La télévision américaine s'est toujours nourrie de la médiatisation de la vie politique pour produire des shows plus ou moins réalistes. Avec Madam Secretary, on est en droit de se demander si on n'assiste pas à une promotion géante pour une candidate à la présidentielle de 2016.
Lancée en septembre 2014, Madam Secretary est une des réussites incontestables de la saison passée. Elle peut se targuer d'une audience moyenne supérieure à 10 millions de téléspectateurs (plutôt âgés et donc fidèles au médium télévisée) malgré une concurrence exacerbée chaque dimanche soir (NFL et Les Simpson), faisant de ce show une des valeurs sûres du network CBS.
LA NOUVELLE SERIE DE TEA LEONI
Soyons triviaux deux minutes : Téa Leoni est une MILF. Ceux qui ne connaissent pas ce terme rentré dans le jargon populaire comprendront sa signification après un rapide rappel du parcours de la belle. Cette actrice âgée aujourd'hui de 49 ans a débuté sa carrière à la fin des années 80. Après de multiples petits rôles, elle crève l'écran en 1995 dans Bad Boys par sa beauté mais aussi son talent d'actrice. Toutefois, on peut jouer dans un film de Michael Bay et ne pas être une ingénue qui met uniquement en avant son charme (bonjour Megan Fox). Téa Loni a par exemple fait des études supérieures poussées et a voyagé à travers le monde à plusieurs reprises. Ok, ce n'est pas une justification suffisante mais on cela va s'avérer utile pour Madam Secretary.
Elle enchaîne après Bad Boys avec la série télévisée Une Fille à Scandales pendant trois années puis se dédie ensuite à une carrière Hollywoodienne : Deep Impact, Jurassic Park 3, Hollywood Ending... En somme, quelques films à succès, d'autres moins célèbres, mais au final pas de grand rôle. Mariée à David Duchovny (X-Files et Californication), elle a joué en 2004 dans son film House of D. Quand le couple divorce en 2014, la carrière de l'actrice est au point mort alors que celle de son ex est complètement relancée. Elle n'a toutefois pas perdu son charme et peut désormais briguer d'autres rôles plus âgés, dont celui de la Secretary of State dans Madam Secretary (Ministre des Affaires Étrangères aux USA). Un rôle qui va lui offre une seconde carrière, comme Alec Baldwin avec 30 Rock.
Le pitch de la série Madam Secretary est simple : à la mort du Secrétaire d'État, le président des USA fait appel à son ancienne collaboratrice à la CIA , Elizabeth McCord, pour reprendre le poste. C'est le début d'une nouvelle vie mouvementée pour une femme qui vivait jusqu'à présent tranquillement à la campagne avec ses proches. Elle va devoir survivre dans la jungle politicienne de Washington sans faire trop d'ombre à son patron qui prépare sa réélection. Comme si cela ne suffisait pas, son mari joue les agents secrets versé dans la théologie et sa fille aîné essaye de mener une vie normale malgré la médiatisation de sa mère. Il y a aussi les deux plus jeunes enfants qui ont leurs propres problèmes de lycéens mais dans l'ensemble, la série arrive à trouver le bon ton entre chaque membre de la famille et surtout le staff qui est l'autre béquille de la Secrétaire. Relation presse, discours, négociations politiques, tout est balayé pour décrire la vie quotidienne de la 4ème personne la plus puissante des USA.
Logiquement, l'héroïne va puiser dans sa vie quotidienne des solutions pour les crises internationales. Jamais manichéennes, les situations proposées balayent un large spectre en accord avec l'actualité : un président russe belliqueux, Daesh, l'écologie, Snowden, Cuba, la Chine, l'Iran... On a une vulgarisation efficace des enjeux diplomatiques. Le tout est néanmoins saupoudré d'un complot lié à la mort du précédent Secrétaire. Ce n'est pas révolutionnaire mais ça reste toujours agréable à regarder. Téa Leoni est crédible dans ce rôle de femme cultivée à forte poigne, capable de tenir tête aux hommes tout en proposant des solutions originales (parfois un peu tirées par les cheveux).
À ses côtés,il y a son mari incarné par Tim Daly (The Sopranos et Private Practice), son staff avec Patina Miller (Hunger Games 4), Geoffrey Arend (Body of Proof), Erich Bergen (Jersey Boys), Bebe Neuwirth (Cheers, Blue Blood) et Sebastian Arcelus (House of Cards, Ted 2) ainsi que Zeljko Ivanek (Donnie Brasco, Bons Baisers de Bruges, Argo), Keith Carradine (Fargo, Dexter, Damages, Deadwood) et bien d'autres acteurs de qualité.
POLITIQUE ET TELEVISION
Madam Secretary est une création de Barbara Hall. Elle est l'auteur de plusieurs romans et la créatrice de deux autres séries TV : Judging Amy et Joan of Arcadia. On retrouve certaines thématiques de ses précédentes œuvres dans le nouveau show de madame Hall. En effet, la première série, diffusée entre 1999 et 2005, mettait en scène le travail d'une juge aux affaires familiales. La seconde, diffusée entre 2003 et 2005, relatait les péripéties d'une jeune fille en contact direct avec Dieu. Dans Madam Secretary, le mari de l'héroïne est un professeur en théologie et éthique militaire. Quant à l'héroïne, elle attache énormément d'importance aux familles des personnes impliquées dans les crises diplomatiques. Ce mélange a pour but de rendre plus humains les actions entreprises par son équipe diplomatique.
Le plus gros point commun entre les trois shows reste cependant la chaîne les diffusant, le network CBS, un des cinq réseaux nationaux. Madam Secretary est une valeur forte de la grille, surtout à une époque où les affaires internationales occupent un espace important dans les JT américains. La série a été facilement renouvelée pour une seconde saison et une troisième est probablement déjà prévue vu les audiences et l'actualité en septembre 2016 (on en reparle plus bas).
Barbara Hall a aussi travaillé sur d'autres séries, notamment Homeland en 2013 comme productrice et scénariste. Elle a collaboré à cette occasion avec Alexander Maggio qui scénarise avec elle la saison 2 de Madam Secretary. L'équipe de scénaristes est bien sûr large (plus de 10 membres), mais ce sont les principaux architectes du show. Notons la présence à la production de Lori McCreary (Invictus), Sam Hoffman (Moonrise Kingdom) et surtout Morgan Freeman ! L'acteur est présent dès la saison 1 et fait même une apparition devant la caméra pour le premier épisode de la saison 2. Côté réalisation, les metteurs en scène se succèdent à la chaîne, à l'exception de Dennie Gordon et Eric Stoltz qui ont chacun mis en scène cinq épisodes.
ANTICIPER LA PROCHAINE ELECTION
Soyons réaliste : cette série n'a pas la profondeur d'À la Maison Blanche, l'humour de Spin City ou la maestria de House of Cards. Elle n'est pas aussi originale que Parks & Recreations ou Alpha House et reste plus intellectuelle que le glamour Scandal ou le dramatique The Good Wife. Madam Secretary est une bonne série, efficace, qui plaira aux amateurs de géopolitique qui cherchent une série sans erreurs grossières ou approximations. Certes, le fil rouge narratif est franchement sans intérêt, tout comme certaines sous-intrigues mal exploitées sur la famille ou le staff. Néanmoins, dès qu'il est question d'une crise internationale, le propos est réaliste, le ton juste et le rythme dynamique. On s'attache à ces personnages et on passe de crises en crises en espérant que le 3ème Guerre Mondiale ne va pas éclater. Un des points forts du show est sa manière d'illustrer les rivalités autour du Président, entre les belliqueux assez bas du front (remember l'administration Bush) et ceux comme l'héroïne (forcément) qui essayent toujours de trouver une solution pacifique. Ce ne sera pas toujours le cas, et ce balancier entre bons sentiments et réalisme renforce la série.
De toute façon, CBS ne cherche pas à révolutionner le genre. L'objectif est en effet assez simple : surfer sur la campagne présidentielle de 2016 avec dans un premier temps la bataille des primaires et ensuite l'affrontement entre les deux partis nationaux. Elizabeth McCord, c'est l'image édulcorée d'Hillary Clinton. On remplace un mari volage lui-même président par un époux aimant et fidèle en retrait. On y ajoute une légitimité issue d'une carrière d'agent à la CIA et le tour est joué, on pense directement aux quatre années de Madame Clinton à ce poste sous la première présidence Obama (qui était son rival à l'élection de 2008).
Depuis son départ en février 2013, Hillary Clinton a essuyé de nombreuses critiques (notamment sur sa gestion des mails). Dès septembre 2013, elle expliquait déjà aux médias vouloir réfléchir à la suite de son parcours, sous-entendu, l'élection de 2016. Comme par hasard, c'est à ce moment là que CBS lance le projet Madam Secretary. Le pilote est commandé en janvier 2014 alors qu'on savait que les mémoires de Clinton sur ses années à ce poste sortaient en juin 2014 (la série débutant en septembre). Je ne dis pas que Madam Secretary « roule » pour Hillary mais elle surfe sans problème sur son image.
Ce n'est pas le premier show américain du genre à mettre en scène une femme au pouvoir. Commander in Chief propulsait en 2005 Geena Davis à la Présidence (dommage, Clinton qui se préparait pour 2008 n'a pas donné raison à la série). Dans Veep, c'est Julia Louis-Dreyfus qui incarne la Vice-Présidente. Vu les tensions dans la série Madam Secretary entre l'héroïne et son boss, on pourrait envisager une saison 3 ou 4 (mon pronostic) avec la dame à la tête du pays (la série a fleurté avec le sujet dès le début de la saison 2 pour mieux reculer). En même temps, la série culte 24 avait dès 2001 engagé un afro-américain pour jouer le rôle du Président des USA. La fiction est souvent en avance sur l'histoire. Le meilleur exemple ? L'épisode de Madam Secretary diffusé le 8 novembre 2015 faisait référence à Jihadi John, terroriste anglais tué... le 12 novembre 2015.
Madam Secretary est une série efficace, plaisante et réaliste. Un divertissement à la frontière de l'actualité (Iran, Cuba, Ukraine, Syrie) qui ne révolutionne pas le genre mais apporte une vision intéressante et plaisante du poste. L'avenir nous dira si Clinton saura bénéficier de ce show.