Les histoires de nazis et de Seconde Guerre Mondiale, on en a vu beaucoup, voir trop. Néanmoins, quand on nous propose de réécrire l'histoire à coup de super-soldats, on découvre une guerre encore plus sale et sacrément explosive.
Chez Avatar Press, on adore tout ce qui est bien gore, très violent et pas franchement politiquement correct. Ce petit éditeur américain s'est spécialisé dans des histoires que les sages Marvel et DC Comics ne publieront jamais de peur de choquer les mères de famille. Connu pour repousser les limites du tolérable avec des artistes comme Garth Ennis, Avatar Press ne cherche pas pour autant à tout prix la scène traumatisante. Si ses premiers comics surjouaient le côté trash pour attirer l'attention du public sur son catalogue, des artistes bien plus calmes (ou en tout cas capable d'écrire des histoires sans sexe et sang) ont rejoint les rangs de l'éditeur au fil des années, légitimant ainsi sa place sur l'échiquier américain des comics. Cela ne veut pas dire pour autant que ces derniers sont restés sages.
Mark Millar avec The Unfunnies, Alan Moore avec Fashion Beast, Warren Ellis avec des dizaines de séries dont Black Summer, Garth Ennis et son célèbre Crossed, Christos Gage avec Absolution, Jonathan Hickman et son God Is Dead... Les scénaristes profitent de cette liberté qu'ils n'ont pas chez les Big Two (et le côté trash pas que n'a pas Image Comics) pour s'amuser comme des gamins. La sortie française du premier tome de l'explosive série Über chez Panini Comics est l'occasion de revenir sur le succès de ce type de comics.
Petite précision : je travaille avec Panini Comics comme rédacteur et Community Manager, pas sur ce titre, mais je tenais à le dire car cela n'influence pas cet article. Je suis fans de ce comics que je lis chaque mois depuis ses débuts aux USA. Sinon, je ne suis pas un passioné de la Seconde Guerre Mondiale (c'est pour savoir si on peut apprécier cette histoire sans l'être), mais j'apprécie l'Histoire et les récits de guerre.
LE NOUVEAU DELIRE DE KIERON GILLEN
Avant de plonger dans la carrière du scénariste du comics Über, rendons pour une fois hommage en premier aux dessinateurs. Il y a tout d'abord le co-créateur de cet univers, le dessinateur Caanan White. Avant le lancement en 2013 de cette série, cet artiste a principalement réalisé des covers de comics et illustré une mini-série en 2006 intitulée Ptolus : City by The Spire. Après une première année réussie sur Über, il laisse ponctuellement sa place à deux autres artistes au style similaire, ce qui permet de conserver une cohérence graphique. Franchement, on ne remarque même pas la différence, les artistes s'efforçant de coller au style de White. Daniel Gete a déjà travaillé pour Avatar Press sur la mini-série Absolution : Rubicon, tout comme Gabriel Andrade qui a illustré les séries Ferals et Lady Death. C'est d'ailleurs lui qui a été associé à Alan Moore pour le nouveau comics Crossed se déroulant 100 ans après le début de cette infection si particulière...
Passons maintenant à Kieron Gillen. Journaliste émérite de la presse vidéoludique britanique dans les années 2000, il débute timidement sa carrière comics en multipliant les formats, que ce soit papier ou web-comics. C'est en 2006 qu'il se fait remarquer par l'industrie avec la publication de sa désormais célèbre collaboration avec son camarade Jamie McKelvie : la série Phonogram. Il entre alors chez Marvel pour qui il écrit des comics secondaires comme Dazzler et Beta Ray Bill, puis une mini-série plus médiatique, Dark Avengers : Ares. Arrive alors un événement qui aurait pu marquer sa carrière : le flop monumental de la série SWORD. Spin-Off du comics Astonishing X-Men de Whedon, elle met en scène une organisation amenée à prendre de plus en plus d'importance dans l'univers Marvel. Le truc, c'est que les couvertures IMMONDES de John Cassaday font fuir les lecteurs, ce qui pousse Marvel à annuler le titre au bout de cinq épisodes seulement. On se dit alors bêtement, si on a pas lu ses autres travaux à l'époque, que le gars n'a peut-être pas d'avenir chez l'éditeur. C'est d'autant plus vrai que se reprise en main de la série acclamée Thor après le départ précipité de JMS (qui avait fait de ce comics une des séries les plus sexy de Marvel, merci Olivier Coipel aussi) commence très mal. Le scénariste doit boucler l'histoire prévue, puis ne faire qu'un intérim jusqu'à l'arrivée de Matt Fraction, star de l'éditeur à l'époque. De plus, ce dernier avait prévu pour le fils d'Odin un énorme crossover appelé Fear Itself. Autant dire que Gillen sert de bouche-trou, mais bizzarement, on a le droit à un début de quelque chose avec le délire autour de Méphisto.
Au même moment, Gillen se voit confier le sort de Hope Summers, la star de l'époque chez les X-Men, la messie qui doit sauver son espèce de l'extinction. En compagnie de son compère Jamie McKelvie, on retrouve une certaine alchimie qui donnera lieu à une série Generation Hope honnête et pas désagréable. Se voyant confier la mythique série Uncanny X-Men après Matt Fraction (décidément, ils s'échangent les séries ces deux-là), le scénariste doit faire avec les crossovers prévus, notamment Fear Itself et Schism. Il s'en sort tout de même honorablement en proposant une suite à l'histoire cosmique de Whedon publiée dans Astonishing X-Men, manière inconsciente de rattraper l'échec de SWORD. La série Uncanny X-Men est ensuite relancée au numéro 1 lors d'un énorme bazar médiatique nommé Schism et Gillen éléve enfin son niveau pour démontrer tout son talent. Sa vision pour Mr Sinister est brillante et ses épisodes liés à Avengers vs X-Men sont des parfaits compléments à la folie de l'équipe de Cyclope. Franchement, la denière scène avec Scott qui lève les bras en X est juste magique. Sinon, vous me croyez si je vous dis que Gillen est au même moment de retour sur la franchise Thor ? Il prend encore une fois le relais de Fraction et propose un run désormais culte sur Jounery Into Mystery.
Du numéro 622 au numéro 645 de la série, Kieron Gillen va nous présenter les aventures d'un Loki devenu un enfant innocent qui cherche avant tout à sauver son frère Thor qui empétré dans son exil puis sa guerre contre leur oncle surpuissant. Cette histoire a eu un énorme impact sur le public, avec un buzz incroyable sur le réseau social Tumblr qui reprenait chaque mois les scènes touchantes de la série. On avait jamais vu Loki de cette manière, et on ne le reverra plus jamais de la sorte. À l'occasion du relaunch Marvel NOW, Gillen en profite pour faire de son personnage fétiche un ado qui rejoint les rangs des Young Avengers. Cette nouvelle version de l'équipe est elle aussi idolatrée par Tumblr, avec le comics faisant lui-même référence à ce phénomène. Gillen ose même briser le célèbre 4ème mur du spectateur/lecteur, ce qui ne perd nullement le lecteur (Grant Morrison si tu nous lis) et qui est parfaitement illustrée par...Jamie McKelvie ! Le scénariste s'occupe aussi de la nouvelle série Iron Man. Après un premier arc forcément en rapport avec le troisième film, puis un second lié à l'aventure cosmique du héros au seins de Gardiens de la Galaxie, Gillen se libère pour nous raconter le lourd secret de famille du héros. Une histoire importante avec de réelles conséquences qui donnent naissance à un personnage très intéressant. L'auteur quitte la série alors que Marvel prépare Axis, mais il a prouvé à tout le monde qu'il est à l'aise dans tous les genres. En attendant une nouvelle série régulière, Marvel lui confie le comics évènement Darth Vador. Il s'amuse aussi chez Image Comics avec la sympathique mini-série spartiate Three et la série The Wicked + The Divine illustrée par McKelvie, sans oublier bien sûr Über.
UNE UCHRONIE REALISTE
Le concept de la série Über est très simple. Nous sommes en avril 1945 et les nazis ont perdu la guerre. La défaite est totale, les soviétiques s'apprêtent à rendre la politesse aux nazis en occupant l'Allemagne (à coup de viols et d'oppresion politique) alors que les Occidentaux fêtent leur victoire. Hitler s'apprête à se suicier mais ses services secrets le stoppent en lui apprenant la réussite de leur dernier coup de poker. En effet, dans le plus grand secret, un groupe de scientifiques militaires a réussi à créer l'homme parfait des nazis, ces "übermenschen". Face à l'urgence de la situation, seulement trois de ces soldats (deux hommes et une femme) sont déployés pour stopper l'avancée de l'armée rouge. Dotés d'une force colossale (ils sont devenus des montres de 2m50) et d'un pouvoir capable de générer une énergie terriblement destructrice, ce commando va massacrer l'armée ennemie qui ne se doutait pas de l'exitence de cette arme secrète. Je ne vais pas vous spoiler les premiers épisodes au-delà de cette attaque surprise, mais sachez que tout le sel de l'histoire est d'observer la réaction des alliés et la capacité (ou non) des nazis à produire rapidement plus de super-soldats pour réellement reprendre la main sur la guerre.
Le scénariste Kieron Gillen a réalisé un énorme travail de recherche sur cette guerre. Cela se resent dans les moindres détails et il n'hésite pas à citer ses sources à la fin de chaque épisode, tout en détaillant les directions prises par ses recherches (va-t-il modifier tel élément de l'Histoire ou s'attarder sur un autre ?). Rapidement, l'auteur explore sa propre mythologie. Ce serait dommage de vous dévoiler ses idées, mais je peux vous assurer qu'il développe sa théorie jusqu'à au bout en appliquant à diverses situation le concept des Ubers. De plus, le scénario nous fait voyager sur tous les théatres de la Guerre, de l'Europe à l'Asie. De vrais choix sont réalisés pour développer une histoire alternative crédible. On apprécie la construction du récit, généralement basée sur un arc en cinq épisodes avec deux numéros d'introduction, l'épisode qui change tout et deux épisodes qui détaillent les conséquences. On alterne entre les différentes crises avec un nombre assez conséquent d'acteurs dans cette guerre qui va rapidement quitter le secret pour des opérations audicieuses. On passe pour ainsi dire du commando à l'armée surpuissante, mais Gillen n'oublie pas de rester toujours cohérent en limitant les moyens à la disposition de chaque camp, la Guerre ayant épuisé les ressources de ces nations. Une fois la situation initiale exposée, on rentre dans une confrontation semblable à la course à l'arme nucléaire. Les combats ne vampirisent pas l'histoire qui prend le temps de s'attarder sur les réfléxions des scientifiques et les préparations de chaque état-major entre deux opérations. C'est un pur régal, avec parfois des références destinées aux spécialistes de cette période historique, même si tout est entièrement compréhensible par des néophytes. Connaître la véritable histoire est appréciable, mais pas nécessaire.
Concernant la périnité de la série, soyez rassurez, Panini Comics a fait un très bon choix. Si Uber n'est clairement pas un best-seller aux USA malgré sa qualité constante, elle réalise des ventes honorables. Avec environ 5 700 copies écoulées par mois après 24 numéros, elle reste rentable pour un petit éditeur comme Avatar Press. Les critiques sont bonnes, le public a été fidélisé et trois albums sont déjà disponibles (regroupant les épisodes 0 à 17). Gillen a prévu une soixantaine de numéros environ et il va avoir tout le loisir de développer son univers jusqu'à là.
La Seconde Guerre Mondiale était couteuse en vie humaine, mais les pertes atteignent une échelle inégalée dans cette version dopée. Les alliés auront-ils le temps et les capacités nécessaire pour trouver la parade aux super-soldats nazis ? Hitler saura-t-il ne pas répéter ses erreurs stratégiques ? Que prépare le Japon ? Tout est possible ! Une très bonne lecture disponible en librairie déjà disponible chez Panini Comics.