversité. Le terme « DLC » nous vient d’outre-manche et signifie « downloadable content ». En guise de traduction française, on rencontre souvent l’expression « contenu téléchargeable ». Le contenu téléchargeable recouvre des éléments très hétéroclites. En raison de leur variété, il est très difficile d’aboutir à une classification exhaustive. Mais on pourra recenser les plus usités :
• Une carte (map), terrain de combat, circuit automobile (Forza 4)
• Une arme, armure, des pièces de personnalisation d’arme, des camouflages et apparences (Darksiders 2, Saints Row IV, PAYDAY 2, Dead Space)
• Du butin supplémentaire (Borderlands 2)
• Un personnage jouable ou non (Batman Arkham City, Tekken 6)
• Une quête (Mass Effect)
• Une extension basée sur un scénario complémentaire ou alternatif qui peut contenir d’autres éléments déjà cités (Skyrim, Bioshock Infinite, Kingdom of Amalur : Reckoning)
• Du contenu de personnalisation pour un personnage : tenues, visages, apparences, couleurs de vêtements (LittleBigPlanet, Mortal Kombat)
• Un véhicule au sens large (voiture, avion, vélo, train, skate) (Gran Turismo 6)
• Une compétence pour un personnage : sort, coups, combos
• Un défi supplémentaire (Dishonored)
• Une limite de niveaux repoussée (Borderlands 2)
• Une cinématique ou scène
• Un chapitre de jeu solo (Assassin’s Creed II)
• Un mode de jeu (Resident Evil 5)
• Un élément qui existe déjà dans le jeu mais qui peut être débloqué plus rapidement
• De la monnaie de jeu supplémentaire (Forza 4)
Bien sûr, un même DLC peut être vendu en pack, regroupant alors plusieurs de ces éléments ci-dessus.
Le cycle de vie
Il s’agit d’une notion qui a trait à identifier les étapes de la production et de la commercialisation d’un produit. On distingue généralement la phase de développement, la phase d’introduction sur le marché, la phase de croissance, la phase de maturité et la phase de déclin. Si on transpose ce concept au jeu vidéo, les DLC sont alors vus comme une technique afin de retarder au maximum le déclin des ventes, pour tirer le plus longtemps possible les revenus les plus élevés possibles du même jeu. On peut ainsi opposer deux grandes logiques : 1) Développer une grosse extension, vendue plus cher. Elle devrait être accompagnée de mesures de publicité pour susciter un engouement chez les joueurs qui n’ont pas acheté le jeu à sa sortie. Ils pourraient ainsi acheter l’extension et le jeu de base. Cette extension, nécessitant plus de ressources temporelles et financières, peut permettre de prolonger la vie du jeu et d’engranger des revenus sur une période plus longue. 2) Développer un contenu rapidement à la manière d’un costume ou d’une couleur de personnage, vendus moins cher qu’une extension, pour générer des recettes rapides dont la source sera uniquement les joueurs existants. Une telle méthode n’a pas réellement pour objectif de repousser le déclin du jeu. On assiste aujourd’hui à un mélange de ces deux techniques dans bon nombre de jeux (Ex : Borderlands ou Call of Duty).
Le DLC, modèle économique florissant, ou du cash sans grands efforts ?
Il n’y a encore pas si longtemps, les prémices du DLC apparaissaient sous le terme d’extension. Celle-ci supposait un support physique, dont l’achat permettait à l’heureux acquéreur d’obtenir un ou plusieurs disques et un packaging (Exemple : L’extension Lords of Destruction de Diablo II). Cette extension regroupait en général, et indépendamment du type de jeu, du scénario bonus, de nouveaux lieux à explorer, de nouveaux objets et de nouvelles aptitudes. La sortie d’une extension était synonyme d’une véritable innovation, source de travail supplémentaire pour le studio de développement, obéissant à plusieurs logiques telles que prolonger le cycle de vie de son jeu ou satisfaire les fans. Ces extensions pouvaient être annoncées à la sortie du jeu ou bien après. En fonction de la notoriété du soft, la durée de vie pouvait être étendue de plusieurs mois ou années car l’annonce et a fortiori la sortie de l’extension dopait les ventes de l’extension elle-même mais également du jeu de base, et ce, sur une période plus longue que si une extension n’avait jamais vu le jour. Les extensions continuent d’exister aujourd’hui (ex : Fallout 3 et ses 5 extensions), produisant plus ou moins les mêmes effets qu’auparavant, et certaines sont encore commercialisées sous forme physique, en sus du téléchargement. Mais celles-ci ne sont qu’une partie microscopique du phénomène. Certes, tout travail mérite salaire. La norme est donc de payer pour avoir son contenu. Mais il n’a pas échappé à la communauté des joueurs que certains DLC étaient proposés gratuitement. Si le geste est louable et qu’il permet d’égayer son jeu sans avoir à débourser le moindre centime, une telle pratique est intéressante d’un point de vue business et marketing. D’abord, proposer du contenu gratuit permet une réelle fidélisation des clients, qui se sentent récompensés. De plus, télécharger un contenu gratuit intéressant peut donner l’envie d’en acheter un autre, l’opération devient alors à visée promotionnelle.
Les DLC peuvent être analysés en fonction du stade de développement du jeu.
Lorsque le jeu n’est pas encore disponible à la vente, il n’est pas rare que des DLC soient offerts en vue d’inciter à l’achat. Ces DLC sont alors développés en même temps que le jeu et sont réservés aux joueurs qui précommandent (ex : FarCry 4 et ses trois missions solo). Il sera toutefois possible de payer plus tard pour acquérir ces DLC séparément. A l’occasion de la sortie du jeu, certains DLC accompagnent les versions limitées. Ils sont aussi développés avant la sortie et servent de facteurs de différenciation pour récompenser les joueurs qui auront payé plus. Il est déjà arrivé que certains contenus, sortis quelques jours après la sortie du jeu, soient déjà présents sur le disque (ex : Street Fighter X Tekken et ses 12 personnages vendus 20 euros). On peut comprendre, avec des réserves certaines, que du contenu développé avant la sortie du jeu, puisse fonder des différences parfois importantes de prix à l’occasion de son incorporation dans les différentes versions disponibles à la vente. Mais un DLC présent sur le logiciel et simplement verrouillé aux joueurs à moins de débourser une dizaine d’euros supplémentaires est une pratique difficilement acceptable. Cette décision de l’éditeur est alors une manière de gagner le plus d’argent possible en minimisant les efforts. Cela peut aussi s’analyser un en véritable DLC qui aurait été de toute manière développé ultérieurement mais déjà inclus dans le jeu pour des raisons techniques. Si tel était le cas, on peut souligner la maladresse de ce choix. Des joueurs parlent de jeu incomplet. Mais cette situation illustre le débat du verre à moitié vide ou à moitié plein : quand certains se plaignent que ce contenu déjà développé aurait pu être gratuitement inclus dans le jeu, d’autres disent qu’il aurait tout aussi bien pu être développé plus tard et mérite d’être payant.
S’agissant des DLC développés pendant la phase de vie du jeu, le modèle économique est différent en fonction de la nature du contenu. Pour maximiser le profit, la meilleure solution est de minorer les coûts de développement du contenu et de le vendre le plus cher possible. Cependant, la manière de vendre est également déterminante, d’où l’importance de la publicité. Les jeux qui nécessitent une connexion à Internet permettent à l’éditeur de relayer des annonces sur la sortie de nouveaux DLC. Les packs comme les packs de personnalisation, vendus parfois plus d’un euro, sont un bon moyen de gagner de l’argent à peu de frais. Au contraire, l’extension qui inclut beaucoup de contenus différents nécessite un temps de développement plus élevé mais peut être très rentable en fonction de l’attente crée chez les joueurs et du marketing qui l’accompagne.
Quelques pratiques doivent être soulevées
Les « DLC » faussement nommés qui débloquent instantanément du contenu déblocable par le joueur, ou les DLC « gain de temps » (ex : Need For Speed Most Wanted). Ces derniers sont légitimés par une supposée demande des joueurs qui n’ont pas suffisamment de temps pour jouer. En termes de business, ce type de contenu qui n’en est pas, est une manne financière absolument sans effort pour le développeur et l’éditeur. Ce type de pratique amène aux fameux DLC « Pay-to-win » : il s’agit de contenus qui offrent des possibilités énormes par rapport aux joueurs qui font le choix de ne pas payer, comme des armes ou des compétences très puissantes. Cela ne pose pas de problème dans les jeux solo, mais dans les jeux multijoueur où certains joueurs fortunés dominent les joueurs qui se contentent de jouer. Bien que ces DLC rapportent de l’argent, l’éditeur du jeu devrait reconsidérer son jugement si les serveurs multijoueur sont désertés en contestation de cette politique nauséabonde.
Le modèle de jeu Free-to-Play repose majoritairement sur la pratique du DLC. Il n’y a pas d’abonnement à payer, ni d’argent à débourser pour acquérir le jeu. La rentabilité du modèle repose sur le système de micro-transactions qui consiste à offrir du contenu de jeu pour des sommes plus ou moins modiques (ex : Tom Clancy’s Ghost Recon Phantoms). Ici, le DLC est envisagé en tant que contenu déjà développé et présent dans les fichiers de jeu, mais simplement verrouillé à tous les joueurs qui font le choix de ne pas payer. Le parallèle avec le jeu dit incomplet est alors inévitable mais c’est bien là la finalité de l’opération en raison de la gratuité du jeu. Le joueur est incité à effectuer ces transactions, qui se révèlent indispensables pour générer du revenu et qui fondent la survie économique du logiciel.
La pratique très usitée du Season Pass (ex : L.A. Noire, Watch Dogs, Titanfall..) qui consiste à tarifer un passe saisonnier donnant au joueur accès aux contenus dès leur sortie est une technique extrêmement adroite de la part de l’éditeur car elle permet de recueillir des fonds avant même que les DLC soient créés. En quelque sorte, il s’agit d’une précommande de contenus. Cette pratique amène néanmoins quelques critiques, à l’image de certains jeux qui proposent à la vente des DLC « hors Season Pass » qui ne sont pas inclus dans le passe. Ce système offre une véritable liberté au développeur, mais amène confusion et sentiment de trahison chez les joueurs.
Sur la fin du cycle de vie du jeu, des versions GOTY (Game Of The Year, ou, jeu de l’année) sont souvent mises sur le marché, regroupant en général l’ensemble des DLC sortis à ce jour, permettant de redynamiser les ventes et la communauté des joueurs. Il faut quand même préciser qu’à l’instar du Season Pass, certains n’hésitent pas à continuer de développer et vendre des contenus « hors GOTY ». Coup de maître ou flop, sachant que beaucoup de joueurs n’achètent les versions GOTY car ils savent qu’elles contiennent tous les contenus du jeu ? Les versions jeu de l’année perdent alors de leur superbe. Quand l’édition GOTY de Forza Motorsport 3 regroupait tous les DLC du jeu, celle du 4 ne contenait que deux packs, et certainement pas les meilleurs.
Le recyclage ou la stratégie Capcom
On dit que c’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe. Capcom a clairement appliqué ce bon vieil adage et nous a donc concocté la même tambouille dans les mêmes récipients depuis près de 5 ans. Le DLC peut effectivement être apparenté à une forme de recyclage, c’est-à-dire faire du neuf avec du vieux, s’inspirer de ce qui existe déjà pour donner une forme de renouveau, parfois en apparence seulement. Pourquoi se donner la peine de modéliser un nouveau personnage lorsqu’on peut se contenter de sortir un skin (de nouvelles couleurs pour le même modèle) qu’on vendra au même prix ? En 2009 sort Street Fighter IV, nouvelle mouture de la licence incontournable de Capcom, avec 25 personnages et 17 stages. Un an plus tard, une version améliorée du jeu est déjà disponible à la vente : il s’agit de Super Street Fighter IV. Une dizaine de personnages fait alors son apparition aux côtés de plusieurs niveaux. Il s’agit donc d’un gros DLC, qui n’est pas téléchargeable ! Capcom a préféré délester les aficionados du jeu de combat de leur argent en les obligeant à acquérir une version complète dont les deux tiers étaient identiques à ce qu’ils avaient déjà. En 2011, Super Street Fighter IV : Arcade Edition voit le jour, rajoutant entre autres 4 personnages jouables. Cette version est alors distribuée sous forme de DLC (Capcom semblant enfin avoir compris) et sous forme de support physique à prix minoré. Alors que l’on pensait que cette version était la dernière, c’est alors que sort Ultra Street Fighter IV en 2014 par voie physique et dématérialisée, rajoutant encore 5 combattants. On relativisera l’ajout en observant que plus de la moitié des persos provient directement de Street Fighter X Tekken sorti en 2012.
Une telle stratégie est-elle adéquate ? D’un côté, sortir 4 versions pour le même jeu permet de doper le cycle de vie du produit et d’engranger un maximum de recettes, surtout en omettant volontairement de prévoir un support dématérialisé pour une des versions. Mais lorsqu’on sait que le DLC de Super Street Fighter IV : Arcade Edition coûte 15 euros, il est clair que le contenu de Super Street Fighter IV n’aurait pas coûté moins de 30 euros. De l’autre côté, cette pratique est très contestée. Le joueur qui ne découvrirait le jeu qu’en 2014 (hypothèse très limitée car on le connaît depuis 5 ans !) serait évidemment conquis par la richesse du contenu et les mécaniques de jeu qui ont été toilettées depuis près d’une demi-décennie. Que dire cependant au fan de la première heure qui se sent, doux euphémisme, lésé ? Ce joueur, pour acquérir toutes les versions, aurait dû débourser depuis Street Fighter IV plus de 130 euros. Certes, c’est le prix pour avoir profité du jeu dès sa sortie et de sa communauté depuis 5 ans ! Mais est-ce suffisant ? Pour beaucoup, la tendance est donc à l’attente de la dernière version pour profiter du maximum de contenu au plus bas prix. Le problème est que l’on ne sait absolument pas quelle sera la dernière. A quand Ultimate Supra Street Fighter IV, dira-t-on. Capcom a donc réussi à nous faire reporter nos achats aux calendes grecques. Pari perdu.
La communauté des joueurs face aux DLC – Que faut-il en penser ?
Un tel modèle ne peut fonctionner sans recueillir l’assentiment de la cible concernée : les joueurs. Le développeur doit donc écouter les clients et recueillir leur feedback. La technique de vente définie en interne doit donc être confrontée au ressenti des joueurs. Un modèle intelligent sur le plan économique peut être totalement mis à mal par le boycott des joueurs, pensant qu’ils sont pris pour des moutons. La crainte ultime du joueur est de voir dans le futur, les DLC utilisés à outrance, aboutissant à de véritables « jeux en kit » à la manière d’IKEA, à monter soi-même. 3 euros par chapitre et 5 euros pour la scène de fin, voire 1 euro à chaque mort, à la manière des bornes d’arcade. Les DLC peuvent en effet donner lieu à de véritables abus, incitant les développeurs à proposer dans le jeu, vendu tout de même plus d’une soixantaine d’euros, un contenu infime, pour ensuite déverser un tsunami de contenus dont l’achat complet coûterait au joueur l’équivalent d’une PS4.
Un modèle alternatif – Le jeu en version alpha
Certains développeurs n’ont pas les fonds suffisants pour mener de bout en bout le développement de leur projet. Il y en a donc qui se tournent vers Kickstarter. D’autres, en revanchent, choisissent de créer et commercialiser une version alpha : une version qui se contient pas toutes les fonctionnalités et les contenus de la version finale, mais une vitrine digne de ce nom. En l’achetant, le joueur est prévenu sur le caractère inachevé du logiciel et sait que sa contribution permettra d’aider financièrement le studio de développement. Le successeur spirituel de Titan Quest, Grim Dawn, en est un bon exemple. Par la suite, du contenu supplémentaire, comme des actes de scénario entiers, y ont été ajoutés gratuitement. Cette méthode permet par conséquent aux créateurs de jeux vidéo de commencer à générer des recettes beaucoup plus tôt, bien avant la finalisation de leur projet. Le soft Cube World illustre également cette nouvelle tendance. Le problème, c’est que les joueurs attendent depuis plus d’un an une mise à jour. Notons qu’à ce titre, Steam met maintenant en garde les acheteurs sur le fait qu’ils achètent en connaissance de cause un produit qui est susceptible de ne pas être mis à jour par la suite. N’achetez que si vous aimez ce que vous voyez, en somme, car ici, le DLC peut être illusoire.
L’avenir du modèle
La tendance n’est pas à l’inversion de la courbe du chômage pour les développeurs de DLC. On constate qu’au fur et à mesure de la sortie des jeux, ces derniers contiennent toujours plus de contenus téléchargeables. Un modèle concurrent ou alternatif peut cependant émerger : le développement de contenu par les joueurs. Lorsque certains développeurs l’ont permis en distribuant des SDK (Software development kit) comme Valve, ou des éditeurs de niveau comme dans le futur Hotline Miami 2, d’autres y voient le mal, annihilant leur précieuse de source de revenus. Pourquoi les joueurs paieraient pour quelque chose qu’ils pourraient créer eux-mêmes, voire mieux ? Le nerf de la guerre pourrait se situer sur ce terrain, opérant une balance entre liberté de création conférée aux joueurs et possibilité au développeur / éditeur du jeu d’en tirer un bénéfice financier.
Le pire du DLC
Dans les DLC, il y a des hauts et des bas. Intéressons-nous aux tréfonds des abysses avec le superbe DLC qu’est le pass multijoueur. Il n’y a pas si longtemps, s’il vous passait par la tête d’acheter des jeux EA ou Ubisoft d’occasion, vous n’aviez pas le plaisir de goûter au mode multijoueur. En effet, un code à usage unique était fourni avec chaque jeu neuf. Il suffisait alors à l’heureuse personne ayant cru faire une bonne affaire en achetant un jeu d’occasion de débourser au moins 10 euros pour pouvoir jouer en ligne. Heureusement, sous la pression des joueurs, cette pratique a disparu…pour combien de temps ?