Il y a 10 ans, l'éditeur de jeu vidéo Electronic Arts régnait en maître sur le monde des jeux vidéos. Tel un ogre avalant les studios et les licences, il se développait inlassablement en s'appuyant sur de juteuses licences. Mais ça, c'était avant.
Electronic Arts a plus que marqué l'Histoire du jeu vidéo, il l'a fabriqué en compagnie d'entreprises comme Nintendo ou Sega. Sans jamais s'aventurer sur le domaine périlleux de la construction de consoles, l'éditeur a démocratisé le principe de multi-support, au grand dam des constructeurs à la recherche d'exclusivités. Symbole d'une professionnalisation du jeu vidéo, mais aussi de l'accès à des budgets pharaoniques libérant la créativité des dévellopeurs, EA a longtemps fait la loi en Occident sur le marché des jeux vidéo. Malheureusement, l'entreprise a mal négocié le nouveau siècle, ce qui s'est payé ces dernières années avec une mise en retrait au profit de nouveaux acteurs ambitieux. Les plus anciens d'entre nous se demande même parfois si EA existe toujours alors que ses recettes financières sont gargantuesques. C'est la perte de crédibilité artistique et médiatique qui frappe. Pour retrouver sa place de leader de l'industrie, EA va devoir se réinventer en retrouvant les recettes qui ont fait son succès. Et l'objectif d'un éditeur, c'est de mettre sur le marché un jeu développé par un studio, ce qu'a parfaitement réalisé EA pendant des années.
L'INFORMATIQUE MADE IN USA DES ANNEES 80
Fondé en 1982, l'année de lancement de la Commodore 64, EA est né dans l'esprit d'un directeur marketing d'Apple nommé Trip Hawkins. Avec 200 000$ de capital, puis un investissement de 2 millions de dollars, il a recruté des employés dans son ancienne entreprise, mais aussi chez Atari ou Xerox, des boîtes qui comptaient à l'époque. Le truc qui a tout changé, c'est sa volonté de cibler le client, c'est à dire le joueur, et non le vendeur qui cherchait des licences proposées par des entreprises connues. Il fallait donc convaincre directement le vendeur de mettre en rayon le jeu et court-circuiter la distribution habituelle. Il a aussi considéré que les développeurs étaient des artistes et non de simples informaticiens, les mettant en avant et modifiant le système de rémunération à leur avantage, d'où le nom de son entreprise qui était au départ nommée Amazin' Software. D'autres innovations marqueront l'industrie, comme le format de la boîte de jeu comme des albums de musiques. Grâce à cette politique et au succès de l'entreprise, de nombreux développeurs ont désiré travaillé avec EA. Mélangeant édition pure et développement interne dès 1987, l'entreprise produisait initialement ses jeux uniquement pour les ordinateurs comme le Commodore Amiga, très populaire aux USA. L'arrivée de la NES modifie l'envergure de l'entreprise qui savait déjà mettre en avant des jeux devenus cultes.
En 1983, EA édite Pinball Construction Set du studio BudgeCo, un jeu révolutionnaire pour ses performances graphiques. La même année, One on One (avec Julius Erving et Larry Bird, excusez du peu) rend fou les amateurs de basket. 1985 est l'année du RPG The Bard's Tale de Interplay Productions. Là encore, les graphismes sont époustouflants avec de la 3D (les gars, on n'est pas encore à Mario 64). En 1986, le jeu de type bac à sable Starflight détruit la vie des amateurs d'épopée spatiales. 1989 voit débarquer Madden NFL, une référence du jeu de sport qui va symboliser par la suite l'emprise marketing de l'éditeur. Il y a aussi Populous de Peter Molyneux, une référence du jeu de stratégie qui symbolise la capacité d'EA à fabriquer des stars de l'industrie. Le premier jeu NHL débarque en 1991 et FIFA en 1993. Deux énormes séries, surtout celle de football qui va régner pendant longtemps avant de se faire tacler par une bande de japonais. Entre temps, la simulation spatiale Wing Commander (via le rachat d'Origin Systems) et le shoot-em up Desert Strike diversifient le catalogue de l'éditeur qui peut se targuer de vendre par millions des jeux cultes.
1994 voit débouler Need For Speed alors que 1997 accueil Dungeon Keeper et Ultima Online. L'acquisition de Westwod Studios permet de mettre la main sur la très populaire série de RTS Command & Conquer en 1999 alors que l'éditeur se lance dans le FPS spectaculaire avec Medal of Honor. C'est aussi cette année là qu'il produit son premier jeu James Bond, à une époque où le cinéma comprend enfin que des recettes supplémentaires sont accessibles à travers le jeu vidéo. La série des Harry Potter va symboliser ce type de partenariat très juteux. On oublie pas les géniales SSX, les jouissifs Burnout et le futur ogre Battlefield dès 2002. Quand aux Sims du studio Maxis, que dire si ce n'est qu'ils ont rendu fou tout le monde, y compris les filles. On avance jusqu'en 2007 et le rythme de création de licence baisse, si ce n'est un dernier baroud d'honneur avec les créations de Rock Band, Dead Space et Mass Effect. Saluons les échecs de Mirror's Edge (une suite est réclamée depuis par les joueurs) et de Dante's Inferno, un clone de God of War.
FALLAIT PAS ALLER DANS CETTE DIRECTION
En 2007 justement, sentant le vent tourner face à la montée en puissance d'Activision, Take Two ou Ubisoft, Electronic Arts change de dirigeant et fait le ménage dans sa myriade de divisions et studios pour ne proposer que quatre labels, chacun ayant son objectif. Alors que des studios comme BioWare (Mass Effect) et Maxis (Les Sims) conservaient leurs libertés créatives, la grande majorité des petites structures qui avaient été achetés pour leur capacité à innover se voyaient broyer par ce que l'on appelait l'Empire du Mal, référence à Star Wars bien sûr. Les studios se voyaient ainsi réléguer à des sous-traitants étant affectés à la finition d'un gros jeu, à soutenir la production d'un autre ou à développer un spin-off qui n'intéressait personne. En 2008, l'entreprise ne réussit pas son OPA sur Take Two et vit ses parts dans Ubisoft prendre trop de valeur pour servir de base à une OPA. Mélangez cette incapacité à grossir plus que de raison, ce qui est l'ADN de l'entreprise, à la crise économique mondiale qui débute et aux difficultés rencontrés par plusieurs licences phares et vous avez là un cocktail explosif pour une société cotée en bourse. Malgré ses centaines de récompenses annuelles, ses ventes pharaoniques, ses dizaines d'équipes créatives avec plus de 10 000 employés, EA avait perdu son mojo. Les recettes étaient toujours énormes, mais cela était dû aux ventes mécaniques des grosses licences (en baisse) et au développement sur de nouveaux supports comme le mobile. Fermeture de studios, licenciements, abandon de jeux, il a fallut tout réorganiser à nouveau, sans oublier d'acheter de nouvelles entreprises qui savaient encore faire des jeux innovants.
Le PDG a de nouveau changé en 2013 avec à la clé de nouveaux licenciements et une réorganistion de l'entreprise. Il est franchement impossible d'établir un organigramme réaliste qui ne va pas être contredis tant les employés, studios et licences ont joué aux chaises musicales ces dernières années. La stratégie de l'entreprise est aussi floue. EA a certes investi le jeu mobile très tôt, à une époque où les smartphones n'existait pas. Cependant, l'entreprise n'a pas su profiter de l'arrivée du système d'application et de plateforme comme l'App Store et le Google Play pour profiter de son savoir-faire. EA réalise bien sûr d'importantes recettes, mais si vous prenez les best-sellers mondiaux du jeu mobile, EA n'est jamais impliqué (de manière générale, aucun éditeur classique ne l'est, c'est un nouveau business). Une décision en particulier symbolise les mauvaix choix des années 2000. Avec l'explosion du jeu en ligne, Electronic Arts s'est engoufré en proposant des jeux exclusifs qui ont fait flops comme Battlefield Heroes, Need For Speed World ou Fifa World. Il aussi cassé la tête des joeurs avec des modes de jeux online ou une connexion obligatoire qui ont déservit ses produits. Souvenez-vous des polémiques autour des DRM, qui faisait que le joueur n'était pas propriétaire du produit acheté. Enfin, la platerforme de jeu Origin ne sert à rien. Souhaitant concurrencer le monopole de Steam, EA a enlevé ses jeux PC de cette plateforme alors que les joueurs commançaient enfin à délaisser le piratage sur PC. Résultat, là où Ubisoft propose Uplay tout en vendant ses jeux sur Steam, EA reste seul comme un idiot en attendant les joeurs omnibulés par les promos de Valve.
L'entreprise n'est plus le paradis pour développeurs de ses débuts. Les conditons de travail se durcissent, notamment les horaires. En rachetant les développeurs (qui se font un paquet d'argent à cette occasion), EA s'attend à les voir travailler pour sa stratégie, ce qui est normal. Problème, c'est rarement dans la mentalité des ces artistes qui préférent, si possible et selon leur vision des choses, quitter le studio racheté pour tenter l'aventure en solo. De plus, EA cherche bien souvent à racheter uniquement la licence du jeu créé par le studio. Le management au sein d'EA est critiqué par d'anciens employés (à tort ou raison) pour sa capacité à modifier une licence et excercer plus que leurs droits d'éditeurs. Si un studio se loupe, c'est aussi la fin pour lui. On dispatche les gars utiles et remercie les autres. On découvre ainsi des unités de production rassemblant des gars de plusieurs studios avec la volonté de retrouvé l'esprit d'origine de leurs productions, si EA leur permet. Sauf que rien ne marche dans les nouveautés, et c'est bien là le problème : la qualité n'est plus au rendez-vous.
QUAND LES LICENCES PERDENT LEUR VALEURS
Voici quelques exemples d'échecs qui ont fait chuter de son trône Electronic Arts pendant les années 2000. Commençons par une série emblématique : FIFA. Référence en matière de jeu de foot, elle a été lentement dépassé par les PES de Konami au point de perdre la majorité de son public, accusant le jeu d'être trop arcade. Ce fut un coup de tonnerre car EA misait sur une exclusivité de la licence FIFA (avec le nom des équipes, des joueurs, des pubs avec les stars) pour vendre ses jeux qui était bon bien sûr, mais qui se reposaient sur leur lauriers. On préférait un PES avec les faux noms car il était plus réaliste. Cependant, Electronic Arts a lentement mais surement accepté sa défaite et s'est attelé à reconquérir son public.
Profitant du passage à la génération de consoles PS3/X-Box 360, l'éditeur a retrouvé la bonne formule et a su en quelques années inverser la tendance. Désormais, la référence, c'est de nouveau FIFA. La preuve que EA est encore capable de produire de bons jeux. Cependant, ce n'est pas le cas pour toutes ces licences. Sur son propre marché domestique, les USA, EA s'est fait ravir la licence NBA par 2K Sport. Fait marrant, l'éditeur a même annulé il y a deux ans la sortie de son jeu NBA Live sensé apporter un renouveau, car il était tout simplement pas à la hauteur de son rival. Le problème ne se pose dans le cas de la NFL car EA a su vérouiller cette licence en signant un partenariat exclusif avec la ligue sportive, évincant 2K de ce marché de niche ultra-juteux.
Parfois, certaines licences apportent un vent de fraicheur avant de se crasher sans raisons. Dead Space ? Une bonne surprise qui change complètement de formule après avoir changé de studio, perdant alors son public. Dante's Inferno ? Un TPS qui veut concurrencer God of War, pas mauvais mais trop proche de l'original. Mass Effect ? Une pépite qui a tout rafflé avant de proposer une fin qui a attisé la colère de ses fans pour son troisième opus. C'est d'ailleurs symptomatique de l'influence de l'éditeur (EA) sur son développeur (BioWare), vu que Dragon Age a subit le même sort. Notons toutefois un troisième épisode qui revient dans le droit chemin. Star Wars The Old Republic ? Là encore un jeu qui devait surpasser la référence, ici World of Warcraft, et qui n'a jamais su répondre aux attentes. On pourrait multiplier les exemples, comme Battlefield qui cherche à concurrencer Call of Duty sans parvenir à détourner suffisament de joueurs. Ne parlons même pas du retour de Medal of Honor.... Voici toutes les raisons qui ont mis à terre Electronic Arts. Encore une fois, l'éditeur engrange toujours d'importantes recettes, mais c'est un phénomène mécanique du à l'exploitation de licence usées. Malgré toutes ces critiques, EA a connu une année 2014 faste avec un chiffre d'affaire de 4 milliards de dollars, soit un nouveau record pour l'entreprise. Cela est dû aux 160 millions de joueurs mobiles actifs et a ses vaches à lait sportives. Le reste, c'est le désert, surtout niveau crédibilité. La preuve, on n'entend plus ses dirigeants faire des déclarations fracassantes sur l'avenir du jeu vidéo.
La bonne nouvelle, c'est qu'à force de flinguer tous ses actifs, on en attend plus rien. Aujourd'hui, Electronic Arts a donc l'occasion inespérée de surprendre l'industrie. FIFA est redevenu la référence. Star Wars Battlefront est attendu de pied ferme. Le choix de ne pas sortir bêtement Battelfied 5 juste après le 4 promet des améliorations qui pourraient nuire à Call of Duty. Mass Effect 4 a lui aussi son fan-club et les déclarations à son sujet laissent penser qu'un vrai travail de réflexion est fait en amont. L'annonce d'une suite à Mirror's Edge, malgré des ventes décevantes, est étonnante car elle répond à la demande des fans. Enfin, on n'est pas à l'abri d'une nouvelle licence excitante. Bref, faisons la chose suivante : oublions le passé. Souhaitons bonne chance aux employés actuels d'EA en espérant voir cette entreprise reprendre la place qui lui revient : celle d'un producteur de jeux explosifs.
Electronic Arts a perdu les gamers au profit d'un chiffre d'affaire dopé par le jeu mobile et les licences sportives. La précédente génération de console ne lui a pas été favorable, gageons que l'actuelle lui sera plus profitable.