La science-fiction est riche de millions d’œuvres. Certaines ont clairement marqué plus que d'autres cette culture imaginaire. Ainsi, dans le genre space-opéra, si le cinéma a Star Wars et la télévision Star Trek, la littérature a Dune, une œuvre mythique et visionnaire.

On cite souvent le Seigneur des Anneaux comme une des références de la Fantasy. Publiée dans les années 50, cette œuvre (et tout son univers par extension) a posé les bases d'un genre héritier des légendes médiévales. Pour la Science-Fiction, plusieurs romans s'imposent comme des marqueurs d'évolution à une époque (là encore les années 50) où la science commençait seulement à réaliser les rêves les plus fous des hommes, bombe nucléaire, aviation et informatique en tête. Parmi ces classiques, on peut citer Fondation d'Isaac Asimov qui s'attache à définir la chute de l'empire humain dans un futur lointain, après des siècles et des siècles de conquête spatiale, la civilisation s’effondrant telle la Rome antique.

Le roman Dune ne propose pas ce type d'histoire. À vrai dire, ce n'est pas entièrement un space-opera. On pourrait plutôt parler de planet-opera, un sous-genre du space-opera. En effet, l'histoire se déroule en priorité sur une seule planète, Dune. Bien sûr, il existe tout un univers extrêmement riche autour, mais le premier roman se concentre sur cette planète fascinante au cœur des intrigues des différentes factions. Publié en 1965 par l'auteur américain Frank Herbert, ce roman a inspiré des milliers d'artistes en herbe. Il a réussi à allier avec brio fiction et science, vulgarisant de nombreuses disciplines comme la politique, la sociologie, la philosophie, le clonage, l'écologie et bien sûr la théologie. Dune, c'est aussi un des derniers représentants d'une science-fiction d'une autre époque, pas encore pleinement moderne, une science-fiction qui envisageait un an 2000 futuriste sans savoir que l'informatique allait révolutionner nos vies.

POUR LE CONTROLE DE L'EPICE

Nous sommes en 10 191 après la création de la Guilde Spatiale. L'univers est principalement dirigé par un empereur, ici Shaddam IV, qui base son pouvoir sur une ressource unique dans tout l'univers : l’Épice (qu'on appelle aussi le mélange). Cette substance permet au pilote des vaisseaux spatiaux de faire fonctionner leurs cerveaux comme des ordinateurs afin de traverser la galaxie. Tout le transport interplanétaire est donc lié à cette ressource. Celui qui la contrôle est le maître de la galaxie. C'est le pétrole du futur en somme. Le truc, c'est qu'elle ne peut être récoltée que sur une seule planète : Arrakis, que les locaux appellent Dune. Monde désertique longtemps ignoré, il est le seul capable de faire pousser cette épice. De nombreuses factions ont essayé sans succès de se libérer de ce monopole. L’Empereur nomme donc son vassal en qui il a le plus confiance sur ce monde pour assurer la récolte.

L'histoire débute assez simplement. Le jeune Paul est le fils du Duc Leto Atreides (une référence à Homère). Sa famille règne paisiblement sur la planète Caladan, un monde océanique où la principale ressource est l'agriculture. Son père est un homme bon et intelligent qui cherche à protéger la Maison Atreides des manigances de sa rivale, la Maison Harkonnen (une bande de salopards bien dégueulasses). Quand l'Empereur lui confie Arrakis, actuel fief des Harkonnen, il lui fait un grand honneur. Cependant, c'est un piège car Shaddam IV souhaite se débarrasser de cet encombrant duc très populaire parmi le Landsraad (assemblée des Maisons). Le Duc Leto n'est pas dupe, il sait qu'en transférant sa famille et ses hommes sur Arrakis, c'est dans la gueule des Harkonnen qu'il se jette malgré le retrait officiel de ces derniers. Il espère seulement être capable d'apprendre à dompter au plus vite cette planète hostile pour en faire son propre bastion.

LE DESTIN FUNESTE DES ATREIDES

La famille Ducale possède un charme fou. Nombre de ses membres sont les représentants d'un groupe ayant un rôle précis dans l'univers de Dune. Dame Jessica, mère de Paul et concubine du Duc Leto, est membre du Bene Gesserit. Il s'agit d'une faction de prêtresses (ou sorcières) cherchant à donner naissance à un messie grâce à la génétique. Cependant, leur méthode est plutôt originale : depuis des siècles, les Bene Gesserit manipulent les arbres généalogiques des Maisons du Landsraad. Elles cherchent la bonne combinaison génétique et chaque naisse programmée les rapprochent du messie. Paul a un rôle primordial à jouer dans cette toile d’araignée. Problème, sa mère Jessica, choisit parmi des milliers d'autres pour s'accoupler avec le Duc Leto, devait donner naissance à une fille pour satisfaire le Bene Gesserit qui avait prévu ensuite un mariage précis pour celle-ci. En donnant volontairement naissance à un garçon (ces sorcières contrôlent parfaitement leur corps, ce qui les rend aussi meurtrières), Jessica a montré son amour pour son Duc et désobéit au Bene Gesserit. Cela aura un énorme impact sur le destin de l'univers. Paul a des dons psychiques latent de prescience et d'analyse, mais il reste un ado effaré par la simple présence d'une membre du Bene Gesserit. Il est encore innocent alors que son monde est sur le point de s'écrouler. 

Pour éduquer Paul, il y a le Mentat Thufir Hawat. C'est un génie militaire formé par son ordre pour servir la famille Atreides. Vu qu'il n'y a pas d'ordinateur dans l'univers de Dune, il fait office de cerveau humain capable d'envisager toutes les possibilités stratégiques. Il conseille le Duc et forme son héritier. Notons aussi Duncan Idaho, le maître d'arme, professeur de Paul et conseiller du Duc. C'est une sorte de chevalier romantique qui a toute la confiance du Duc pour les affaires diplomatiques. Le trio est complété par Gurney Halleck, guerrier-troubadaour. Ce poète à la lame redoutable partage avec Duncan une enfance dans l'enfer du fief des Harkonnen. Ayant échappés aux griffes de ces meurtriers, ils ont juré allégeance au Duc Leto. Hawat est là par devoir depuis trois générations de Duc, mais il partage cette fidélité. Tous apprennent à Paul à se servir de sa lame car dans cet univers, point d'armes à feu pour les combats. En effet, un bouclier personnel a été développé pour les soldats. Il rend inefficace tout tir de laser car cela déclenche une énorme explosion, les deux effets s'annulant. Il faut donc transpercer ce bouclier (la garde naturelle du soldat en somme) par une lame pour frapper sa cible.

LE CYCLE DE DUNE

Revenons à la politique. Je ne vais pas vous raconter l'événement qui change à jamais la vie de Paul et de l'univers. Disons juste que quand le Duc prend possession d'Arrakis, il comprend qu'il doit mener une politique radicalement différente de ses rivaux. Pour maîtriser la planète, il cherche à entrer en contact avec ses indigènes, les Fremen. C'est là que l'histoire prend tout son sel. Les Fremen sont l'équivalent des Touaregs, des habitants du désert. Ils maîtrisent parfaitement la dure vie sur cette planète (alors que les Maisons du Landsraad cherchent à reproduire un habitat tempéré pour les quartiers urbains). Peuple en exil à travers l'univers, il a trouvé refuge sur Arrakis qu'il nomme Dune. Leur maîtrise est telle qu'ils utilisent les immenses vers géants comme monture. Arrakis est gorgée d'épices extraites par des raffineries mobiles. Ces ver sont attirés par l'odeur de l'épice. Il faut donc récoler au plus vite cette ressource à chaque fois qu'on débute l'extraction car, quand un ver géant se rapproche à vitesse élevée sous le sable, c'est l'assurance d'un carnage si les ouvriers restent sur place. Certains Fremen travaillent pour la Maison qui contrôle la planète, mais personne n'a vraiment pris le temps de comprendre leur culture. Il y a bien Liet Kynes, un planétologiste impérial, mais rare sont ceux qui l'écoutent. Le Duc Leto semble toutefois enclin à traiter avec les Fremen, là où les Harkonnens les abattaient pour le plaisir. Seulement, le piège de l'Empereur va très vite se refermer sur lui.

Je vous laisse découvrir la suite de l'histoire. On peut parler sans problème de chef-d’œuvre, le livre étant toujours cité dans les classements de sagas de science-fiction. C'est poignant, riche et très intelligent. Le Cycle de Dune est un aussi des plus prolifiques du genre. Sur les six romans écrits par Frank Herbert, on peut former trois dyptiques. Dune a été publié en 1965 et sa suite directe, Le Messie de Dune, en 1969. Ils se concentrent sur Paul. Viennent ensuite Les Enfants de Dune en 1976 et l'Empereur-Dieu de Dune en 1981 qui mettent en scène le destin de sa descendance. Enfin, Les Hérétiques de Dune en 1984 et la Maison des Mères en 1985 dévoilent un univers brisé qui cherche à retrouver sa stabilité.

L'auteur, en prévision de sa mort (comme celui de Games of Thrones), avait laissé à son fils une disquette (une autre époque...) avec tout son travail pour la fin de son cycle. C'est ainsi qu'ont été publié en 2006 et 2007 Les Chasseurs de Dune et Le Triomphe de Dune. Toutefois, le cycle avait bien évolué depuis le tome 4, plusieurs siècles s'étant écoulés. On a donc une suite aux aventures de certains personnages, mais toute la saveur du roman d'origine a disparu. De manière générale, seul le premier roman et le troisième partagent l'aspect planet-opera, se concentrant sur la présentation de Dune. Les autres doivent développer l'évolution de cet univers et de ses personnages.

Depuis la mort de Frank Herbert en 1986, son fils Brian Herbert et l'excellent auteur Kevin J. Anderson (connu pour son travail sur des franchises comme Star Wars) ont prolongé l'aventure Dune avec une bonne dizaine de romans. Outre la suite directe du cycle, on a deux sous-cycles sous forme de préquel. Ont ainsi été publiés entre 2000 et 2002 les trois romans Avant Dune présentant les origines des principaux personnages du premier roman. Comment le Duc a rencontré Jessica, quelles horreurs ont vécu Duncan et Gurney, etc... Fait intéressant, les auteurs n'hésitent pas à développer l'univers en situation l'action sur différentes planètes, en dévoilant les coulisses de certaines factions, en expliquant le fonctionnement des technologies utilisées et bien d'autres aspects pas toujours explicites dans le cycle d'origine.

L'autre sous-cycle s'intitule Dune la genèse (publié entre 2003 et 2005). Là, on remonte carrément le temps à une époque où l'humanité ne connaissait pas l'épice de Dune. Pire, elle était embarquée dans une guerre totale contre une intelligence artificielle, Omnius, qui cherche le contrôle total de la galaxie. C'est l'époque du Jihad Butlérien. On va y découvrir la formation du Landsraad et des différentes Maisons, la naissance de plusieurs factions comme le Bene Gesserit et aussi l'interdiction de toute forme d'intelligence artificielle (une justification de l'aspect vieillot pour le public actuel de la technologie utilisée dans cet univers imaginé dans les années 60). D'autres sous-cycles complètent le tout, que ce soit des histoires liées à Paul ou d'autres sur la genèse de certaines factions. Le dernier tome est paru en 2014, preuve que cette franchise reste lucrative. Ce n'est pas le cas de ses adaptations.

LA MALEDICTION DES ADAPTATIONS

Dune est célèbre pour ses romans, mais aussi pour ses différentes adaptations. Si elles n'ont pas le prestige du travail effectué par Peter Jackson sur le Seigneur des Anneaux, elles ont une histoire assez particulière. Tout commence en 1975 quand Alejandro Jodorowsky travaille sur une adaptation pour le cinéma. Le projet est ambitieux mais le réalisateur a le soutien d'artistes talentueux, notamment Jean Giraud (futur Moebius avec qui il proposera la BD culte L'Incal). Pink Floyd est envisagé pour la musique et le casting est juste incroyable : David Carradine (la série Kung-Fu), Salvador Dali, Orson Welles, Mick Jagger et même le fils du réalisateur pour jouer le héros. Le résultat, c'est un fiasco légendaire en terme de production qui a été conté dans le documentaire Jodorowsky's Dune sorti en 2013.

C'est ensuite au célèbre réalisateur David Lynch de s'attaquer au monstre Dune après la sortie en 1980 d'Elephant Man. Lui aussi propose un projet ambitieux et travaille avec Frank Herbert sur le scénario. C'est Ridley Scott qui devait le faire à l'origine, mais il a finalement réalisé Blade Runner, un autre monument du cinéma (et de la littérature de science-fiction). Le film est néanmoins un échec commercial (même pas rentabilisé) malgré de bonnes entrées en France et des critiques moyennes. Il faudrait un article entier pour parler de ce film qui a Sting au casting. Disons juste que pour moi, c'est un bon nanar SF des années 80, le genre de truc à montrer dans 10-20 ans à des gosses pour leur faire comprendre que cette décennie là était vraiment psychédélique. Il ne rend pas réellement hommage à la qualité du roman.

Après le cinéma, la télévision. Une mini-série en 3 épisodes a été diffusée aux USA en 2000 avec une suite en 2003. C'est pas mauvais, mais c'est pas fou non plus. Il y a aussi un jeu vidéo sobrement nommé Dune sorti en 1992. C'est surtout Dune 2 qui est marquant. Ce jeu est considéré comme le père des jeux de stratégie en temps réel sur ordinateur. Pas très fidèle à l'univers (création d'une Maison qui n'existe pas), il pose les bases de ce genre vidéoludique et va inspirer les franchises Command and Conquer et Warcraft/StarCraft. Il y a aussi un jeu de société, un jeu de rôle et bien sûr un éternel projet de nouveau film. Ça aurait la classe vu les effets spéciaux disponibles, mais le projet n'avance pas malgré des rumeurs régulières attachant un artiste ou réalisateur au projet.

UN AUTEUR RECONNU POUR TOUTE SON OEUVRE

Frank Herbert n'est pas n'importe qui. C'est un auteur réputé et reconnu pour son travail qui ne se limite pas à l'univers de Dune, bien au contraire. Il a créé d'autres autres cycles (Programme Conscience et celui des Saboteurs) et publié de nombreux romans sur divers thèmes, allant du fantastique au terrorisme. Son style d'écriture n'est pas facile d'accès pour les jeunes lecteurs ou les novices en la matière mais il n'a pas, à mon humble avis, la pesanteur d'un Tolkien. On peut être à la fois complexe et plaisant à lire. L'auteur sait parfaitement multiplier les thématiques abordées. Écologie, politique, sociologie, religion, économie, avancée des technologies, il brasse tout dans Dune pour créer un monde cohérent qui pousse le lecteur à réfléchir sur ses propres interactions avec son entourage. L'homme a un potentiel énorme qu'il doit contrôler pour survivre dans son environnement. Certains vont tomber dans la folie, d'autres la violence, certains vont utiliser des drogues pour affronter leurs problèmes...

De plus, Herbert a bien compris que le langage est la base des civilisations. Les mots ont leur importance et dans Dune, le peuple des Fremen cherche désespérément son Messie appelé Muad'Dib. Ce peuple du désert mélange la culture berbère et arabo-musulmane, avec ses propres codes qui seront la clé pour la survie de Paul sur Dune. En compagnie du lecteur, il va découvrir ces hommeslibres qui valorisent l'honneur et l’abnégation. Le roman détaille la rude vie sur cette planète et l'importance cruciale de l'eau dans ce désert sans fin. C'est un véritable hommage à ces cultures, mais aussi à la Grèce Antique et aux civilisations asiatiques, notamment sur les thématiques de l'initiation, la renaissance ou la prescience.

Dune mélange plusieurs termes, mots et concepts pour un futur où la quête d'un nouveau sauveur semble la seule solution pour relancer l'évolution de l'humanité. L'auteur utilise ainsi le concept de Jihad et non de croisade pour présenter la guerre sainte qui attend celui qui sera désigné comme le Messie. C'est logique vu que cela implique les Fremen, mais dans les prequel publié par son fils (utilisant ses idées), on y détaille le Jihad Butlérien mené par l'humanité contre les robots. Ce qui est drôle, c'est que ce premier Jihad a donné naissance à la Bible Catholique Orange. L'objectif n'est donc pas d'opposer des religions ou de montrer le danger d'une en particulier, mais d'analyser l'impact de la foi sur un peuple. L'auteur s'inspire de la religion du Livre pour montrer sa puissance fédératrice.

Chaque faction cherche le Messie pour le guider vers un futur meilleur. Que ce soit pour les Fremen (métaphore des bédouins de l'Arabie préislamique) avec le Muad'Dib ou le Bene Gesserit (équivalent de sœurs chrétiennes) qui cherche à donner naissance au Kwisatz Haderach, c'est avant tout l'idée du Messie véhiculée par les trois religions du Livre qui est utilisée. Le Messie représente l'espoir des Fremen, tout comme Paul est celui de la Maison Atreides. Un espoir nécessaire de nos jours pour faire comprendre à tous qu'on peut venir de cultures différentes et quand même partager des valeurs communes.

Lire le roman Dune aujourd'hui, c'est l'assurance d'un dépaysement total. Que ce soit sa science obsolète ou son monde terrifiant, vous allez vivre une aventure bouleversante en compagnie de Paul Atreides, l'espoir des Fremen. Gare aux Vers géants et trucidez tout Harkonnen que vous croiserez !