L'oeuvre culte de Denis Bajram symbolise parfaitement l'incroyable liberté de création de la BD Franco-Belge. Retour sur une saga aussi réaliste qu'explosive.
La science-fiction est le terreau fertile des artistes de la Pop Culture depuis bientôt deux siècles. Les romans de Jules Verne et H.G. Wells, les films de Kubrick, le cyberpunk japonais, les pulps américains, tous ont apporté leur vision du futur à mesure que la science a progressé dans la réalité.
Si vous lisez une histoire publiée dans les années 50, vous serez peut-être étonné de voir que les auteurs pensaient que les voitures volantes et les colonies sur Mars seraient légion en 2017. Les révolutions web et mobile ont ouvert de nouvelles portes dans l'imaginaire des artistes, influençant durablement les histoires écrites de nos jours.
Il est parfois plaisant de revenir à une science-fiction plus classique, capable de s'émerveiller sur des phénomènes scientifiques complexes qui sont vulgarisés au profit du scénario. Dans ces conditions, la BD Franco-Belge reste un des derniers refuges pour ceux qui veulent encore goûter à la Hard-SF.
Un futur peu enviable
En 1998 est publié le premier tome de la série Universal War One. Voici son synopsis : « 2058 - Entre Saturne et Jupiter, au cœur des jeunes Etats les plus prospères de la Fédération des Terres Unies, la troisième flotte de l’United Earthes Force veillait inlassablement sur la périphérie du système solaire. Elle assurait par son gigantisme un incroyable sentiment de sécurité à ses habitants. Mais LE MUR est apparu. Si grand, si sombre. Insondable. C'est à une escadrille d'officiers en cour martiale qu'échoit la périlleuse mission d'en percer les secrets... Et ce sera au péril de leurs vies. Ici commence la Première Guerre Universelle. »
D'apparence classique, ce scénario va surprendre le lecteur au fil des albums. Il utilise un décor vu et revu (on a l'impression de voir un énième Gundam) pour se concentrer sur le voyage réalisé par ses héros. Ainsi, sur fond de conflit entre une autorité militaire et une alliance économique, on suit la mission d'un groupe de soldats assez hétéroclite. Il y a John, la caricature du soldat américain prêt à tout pour sauver tout le monde. Mario est une grosse chochotte, Amina est une badass qui a souffert et Kalish est un génie a la gueule trop ouverte. Milorad semble être une enflure, Kate est la femme parfaite et June la bonne samaritaine. C'est en s'attachant à ces personnages qu'on va accepter toutes les folies qu'ils vont vivre.
Tels les Sept Mercenaires ou les Douze Salopards, les membres de l'escadrille Purgatory vont être envoyé pour mourir de l'autre côté du Mur, qui est en fait une sorte d'énorme ligne noire qui défigure le système solaire. Fort heureusement pour l'armée, Kalish est bien trop intelligent pour cette mission et va progressivement réussir à percer le secret de cette arme secrète, un trou noir développé pour modifier le statu-quo politique. Le problème, c'est que le temps va jouer contre eux et petit à petit modifier leur réalité. L'équipe va subir les effets secondaires du voyage au sein du Mur, et en dire plus spoilerait la clé de toute l'histoire (mais pas son déroulement). Sachez juste que l'auteur s'est amusé à tout prévoir dès le départ, pour mieux brouiller les pistes et révéler vers la fin les coulisses du parcours de nos héros, le tout étant expliqué dans le Tableau Synoptique.
Dans la tête d’un artiste
Parlons-en de cet auteur. Denis Bajram est à la fois scénariste, dessinateur et coloriste. Un homme à tout faire, encore une spécificité de la BD européenne, ce qui lui offre une incroyable liberté de créativité. Il peut donner vie plus précisément à ses idées et mettre en page sa vision de son univers sans intermédiaire. Si l'échange entre artistes est souvent profitable, l’imagination de l'un nourrissant le travail de l'autre, cela reste un luxe de pouvoir totalement maîtriser une publication.
Denis Bajram est né en 1970 à Paris. Après des études aux Beaux-Arts puis aux Arts déco, il participe à l'élaboration de revues BD de presse et travaille comme graphiste pour une grande maison d'édition. Quand il se lance réellement dans la création professionnelle, Bajram créé ou rejoint des ateliers de dessinateurs. Il illustre dès 1996 la série Cryozone (une histoire de voyage vers une colonie spatiale) puis Les Mémoires mortes (New York post-apocalypse) dès 2000. C'est toutefois avec Universal War One qu'il va réellement s'imposer dans le paysage BD français.
À la fin de la publication de UWO, l'auteur ralentit son rythme de production pour revenir en force dès 2013 avec la suite de sa saga à succès, Universal War Two, mais aussi Experience mort avec son épouse Valerie Mangin (créatrice de l'excellente série Chroniques de l'Antiquité galactique). C'est d'ailleurs avec elle qui fonde le label Quadrants, filiale de Soleil Productions, l'éditeur qui a publié Universal War One. Leur volonté est de proposer une science-fiction plus mature. Toutefois, Universal War Two est publiée par Casterman dès 2013.
Succès et suite
Ce qui est plaisant avec la série Universal War One, c'est tout d'abord son trait. Très réaliste, il permet à l'auteur de faire passer toutes ses théories auprès du lecteur. Il est bon de noter que l'artiste a fait évoluer son style à la fin de cette saga, sans pour autant le révolutionner. On reste toujours dans le haut du panier de la BD Franco-Belge et le souci du détail de Bajram est savoureux. Si les premiers tomes semblent parfois confus, c'est pour que le lecteur s'identifie aux héros qui sont rapidement désorientés. On est récompensés au fil des tomes en comprenant la vraie histoire, chaque élément se révélant au final bien pensé et utile pour l'intrigue.
Plus que l'aventure d'une bande de soldats qui doivent passer en cour martiale, c'est le destin de l'Humanité qui est en jeu. Les références à la Bible, parfois un peu lourdes, veulent imposer le sentiment que l'un de ces personnages va s'imposer comme le sauveur de son peuple, tel un nouveau prophète. Si cela ne constitue pas le cœur de l'histoire, on remarque progressivement que tout semble prendre forme pour donner naissance à un mythe qui sera vénéré par les générations futures.
Cela tombe bien, les deux suites, elles aussi en six tomes, vont s'appuyer sur les actes réalisés lors de la première guerre dite Universelle. En attendant une adaptation au cinéma évoquée dès 2013 et après une publication américaine par Marvel en 2008, Universal War Two propose un univers meurtri par la première Guerre et qui a du mal à dicerner les faits de la légende. C'est le propre de toutes les histoires de prophète.
Malgré une publication forcément trop longue pour un lecteur de manga ou comics, Universal War One s'impose comme le parfait exemple de ce que peut apporter la BD Franco-Belge à la Pop Culture. Une première série classique et efficace qui pose les bases d'un univers envoûtant.