L'an passé, le plus gros festival comics en France a clairement déçu. À la veille de sa seconde édition, l’espoir est de mise, à condition de ne pas répéter les mêmes erreurs.
On le sait tous, la première fois est rarement la bonne. En 2015, la nouvelle formule du Comic Con en France n'avait pas séduit le public malgré une organisation directement venue des USA. Ce festival remplaçait le précédent salon du même nom, qui fut pendant 5 ans adossé à la Japan Expo. Ce premier Comic Con, organisé par des Français, était de bonne facture et progressait chaque année, avec des animations et des conférences de qualité. Il bénéficiait aussi et surtout du très large public venu pour la partie japonaise du festival, soit plus de 200 000 visiteurs. L’avenir était radieux et le rachat de la licence l’a fait passer dans une toute nouvelle dimension en France.
Avec l’arrivée des américains de Reed Expositions, le défi était énorme. De plus, ce changement est intervenu alors que l'engouement pour la culture geek américaine était croissant, entre les films Marvel, les oeuvres DC Comics (cinéma et séries télé), l’émergence des indés et la nouvelle donne sur le marché des éditeurs comics en France. Avant même les premières annonces, les réseaux sociaux et sites spécialisés comics fourmillaient de propositions et fantasmes quant à la nature du contenu proposé par l'organisation.
On évoquait déjà des conférences exceptionnelles d'éditeurs américains qui offriraient des annonces inédites de nouveaux comic-books, ou la présence de toute l'équipe de Star Wars en avant-première mondiale. Bref, on voulait la même chose qu’aux USA, c'était le salon qui devait valider l'explosion en France de toute cette culture geek, comme la Japan Expo est celui des otaku. Vous l’aurez compris, il y avait une confusion entre culture comics et culture geek. Malheureusement, la déception fut énorme et le moins qu'on puisse dire, c'est que les critiques furent unanimes et sévères sur la première édition du Comic Con Paris. Néanmoins, tout était-il de la faute du festival ?
Un malentendu fatal
Il y a forcément une différence entre ce que le public attend et ce que les organisateurs ont en tête. Cependant, dans le cas de la première édition du Comic Con Paris, l'écart était trop grand, voir abyssal. Les fans sont habitués à la présence de plus en plus régulière de dessinateurs et scénaristes de comics en France. En effet, un salon BD met avant tout l'accent sur les artistes et en 2016, nous sommes capables d'attirer des auteurs britanniques, américains, européens, bref du monde entier. Avec un tel nom, qui parle aux Américains, et plus de moyens, le casting ne pouvait être qu’impressionnant. Le problème, c’est que la conception américaine du Comic Con est complètement différente. La version la plus médiatique, celle de San Diego, mélange en effet conférence d’éditeurs comics détaillant les nouveautés de leur catalogue et présentation des blockbusters du type Star Wars, Transformers et autres franchises célèbres.
Cependant, l'espoir était de mise car ce n'était pas l'équipe de San Diego mais celle de New-York qui débarquait en France. Il y a une différence fondamentale entre les deux salons : sur la côte ouest, c'est multimédia, sur la côte Est, c'est avant tout le comic book qui compte. Sachant cela, la communauté française de lecteurs de comics se sentait rassurée car elle imaginait une fusion des deux mondes, à la fois du contenu purement comics et des manifestations cinéma/séries télé plus médiatiques. Le premier choc fut la conférence de présentation du festival, avec les comics relégués au second voire troisième plan, presque absent du propos. Ensuite, l’annonce du programme n'a pas rassuré les fans. Enfin, le coup fatal a été porté le jour J, quand il a été clair en visitant les allées du festival que le format papier n’était sûrement pas le plus important.
Bon, en soit, ce n’est pas si grave. Il y a d’autres manifestations comics qui permettent aux fans de rencontrer les artistes, que ce soient la Paris Comics Expo (PCE), le Lille Comics Festival, le Comics Gone à Lyon… De plus, la New York Comic Con se déroule début octobre, donc cela vampirise les agendas des artistes. Ce qui est gênant, c’est que le Comic Con Paris se veut l’étendard de la Pop Culture et ne peut renier son origine comics, le coeur de cible. Il a donc une responsabilité vis à vis d’eux. Ce n’est pas pour rien que la PCE a été décalée de 6 mois, comprenant bien qu’elle se retrouvait en concurrence frontale, ne pouvant rivaliser. Les lecteurs ne peuvent pas se déplacer tout le temps, cela à un coût, surtout que tout le monde n’est pas Parisien.
Quand on sait qu’il y a une semaine d’écart seulement avec la Paris Game Week, qui partage une partie du public (les novices ou ceux qui sont fans des films/séries), puis le Paris Manga & Sci-Fi Show la semaine d’après, qui choppe une autre bonne partie, ce serait suicidaire pour la PCE qui ne se retrouverait qu’avec les chasseurs de signatures. En même temps, cela répartit les deux gros festivals parisiens comics sur l’année, ce qui en fait plus pour les fans. Toutefois, le Comic Con Paris (CCP) doit faire mieux que la PCE vu son budget, qui est incomparable. Clairement, le compte n’y était pas l’an passé.
Round 1 : pas de réel contenu comics
Le CCP se veut grand public et se déclare “Le festival n°1 des fans de pop culture (qui) débarque à Paris pour la 2ème édition !” (vu sur le site web). Ce n’est pas un obscur (mais excellent) festival lillois, c’est Paris ici, il faut drainer le maximum de monde, à coup d’affiches dans le métro et publi-informations dans tous les médias. Jugeons donc le festival à l’aune de cette ambition. Pour sa première édition (il faut être indulgent), le parrain était Louis Leterrier. Pas mauvais, c’est un français à la carrière honnête aux USA, qui représente parfaitement cette culture comics. Côté séries TV, la grosse exclusivité fut Jessica Jones de Netflix, présente en avant-première avec des acteurs. Là, très bon point, pile dans la cible. Un panel sur les séries télévisées DC, là encore ça le fait, tout comme les habituels acteurs de Game of Thrones, Agents of SHIELD ou Metal Hurlant Origins. Rien de fou toutefois, ils trainent partout pour faire des photos payantes.
Pareil pour les conférences comics, même si Comixology a fait de gros efforts, notamment côté artistes. D’ailleurs, Brian Azzarello, Matt Fraction, Kelly Sue DeConnick, Elsa Charretier, c’est bien. C’est pas non plus beaucoup, surtout que certains sont déjà venus en France (Elsa est française). Il y avait aussi Joann Sfar (on voit pas le rapport, mais on est pas sectaire, c’est un artiste réputé et apprécié) et surtout, la prise du festival, son joyau, sa vedette, Frank Miller. Là, c’est fort, les fans se sont bousculés, certains ont lâchés une petite larme, mais c’était au final l’arbre qui cachait la forêt.
Quid des éditeurs comics ? Pas de présence des américains, ce qui est en soit logique, mais pour un festival qui se voulait différent, ça aurait eu de la gueule. Côté Marvel, c’est Panini Comics qui a assuré le service. Je ne suis pas objectif, faisant partie de l’équipe, mais le moins que l’on puisse dire, c’est que nous avons ramené un dessinateur, Matteo Lolli (Hawkeye vs Deadpool) qui a eu son succès. Nous avons aussi organisé des conférences et proposé un bon gros stand qui a été littéralement dévalisé. Pourquoi ? Parce que DC Comics, publié par l’intermédiaire d’Urban Comics, n’était pas présent.
Ce qui était très marrant, c’était de voir tous ces jeunes fans (surtout de Harley Quinn) venir nous demander un comics en nous assurant “que normalement, je n’achète pas du Marvel, mais je ne vais pas repartir sans rien”. Delcourt était présent, mais assurait le service minimum (alors que son travail et son catalogue, porté par The Walking Dead si vous n’êtes pas familier, sont reconnus de qualité) tandis que Glénat tentait de se faire une place sur le marché (je vous conseille Lazarus chez eux), donc on ne va pas les blâmer.
Quand on voit le stand d’Urban à la PCE, on se dit que sa présence à la CCP aurait eu de la gueule. Et ce n’est qu’un des nombreux reproches niveau comics. Très peu de conférences en dehors des éditeurs, aucune place réservée aux sites web et associations (par contre, vendre du matos cosplay…) et une allée des artistes franchement mise à l’écart. Tout était fait comme si le festival était pensé pour un public novice, sans réelle connaissance de l’industrie, sans expérience de ce type d'événement. Le problème, c’est qu’hormis l’AVP Jessica Jones et Frank Miller, il n’y avait rien de sensationnel. Cette première édition fut donc une déception.
Try again boy
Vous l’aurez compris, la version 2015 du festival n’a pas été un franc succès pour la communauté comics française. La version 2016 se devait donc de faire mieux, ce n’est après tout que la seconde édition. Regardons ce qui nous est proposé, de manière objective et avec une bonne dose d’optimisme, car au final, si le festival est réussi, on est tous gagnants. La tête d’affiche cette année, c’est Dominic Purcell (Prison Break et Legends of Tomorrow). Un acteur donc, pas un auteur de comics. Bon, c’est pas top, mais le gars est connu au moins. On aurait peut-être préféré un vrai premier rôle quand même… C’est la star de Luke Cage qui s’en charge. Joli coup, surtout qu’il n’a pas encore fait le tour des festivals, donc il y a beaucoup à apprendre sur lui. La connection avec Netflix semble intacte.
Côté conférences, Marvel Studios Phase 4 et 5, encore les séries TV Warner, le Buffyverse avec Eliza Dushku, les costumes de la série Agent Carter… Notons aussi les présences de Michel Hazanavicius et Thomas Ngijol (no comment), encore quelqu’un de Game of Thrones, des youtubeurs à gogo dont Golden Moustache et enfin deux avant-premières, le film d’animation Sausage Party et surtout Doctor Strange. Là c’est vraiment cool, et pile dans la cible, mais bon, ce n’est pas une exclusivité, surtout que l’embargo presse sera levé avant la projection, donc tous les blogueurs qui auront vu le film vont se déchaîner sur le web.
Cependant, soyons francs, ce n’est pas de la faute du festival si les dates tombent mal. Toutefois, on aurait aimé de vrais avant-premières exceptionnelles, genre le prochain Harry Potter, le prochain Disney ou même un extrait de Rogue One, tous en salles très prochainement, donc faisable. Notons tout de même la présence de l’équipe de Valerian, gros film de SF, avec Luc Besson qui joue à domicile, donc on espère qu’il va nous régaler et pas répéter ce qu’il a fait à San Diego (un petit teaser svp Luc). En résumé, pour la partie média, le coeur de la Pop culture d’après la presse, ce n’est pas très original, ça manque de poids lourds et d’exclusivité, mais c’est respectable.
Harder Better Faster Stronger ?
Reste les comics avec un plateau d’artistes loin d’être dégueulasse. Terry Moore, Trevor Hairshine, Erik Larsen, Greg Pak, Brenden Fletcher, Kyle Higgins, Elsa Charretier, Kieron Gillen et Jamie McKelvie, Marco Checchetto et bien d’autres, il y a du monde. Personne du niveau de Frank Miller, même si certains ont fait l’histoire de cette industrie ou ont leur cohorte de fans, mais des habitués qui feront le taff.
Côté conférences, c’est un peu maigre avec seulement Univers Valiant (par Bliss), Marvel puis Star Wars (Panini Comics) et les 25 ans d’Image Comics (comicsblog, pas mal d’avoir une équipe web). Je dis seulement dans le sens où ce sont à mes yeux les rares événements dignes d’intérêt pour un festival comics. Le coussin péteur géant d’Adventure Time ou le reboot des Merveilleuses Cités d'Or, c’est du bonus, tout comme le panel sur Valerian et Laureline par ses créateurs. Urban Comics n’est toujours pas là, ce qui fait que le plateau est moins complet que la PCE. J’espère qu’il y aura des stands de vente DC Comics cette fois, et que la conférence sur Superman sera à la hauteur.
De toute façon, selon le directeur du salon, la Comic Con Paris est pensée comme un parc d'attraction. Tout va donc dépendre des animations sur place, de l’affluence, de l’effort déployé par chaque stand, de l’ambiance générale, bref, de l’alchimie entre tous les participants. Un salon, c’est avant tout une âme et celle de la Comic Con Paris doit encore se dévoiler. Il faut être sur place pour sentir s’il y aura une révolution ou une simple évolution comme le laisse présager le programme, similaire à l’an passé. On sent dans la communication de cette édition une prise de conscience de la part des organisateurs, une volonté de bien faire. À 22 euros la place, la marge d’erreur sera très faible. Je propose de lui donner sa chance. Et vous ?
La Comic Con Paris a tout ce qu’il faut pour réussir, si ce n’est un manque d’ambition. Le programme semble similaire à l’an passé, voire légèrement amélioré. Tout va donc se jouer sur l’ambiance, en espérant avoir enfin des discussions endiablées dans les allées et devant les stands.
DaftVenom
Le 23 octobre 2016 à 17:36Vaste débat que cette Comic Con... L'organisation n'a pas compris l'importance de certains mots et n'a jamais été réellement soutenue sur internet. Un opprobre lui a été jeté à la figure dès le départ sans réelle justification, et cet acte de naissance dans la douleur continue aujourd'hui d'être préjudiciable à la convention. Car les membres actifs d’internet ont bien un impact sur une partie du public "passionnée" de ce genre d’événements, et il est triste de voir que la sphère comics a été très négative envers l'arrivée de ce nouveau festival (il ne fallait pas toucher à la PCE chérie bien sûr). Pour autant la Comic Con n'a pas compris qu'une convention ne se fait pas qu'avec le grand public tout néophyte. Et son erreur est là. Si plus d'artistes comics ont été invités cette années (à grands renfort de partenariats divers), il est quand même incompréhensible de voir que l'orga ne soit pas dérangée par l'absence du plus grand éditeur comics VF de France (dans les esprits, les chiffres c'est une autre histoire...) qu'est Urban Comics. Il en est de même avec la tarification élevée de ses stands qui empêche un certains nombre d'artistes (voir de boutiques) de venir, car ils n'ont tout simplement pas les moyens. Et se couper des artistes, c'est tout simplement se couper d'un public fidèle qui est prêt à dépenser pour sa passion et bien plus prévisible dans ses choix que la petit famille qui vient faire un tour pour se détendre (si elle a les moyens de payer les entrées). Comme par hasard, des échos d'une Artist alley réduite se font entendre pour cette nouvelle édition, preuve que la problématique est bien présente...