Wolverine a toujours été une star des comics. Depuis son apparition au cinéma, son aura a grandi de manière exponentielle. Il a intégré les Avengers, dirigé les X-Men, collectionné les séries...jusqu'à mourir il y a peu aux USA. Un choix payant commercialement pour Marvel ? 

Article inédit. 

Dès le désormais célèbre relaunch nommé Marvel NOW fin 2012 (toutes les séries du catalogue comics Marvel ont été relancées au numéro1), le public se doutait que Marvel préparait quelque chose de particulier. Une vilaine rumeur annonçait la mort de celui possédant un pouvoir proche de l'immortalité. Rapidement, l'histoire proposée dans sa série mensuelle a confirmé la chose, Logan perdant à cette occasion son facteur auto-guérisseur. Il était donc mortel et la cible fragile de ses célèbres ennemis. 

LE RUN ACTUEL 

Le scénariste Paul Cornell a été chargé d’amener Wolverine au bon endroit au bon moment. Son run s'est déroulé en deux temps. Les 12 premiers épisodes publiés dès 2013 ont vu le héros courir après un adversaire particulier qui l'a infecté et l'a privé de son pouvoir. Marvel en a alors profité pour relancer à nouveau sa série en 2014 (on verra que cela était un mauvais choix) en capitalisant sur le nouveau statut-quo, saupoudrant le tout d'un changement de moralité : Wolverine est désormais un vilain ! Bien sûr, cela n'était qu'un prétexte et le scénariste a maladroitement tenté de... jouer la montre en présentant une histoire pour le moins bouche-trou. 

En effet, Marvel avait prévu une énorme opération marketing avec un compte à rebours dès le lancement de la nouvelle-nouvelle série, qui n'était donc que la suite du run en cours. On savait que cette histoire débouchait sur une mini-serie intitulée DEATH OF WOLVERINE en septembre et les couvertures américaines présentaient chaque mois un bandeau du type « 3 mois avant de mourir ». Le problème, c'est que Cornell nous a raconté une histoire bancale où Logan cherche à prouver à tous qu'il est un vilain pour se rapprocher de son rival, Dents de Sabre. Sauf que ce dernier n'a aucun rôle à jouer dans sa mort, si ce n'est sa déchéance qui mène à sa perte de pouvoir. C'est un pion nécessaire, de par son statut actuel dans l'univers Marvel et son utilité une fois Wolverine mort. Bref, sur les 24 épisodes précédents la mini-série fatidique, il faut juste retenir que Logan n'a plus son pouvoir et qu'il est psychologiquement éprouvé, dévasté, bref, prêt pour son dernier combat. 

LE MALHEUREUX DON D'UBIQUITE 

Il faut dire que Logan n'a pas ménagé ses efforts ces dernières années. Star de la franchise X-Men au cinéma (il vole la vedette à tout le monde), le héros griffu est devenu indispensable dans les comics. Pas une série mutante ne se lance sans lui. Pire, il multiplie ses apparitions dans diverses équipes, ce qui fait de sa vie un véritable caste-tête, voir une hérésie pour les fans de continuité (chaque comics, dans un univers partagé comme Marvel, suit une chronologie globale). Wolverine est membres des X-Men (une à trois équipes entre 2003 et 2014), de X-Force et des Avengers sans compter ses séries solos. 

Certes sa présence dans New Avengers lui a permis de changer de statut et s'émanciper des X-Men, mais les éditeurs l'ont surutilisé et exposé n'importe où, comme s'il faisait un jeu avec Spider-Man et Deadpool pendant toutes ces années. Fans et artistes se sont plaints de cette présence systématique du héros. Cela a dilué son apport et déprécié sa valeur. Son pouvoir et son caractère ont aussi été souvent mal exploité, faisant de lui un sous-Punisher réglant les problèmes pour tout le monde, se salissant à la place des Chevaliers Blancs. Impossible de perdre vu que Wolverine ne peut pas mourir, non ? Ce ressort scénaristique a masqué de très bonnes sagas auprès du grand public (Origins, Ennemi d'Etat, Old Man Logan, le run d'Aaron). La fatigue s'est installé, mais le pire, c'est que cela s'est ressenti dans les ventes. 

LES VENTES 

En effet, chose sacrée pour Marvel, les ventes de la franchise Wolverine ont été impacté par les décisions éditoriales. Pas dans le bon sens si on regarde ce graphique proposé par l'équipe d'analystes POP FIXION (10 ingénieurs et 3 professeurs fous) :

Le point de départ, c'est la mini-série événement Wolverine Origin en 2001. Meilleure vente de l'année pour Marvel, c'est la saga qui a pour la première fois dévoilée le passé de James, avant qu'il ne devienne un mutant. Un carton absolu qui n'est pas démenti 10 ans plus tard, l'album relié se vendant toujours aussi bien. Depuis, si on compare les comics Wolverine aux meilleures ventes annuelles de Marvel, le mutant ne parvient jamais à atteindre les ventes des autres sagas événements (que ce soit les crossovers, le retour de certains héros ou le lancement de séries X-Men). 

Attention, les ventes ne sont pas mauvaises, loin de là. Wolverine se vent très bien, mais ce graphique ne prend en compte que les numéros 1 (qui sont toujours collectors). A chaque fois, la série Wolverine profite du buzz (nouvel artiste, saga importante) avant de chuter et rentrer systématiquement dans le rang (phénomène naturel dans les comics pour la majorité des personnages). Ce personnage surexploité ne vit qu'à coup de lancement, relaunch, buzz créatif, etc... à la différence d'un Batman qui conserve ses lecteurs sur la durée. Comparer Wolverine à Batman aurait été osé il y a 20 ans, mais Logan est le personnage numéro 1 de Marvel dans les années 2000 et de grands noms ont officié sur ses séries. 

Le constat est même alarmant : à chaque nouvelle relance de la série mensuelle, les ventes sont en baisse. Weapon X (le début de Aaron, qui se poursuit avec le volume 4) est loin du lancement du volume 3. Le volume 5 profite du label MARVEL NOW, mais sa suite en 2014 fait moins bien. Wolverine #300, climax d'une superbe saga qui change plusieurs choses dans la vie de Logan, est une des pires ventes pour ce type de comics. Même constat pour House of M (Logan retrouve la mémoire) ou les runs Millar (deux sagas devenues cultes). Le seul truc qui marche à coup sûr, c'est le coup des origines. Wolverine associé au mot origin, c'est un carton assuré. On peut aller plus loin : Wolverine cartonne quand il propose une mini-serie avec un pitch explosif. En même temps, sa première série était une mini-serie par Frank Miller himself, c'est dire. Si les origines marchent, pourquoi ne pas mettre en scène sa mort ? La formule habituelle ne marche plus, autant détruire la franchise lors d'un énorme feu d'artifice. 

LA MINI-SERIE DE SOULE 

C'est ainsi que la série DEATH OF WOLVERINE est publié en septembre 2014 (printemps 2015 en France chez Panini Comics). Premier problème : la série devait être hebdomadaire (dans une industrie mensuelle) pour faire le buzz. Elle sera publiée en septembre (2 épisodes) et octobre, ce qui dérègle tout. Alors que Marvel voulait concurrencer DC Comics (qui frappe fort chaque année en septembre pour fêter son reboot datant de 2011), l'éditeur va voir son plan marketing torpillé par des retards artistiques. L'attention des fans est détournée et cela se ressent médiatiquement, avec une saga qui ne déchaîne pas les foules. 

C'est lié au second problème : après un run mené pendant 24 épisodes par le scénariste Paul Cornell, c'est à Charles Soule que revient le privilège de conter le dernier combat de Logan. Pire : l'histoire présentée a très peu de connexions avec ce qui a été publié précédemment. C'est un avantage, car tout le monde peut lire ce comics. C'est aussi un inconvénient, car la fidélité des fans n'est pas récompensés. Cela rend aussi l'histoire presque intemporelle (une fois le ménage fait avec les comics Original Sin et Uncanny Avengers publié simultanément). Bref, cet événement préparé depuis deux ans devient une mini-serie sortie de son contexte, qui pourrait très bien être lue dans 10 ans. Déconnectée du reste de l'univers Marvel le temps de l'histoire, elle devient une lecture comme une autre sur la pile de comics à lire. On connaît la fin et on est refroidi par tout ce qu'il y avait avant, l'excitation est clairement retombée. 

COMPARONS LES VENTES AUX AUTRES EVENEMENTS 

Tout est dit (ce n'est que l'avis du rédacteur de cet article), reste la vérité : celle des chiffres. Là, le constat est limpide : si les ventes sont excellentes, elles ne sont pas non plus phénoménales. Pour bien comprendre les ventes, il faut savoir que les éditeurs ne communiquent pas à ce sujet. Les journalistes (ce que n'est pas le rédacteur de cet article) et les spécialistes (ce que pense être le rédacteur de cet article) se basent donc sur les commandes des comics-shop, les librairies spécialiées aux USA. Elles représentent la quasi-totalité des ventes (il faut rajouter les ventes à l'étranger des comics non traduits ainsi que le digital, qui commence a représenter des sommes non négligeables). 

Ce n'est donc pas parfait, mais on n'analyse jamais le chiffre en lui-même. Non, toutes les analyses se basent sur des valeurs relatives : on compare les événements entre eux, avec des barres symboliques. Dans les années 90, les comics événements vendaient 1 millions de copies par numéro. Aujourd'hui, on vise la barre des 100 000 unités pour la première place du top 300 mensuel, et le premier numéro d'un crossover (histoire regroupant tous les héros d'un éditeur) qui ne dépasse pas les 200 000 copies fait tâche. Il faut aussi savoir que le prix des comics augmente de manière insensée aux USA (voir l'article de Bart à ce sujet). Chaque comics événement est l'occasion d'augmenter un petit peu le prix, en faisant un comics plus cher que le reste de la production. DEATH OF WOLVERINE était vendu à 4$99 (au lieu de 2,99$ ou 3$99). Dernière chose : le marché est en hausse depuis 2011 (grâce au reboot de DC et au succès des films Marvel), 

Avec une estimation de 261 000 copies vendues (ou commandées, sachant que Marvel pratique des rabais dès qu'un nombre précis de commandes est atteint), le premier numéro de cette mini-serie en 4 épisodes réalise une excellente performance. Le second numéro chute à 129 000 unités (chose logique, le premier numéro est collector et certains attendent l'album relié), le troisième remonte à 141 000 et la saga se conclue à 165 000 copies. 

Premier constat : la mort se vend moins que le premier numéro. C'est la mort qui devrait être collector, non ? Deuxième constat : la série ne dépasse jamais les ventes de la mort de Captain America (290 000 copies en 2007 pour cet épisode) mais fait mieux que celle de Peter Parker (200 000 copies en 2012). Elle se fait voler la vedette par Walking Dead en octobre (pas en septembre) car le comics est inclut dans une boîte à cadeau geek. Néanmoins, les ventes ne sont pas historiques (Amazing Spider-Man 583 en 2009 faisait 530 000 unités grâce à la présence de Barack Obama dans les comics ; Walking Dead 100 a atteint les 353 000 copies en 2012  et Uncanny Avengers 1 la même année 305 000 unités). C'est donc de bonnes ventes pour DEATH OF WOLVERINE, mais ce n'est pas le succès escompté alors que Marvel perd un personnage très important. 

LA SUITE 

La mort de Logan, et la scène en elle-même, n'a pas déchaîné les fans sur les réseaux sociaux et forums spécialisés. Tout le monde sait qu'il va revenir, et Marvel n'abandonne même pas le filon. Plusieurs mini-series ont débuté en octobre pour nous présenter « un monde sans Wolverine ». Au programme, ses amis, ennemis, héritiers, adversaires, bref, tout personnage lié de prêt ou de loin à la franchise. Mieux : une série hebdomadaire intitulée WOLVERINES va rythmer l'année 2015. On connaît aussi déjà le remplaçant de Logan. Le plus triste, c'est que sa mort n'a pas eu la même portée pour le reste de l'univers Marvel que celle de Captain America par exemple (on a l'impression que les héros sont trop occupés pour lui rendre hommage !!!). Y-a-t-il eu un enterrement ? Où étaient les Avengers et les X-Men ? Désolé, ils sont trop occupés avec le Crâne Rouge ! 

Commercialement, la mort de Logan est une réussite, mais elle n'a pas « fracassé » le marché. Editorialement, c'est le bordel. Artistiquement, ce sera vite oublié, à l'exception de la magnifique scène finale. Allez, on ose : tout ça pour ça ? Ça lui fera au moins de vacances à ce bon vieux Logan, peut-être même au côté d'une belle rousse et d'un chauve.