Le 5 décembre dernier se déroulait la première cérémonie des GAME AWARDS à Las Vegas. L'industrie du jeu vidéo se cherche une cérémonie internationale de remise de prix, l'a-t-elle trouvé ?
Article Inédit.
Depuis 2003, il existe une cérémonie télévisée récompensant aux USA les meilleurs jeux vidéos de l'année. Diffusée pendant 10 ans sur la chaîné câblée Spike TV (appartenant au groupe MTV), les VGA Awards, devenus VGX Awards l'année dernière, proposaient des prix de manière classique en invitant plusieurs personnalités de la Pop Culture. Cependant, face aux critiques (sur la forme et le fond), le producteur et animateur du programme, Geoff Keighley, a changé la formule. Les GAME AWARDS sont nés la semaine dernière avec une diffusion Web gratuite en direct de Las Vegas, se détachant définitivement du format TV (chose initiée l'an passé).
Ce show a aussi voulu capitaliser sur sa seule vraie spécialité : proposer en fin d'année des bandes-annonces exclusives, tel NO MAN SKY qui s'était fait un nom l'année dernière à cette occasion. On attendait des trailers pour MGS 5, BLOODBORNE, THE WITCHER 3 ou THE ORDER 1886 mais aussi des invités prestigieux (Phil Spencer, Reggie Fils-Aime, Hideo Kojima) et les principaux éditeurs de jeux (PlayStation, Xbox, Nintendo, Valve, Kojima Productions, Electronic Arts, Rockstar Games, Warner Bros et Ubisoft). Enfin, la cérémonie a précédé la Playstation Experience, un salon organisé par Sony à Las Vegas pendant le week-end. Tout était prévu pour faire de cette cérémonie l’événement incontournable de fin d'année.
UNE INDUSTRIE EN MANQUE DE RECONNAISSANCE
Niveau chiffre d'affaires, l'industrie du jeu vidéo a dépassé celle du cinéma. Niveau reconnaissance, on en est encore loin. Très loin même. Là où les festivals de jeu vidéo sont ouverts au public, ceux du cinéma sont réservés à la presse et aux artistes. Le jeu vidéo est encore bien trop souvent insulté, oublié ou incompris par certains médias ou une partie du public pensant qu'un adulte n'a plus à jouer. Il n'y a qu'à voir les dernières polémiques (Canal + et France Inter) ou la réaction de vos proches si vous pensez un jour travailler dans le domaine du jeu vidéo. Néanmoins, cette vision change progressivement à mesure que les geeks, gamers et autres fans prennent de l'âge et remplacent ceux qui ont la parole dans les médias (chaînes spécialisées, reportages de qualité dans certains médias généralistes, ouvrages académiques...).
Face à cette dichotomie entre succès commercial et ostracisme médiatique, l'industrie cherche des événements qui pourraient sacraliser cette culture : exposition, hommage à des artistes et donc remise de prix. Si le festival de Cannes est glamour, le cinéma l'est, tout du moins celui représenté à ce moment-là (on accepte la présence d'un blockbuster US pour attirer ses stars). Le problème avec le jeu vidéo, c'est que les cérémonies existantes sont liées aux festivals ultra-commerciaux comme l'E3 à Los Angeles, la Gamescom à Cologne ou le Tokyo Game Show. Ces événements décernent chaque année des prix pour les jeux présentés à ces occasions. Les joueurs du monde entier découvrent ces œuvres et attendent impatiemment leur sortie. C'est dire si une cérémonie récompensant des jeux disponibles (et donc connus du public) pourrait trouver sa place.
UNE CEREMONIE QUI RATISSE LARGE
Une simple analyse du contenu proposé par les GAME AWARS permet de reconnaître la volonté de la production de s'adresser à un large public et donc tenter de s'imposer comme une cérémonie incontournable (à l'opposé d'une cérémonie élitiste). Tous les magazines et sites web traitant du jeu vidéo s'attachent en fin ou début d'année à organiser leur propre remise de prix, il est donc normal de voir ces journalistes constituer le jury. Fort logiquement, la majorité des membres sont américains. Il y a aussi un italien, un canadien, deux anglais, un français (Jeuxvideo.com), un espagnol, un allemand et un japonais. Cela fait 28% de membres non-américains, ce qui est peu quand on sait que l'industrie est mondiale. Certes la domination japonaise est révolue (un seul membre, cela reste quand même peu) mais les européens n'ont pas à rougir. Chose intéressante, les médias invités ne sont pas tous spécialisés dans le jeu vidéo (Entertainment Weekly, The Guardian, Wired, USA Today, LA Times ou Yahoo), mais on retrouve quelques institutions du genre (Edge, Joystiq, Famitsu...).
Ces 28 membres du jury sélectionnent des jeux et votent pour le gagnant. Le choix est large et variée : le jeu en lui-même (le meilleur, l'indépendant, le mobile, remasterisé), la technique (scénario, musique, voix), le type (FPS, action, RPG, baston, familiale, sport, online) et le constructeur. 5 catégories sont réservées aux fans, notamment celle du jeu le plus attendu et ce qui concerne l'Esport. C'est donc une cérémonie complète, avec même un prix honorifique (qui fera plaisir aux fans de l'époque Sierra) et des animations (concert de musique issues de jeu vidéo, stars de l'industrie, trailers exclusifs). Alors, pourquoi cette première édition ne restera pas dans la mémoire des gamers ?
UNE CEREMONIE ? QUELLE CEREMONIE ?
Une semaine après la diffusion, quel bilan pour ce show ? Un bon bilan. Les audiences ont augmenté de 75% par rapport à l'année passée, avec près de 2 millions de fans devant leur écran (la cérémonie étant retransmise sur toutes les plateformes modernes). Il faut dire que la presse a fortement relayé l'événement face à l'attente de voir émerger une cérémonie reconnue par tous. Visuellement, l'émission était meilleure que la précédente. Nous avons eu le droit à l'annonce d'un jeu StarFox, du gameplay pour le prochain Zelda et MGS Online ainsi que la surprise annuelle (BEFORE, par les développeurs de RUST).
Cependant, financièrement, l'organisation n'est pas rentrée dans ses frais (la salle à Las Vegas n'était même pas remplie). Plus grave, la cérémonie n'était pas franchement incontournable. En organisant une cérémonie début décembre, on met en concurrence des œuvres sorties en début d'années avec celles disponibles depuis peu (le mois d'Octobre est une orgie pour l'industrie) et qui bénéficient encore du buzz entretenues par les énormes campagnes marketing. La plupart des fans n'ont donc pas joué à ces jeux. Pour le cinéma, les cérémonies récompensent soit la production d'une année écoulée (les Oscars, tous les films ont été projetés en salles) ou à venir (Cannes, tout est en avant-première dans la sélection officielle).
Ce mélange est donc malheureux et la cérémonie aurait peut-être gagnée à se dérouler en début d'année, après les cadeaux de Noël. L'E3, le TGS et la Gamescom étaient passés par là. Toutefois, pour les jeux récompensés, on évite les doublons typiques du cinéma (un film repart avec 5 prix) avec une liste assez large (tout le monde est content) : Dragon Age, The Witcher, l'Ombre du Mordor, Smash Bros, Far Cry, Destiny, GTA, Mario Kart Hearthsone.... Aucune surprise et c'est là un autre problème. Peu de buzz post-cérémonie, de clash ou polémique, donc un événement prévisible et pas forcément incontournable qui ne fait pas tant parler de lui que cela, malgré son potentiel.
Ce n'est que la première année pour cette nouvelle formule de la cérémonie. Une place est à prendre, mais l'organisation doit absolument se démarquer des festivals estivaux (de l'E3 en juin au TGS en septembre). Elle pourrait se déplacer en janvier-février pour profiter du buzz autour des cérémonies comme les Oscars. Une plus grande ouverture au reste du monde serait aussi bienvenue. Le plus important, c'est d'avoir un événement de qualité qui fait honneur au jeu vidéo, ce qui est le cas. Il faut maintenant mettre l'emphase sur la partie événement et ne pas être uniquement la derniere cérémonie d'une longue liste qui laisserait indifférent tout le monde.
Pour voir la cérémonie (dans son intégralité) :