La réalité serait-elle virtuelle ? Le virtuel serait-il réel ? Entrez donc dans la caverne de Platon, il y fait bon vivre.
Si je vous demande ce qu'est la réalité, ce qui ne l'est pas et pourquoi ? Alors que je vous vois déjà froncer des sourcils en y réfléchissant intensément, je préfère vous le dire tout de suite : il n'y a peut-être pas réponses. Serial Experiments Lain quant à lui, les a peut-être.
Des réalités truquées ne peuvent créer que des êtres humains truqués
Serial Experiments Lain est une série d'animation japonaise en treize épisodes diffusée de juillet à septembre 1998 au Japon sur la chaîne TV Tokyo. Elle est réalisée par Ryûtaro Nakamura qui avant cette série était connu pour le film d'animation La Légende de Crystania et qui réalisa ensuite les animés Sakura Wars, L'Odyssée de Kino ou encore Ghost Hound que je vous conseille. Il n'était d'ailleurs pas que réalisateur, exerçant le métier d'animateur clé pour la série Rémi sans famille au début de sa carrière. Il était au travail en 2012 sur Despera une série d'animation qui verra finalement le jour sans lui (l'animé serait toujours en production avec un nouveau réalisateur selon Yoshitaka Abe au character design sur la série, un graphic novel de l'animé a été publié dans le magazine japonais Animage), puisque malheureusement il décède le 29 juin 2013 d'un cancer du pancréas.
La série a pour personnage principal Lain Iwakura, une adolescente timide, plutôt solitaire et peu à l'aise avec l'informatique. Peu après la mort d'une de ses camarades, elle reçoit un e-mail de cette dernière dans lequel la défunte lui explique que bien qu'elle ait disparu physiquement, son esprit est à présent dans le Wired, l'Internet du monde dans lequel vit Lain. Elle va donc s'intéresser au Wired et s'y immerger de plus en plus au risque de s'y perdre. Elle y fera toutes sortes de rencontres ayant un point commun, elles connaissaient déjà toutes son existence avant de la rencontrer.
Les humanoïdes rêvent-ils de poteaux électriques ?
Serial Experiments Lain est un animé difficile d'accès, d'abord par l'esthétique si particulière qu'il emploie. Sa direction artistique peu conventionnelle peut en décourager plus d'un de commencer la série. Cependant, ce qui peut paraître comme un défaut est aussi l'une de ses grandes qualités. Par l'omniprésence de poteaux électriques, des ombres tachetées de rouge et du peu de couleurs chatoyantes, l'esthétique de l'animé parvient à poser, et ce dès les premières secondes, une atmosphère dérangeante, froide et qui va d'épisode en épisode faire sombrer le spectateur, lorgnant ainsi parfois du côté de l'imagerie psychédélique qui vous fera (peut-être) voyager, et ce sans substances.
La narration n'est pas en reste, rien ne vous est jamais vraiment expliqué dans Serial Experiments Lain ou du moins pas explicitement. Préférant s'amuser à essayer de perdre le spectateur, la série se crée ainsi plusieurs niveaux de lecture, le forçant à réfléchir sur ce qu'il à vu, à se questionner même après un premier visionnage intégral. Adoptant heureusement un rythme assez lent, elle évite au spectateur de s'y perdre trop vite.
Mais la série peut aussi se reposer sur une bande originale de qualité aux sonorités troublantes. Composée par Reichi Nakaido, guitariste et chanteur japonais qui, de par ses compositions, va renforcer l'atmosphère étrange de la série, l'utilisation d'une guitare électrique au son saturé tout le long de la bande originale apporte une touche de malaise dans les moments les plus rudes de la série.
Comment ne pas parler du morceau du générique d'ouverture, Duvet, composé par le groupe britannique Bôa et qui, grâce au succès de la série aux États-Unis, aurait sauvé le groupe alors proche de la séparation. Bien que non écrites pour l'animé, les paroles de la chanson prennent un tout autre sens après le visionnage de la série. Troublant.
Sautez dans l'urinoir pour y chercher de l'or
Serial Experiments Lain aborde des thèmes matures, tout d'abord l'adolescence et toutes les traces liées à cette période si spéciale de la vie. Lain étant une adolescente très renfermée sur elle-même et timide, le fait qu'elle soit peu à l'aise avec l'informatique alors que ses camarades de classe en usent et abusent la fait se sentir encore plus en décalage avec les autres. Et le fait que les membres de sa famille soient assez froids aussi bien avec elle qu'entre eux n'aide pas.
La série évoque aussi la religion par le fait qu'il existerait un Dieu du Wired. De là, elle questionnera le spectateur sur ce qui fait un Dieu, s'il existe bien. Une question d'ordre philosophique présente durant tout l'animé. Et le point central de l’œuvre : qu'est-ce que la réalité ? Suis-je réel ? Quelle différence il y a entre le virtuel et le réel ? Peut-on détruire la frontière entre la réalité et le monde virtuel ? Tout au long de la série, Lain va s'immerger toujours un peu plus dans le Wired et se poser ces questions, nous plongeant alors dans une trame narrative proche d'une œuvre de Philip K, Dick.
Que signifie au juste le mot psionique ?
Ce qui rend l'animé encore plus intéressant est de voir à quel point il était en avance sur son temps. Diffusé en 1998 tandis que Cowboy Bebop et Trigun font leur entrée, Serial Experiments Lain se questionne sur les dangers et dérives d'Internet alors qu'à l'époque, il était encore très peu répandu. Il traite des hackers et du pouvoir qu'ils ont sur ces réseaux, notamment d'influencer par le virtuel le monde réel.
Mais il traite aussi du questionnement de la réalité, un an avant que Matrix n'envahisse les écrans de cinéma pour donner un exemple. Même s'il n'est pas le premier, il fait indéniablement partie des pionniers à traiter du net, celui-là même grâce auquel vous pouvez lire ces mots. Celui qui aujourd'hui est omniprésent dans nos vies.
Serial Experiments Lain fait donc partie de ces œuvres cultes qu'il faut au moins avoir vues ne serait-ce qu'une fois dans sa vie, puisque derrière son allure si particulière et aride se cache un véritable joyau qui en vaut la peine. Rares sont les animés de cette trempe.