Depuis 20 ans, un détective d’exception connaît d’incroyables aventures en roman, mais pas uniquement : Lincoln Rhyme.
En 1997, le personnage de Lincoln Rhyme est créé. Depuis, il a été le héros de 13 romans, il est apparu dans 6 autres histoires, et dans un film.
Jeffery Deaver : le créateur
Jeffery Deaver est né en 1950, dans une famille de créatifs. Sa mère est une artiste et son père a travaillé dans la création publicitaire. L’auteur commença par travailler dans le journalisme, puis dans le droit. Dans le même temps, il écrit des chansons de folk.
Toutes ces expériences finissent par le mener à l’écriture de romans. À la fin des années 80, il se lance dans l’écriture d’une trilogie, mettant en scène une apprentie-réalisatrice, Rune. Ces romans ont d’ailleurs une composante policière intéressante. Au cours des années 90, il alterne l’écriture de séries de romans et des livres indépendants.
En 1997, Deaver crée un personnage : Lincoln Rhyme. Ce dernier est alors le héros d’une série de romans à succès qui serviront de tremplin pour l’apparition d’autres personnages qui obtiendront leurs propres séries. L’exemple le plus notable est Kathrin Dance, une policière de Californie, spécialisée dans l’étude de la gestuelle. Elle apparaît d’abord dans une aventure de Rhyme avant de devenir l’héroïne de sa propre série.
En un peu moins de 30 ans, Deaver a publié 36 romans et 5 recueils de nouvelles. Parmi les œuvres n’étant pas liées à Lincoln Rhyme, on retrouve un roman mettant en scène un James Bond plus moderne que d’ordinaire : Carte Blanche. On peut également noter The Blue Nowhere (devenu Meurtre.com en français) traitant dès 2001 de la cybercriminalité, ainsi que The October List, récit se déroulant de façon antéchronologique.
Enfin, pour les besoins de XO, une histoire de Kathrin Dance se passant dans le milieu de la musique folk et country, Deaver compose un album entier du même nom que le roman, qui sera interprété par la chanteuse Treva Blomquist.
Lincoln Rhyme : un héros au physique particulier
Quand on parle d’un détective, on parle rarement de son physique et plus de son esprit. Dans le cas de Lincoln Rhyme, les deux sont intrinsèquement liés.
Avant que les romans ne démarrent, Rhyme était un inspecteur de police spécialisé en étude des scènes de crimes. Alors qu’il mène une enquête, une poutre lui tombe dessus, lui brisant la colonne vertébrale et le laissant tétraplégique. Rhyme perd alors rapidement goût à la vie, se préparant à en finir. Mais, suite à une affaire particulièrement difficile, ses anciens collègues lui demandent de l’aide pour résoudre des cas autrement insolubles.
Au final, Rhyme devient consultant pour la police new-yorkaise, aidant les enquêteurs sur les cas les plus inhabituels. Il enseigne également l’art de l’analyse de scènes de crimes à plusieurs personnes au cours de ses aventures. Certains des personnages réapparaîtront d’ailleurs dans plusieurs de ses histoires.
Rhyme a un caractère assez sec, détestant la parlotte et cherchant à atteindre son but au plus vite. Son sens de la précision l’aide d’ailleurs dans ses déductions, car il ne laisse rien à « l’à-peu-près ». Il a également une attirance assez poussée pour le whisky que Thom, l’aide-soignant chargé de sa santé, garde avec soin.
Au cours de ses aventures, Rhyme réussit – grâce à de nombreuses thérapies – à regagner un peu plus de mobilité avec son bras. L’évolution physique de Rhyme fait d’ailleurs partie des facteurs permettant facilement de voir l’avancement du temps à travers l’intrigue.
Amelia Sachs : « Watson » qui devient indépendant
Si Rhyme est facilement comparable à Sherlock Holmes (on y reviendra plus tard), on peut alors mettre Amelia Sachs - sa partenaire dans ses aventures - dans la catégorie des John Watson. Bien évidemment, Deaver ne nous offre pas un copier-coller des aventures écrites par Conan Doyle et nous offre des variantes assez efficaces.
Dès son introduction, Amelia Sachs est décrite comme une policière consciencieuse. Elle se fait remarquer pour son travail impeccable dans la première enquête qui l’associe à Rhyme. Elle devient d’ailleurs les yeux et les mains du consultant lors de cette affaire, permettant l’arrestation du criminel.
Au cours des aventures du duo, elle se montre efficace à la fois dans le travail de policier « classique » et dans l’analyse de scène de crime. Elle devient ainsi rapidement l’élève de Rhyme, avant de devenir une officier à part entière, capable de gérer des enquêtes d’envergure.
Progressivement, Amelia Sachs prend de l’importance au sein des romans, devenant autant un personnage principal que son mentor. Dès le début, elle est créée comme un miroir de Rhyme. Son leitmotiv est « Tant que tu bouges, ils ne peuvent pas t’attraper » (phrase que lui répétait souvent son père) et, comme Rhyme, elle a un physique particulier : elle est un ancien mannequin.
La complémentarité des personnages permet la mise en place d’un couple très efficace. La combinaison de leurs talents leur donne des avantages intellectuels mais aussi physiques. Il n’en reste pas moins que la santé de Sachs se détériore au fur et à mesure des aventures, signe du temps qui passe.
Première aventure : The Bone Collector
En 1997, Jeffery Deaver publie son premier roman mettant en scène Lincoln Rhyme : The Bone Collector (devenu en français Le Désosseur). Dès ce premier opus, la majorité des bases sont posées. On apprend à découvrir les 2 personnages principaux, qui se rencontrent pour la première fois. Dans le même temps, plusieurs personnages secondaires sont introduits, tels que Thom – l’aide-soignant en charge de Lincoln Rhyme – Lon Sellito – un officier de la police new-yorkaise – et Mel Cooper – considéré comme le meilleur technicien de laboratoire du NYPD.
Le roman met en scène une intrigue principale où Rhyme tente de retrouver un tueur en série qui enlève les passagers de son taxi pour les tuer de différentes façons, mais en conservant un mode opératoire propre : mettre en évidence les os de ses victimes, ce qui lui vaut son surnom (qui sert aussi de titre au roman). Les méthodes de meurtres sont d’ailleurs inspirées des crimes d’un autre tueur en série du début du XXème siècle.
En plus de cette ligne narrative, l’histoire tourne également autour d’une enquête sur du terrorisme domestique (nous sommes en 1997, il s’agit du type de terrorisme le plus répandu aux USA). Cette partie relativement mineure de l’histoire aura quand-même de nombreuses répercussions à travers les autres romans mettant en scène Rhyme.
Ce roman est un succès qui donne lieu à un film deux ans plus tard, réalisé par Phillip Noyce.
Bone Collector : le film
Après un tel succès en librairie, il est assez naturel (surtout maintenant) de voir le roman porté sur grand écran. Malheureusement, le succès n’est pas vraiment au rendez-vous, le film engrangeant sur le territoire américain moins que son budget de production.
L’intrigue du film est assez similaire à celle du livre, mais elle reste très linéaire, centrée sur la narration principale, sans s’en éloigner. De plus, il est difficile pour un film de retranscrire les émotions et les pensées des personnages sans se montrer verbeux voire lourd.
Il est également à noter que bon nombres de personnages ont subi des changements. Mis à part les noms (Amelia Sachs devient Amelia Donaghy pour que ça ne sonne pas trop comme « sexe »), bon nombres de caractères sont lissés, les personnages cèdent moins à des défauts (pas de mention d’alcool pour Rhyme, etc…). Ces modifications sont assez surprenantes, surtout pour un film « Rated R » (pour adultes).
Dans le même temps, le casting de certains personnages reflète une véritable diversité, ce qui n’est pas vraiment dit dans les romans (peu d’indications physiques sont données sur eux). Ainsi, Thom devient Thelma (incarnée par Queen Latifah) et Mel Cooper devient Eddie, joué par Luis Guzman. On retrouve également Ed O’Neil (Marié, deux enfants et Modern Family) dans le rôle de Paulie Sellitto et Michael Rooker (Gardiens de la Galaxie) dans le rôle du capitaine Howie Cheney (créé pour le film).
Enfin, Lincoln Rhyme est joué par Denzel Washington et Angelina Jolie prête ses traits à Amelia. Il est intéressant de voir que des vieilles photos de Jolie (quand elle faisait du mannequinat) sont utilisées pour illustrer la carrière de model de l’héroïne.
Ce relatif échec a certainement poussé Jeffery Deaver à reconsidérer d’autres adaptations de ses thrillers car, à part ce film, seuls 2 romans – chacun indépendant – ont obtenu une adaptation. De plus, dans un de ses romans récents, il s’amuse sur le fait qu’on suggère de faire une série télévisée sur les enquêtes de Rhyme mais que celui-ci refuse.
20 ans d’existence et beaucoup à exploiter
Lorsque l’on parle de romans policiers, on a généralement tendance à penser qu’après avoir lu deux ou trois romans d’un auteur, sa façon d’écrire devient transparente et qu’on n’aura aucun mal à retrouver le coupable. Dans le cas de Jeffery Deaver, c’est rarement le cas.
En plus des ruses narratives pour pousser le lecteur dans de mauvaises directions, Deaver n’hésite pas à faire appel à des méthodes de meurtres assez originales. Non content d’utiliser des méthodes « classiques » que l’on retrouve dans bon nombres d’œuvres, lui décide de jouer sur l’évolution de la société moderne. Ainsi, un des suspects utilise des méthodes de prestidigitateur pour déjouer les soupçons, tandis qu’un autre utilise l’électricité. Un des romans les plus récents fait la part belle aux objets connectés, qui sont piratés pour servir d’armes à distance.
De plus, au cours des aventures, de nombreux personnages apparaissent et viennent agrémenter le casting de ces enquêtes. Ainsi, Ron Pulaski – un jeune policier – rejoint l’équipe et devient un des élèves de Rhyme, prenant progressivement son envol pour devenir un enquêteur digne de ce nom. Pam Willoughby apparaît dès Bone Collector et ne reviendra que 9 ans plus tard dans Cold Moon (Clair de Lune), avant de devenir un personnage régulier.
Cold Moon est d’ailleurs le roman qui introduit un personnage surnommé l’Horloger, un criminel à l’intelligence exceptionnelle, capable de rivaliser avec Lincoln Rhyme. Il réapparaît d’ailleurs dans plusieurs des aventures de Rhyme devenant rapidement sa némésis. Ce roman est, aux dires de Deaver, son préféré car il introduit l’Horloger et parce qu’il contient des twists qu’il adore.
Un de mes romans favoris mettant en scène Rhyme est The Skin Collector. Celui-ci met en scène un assassin qui tue ses victimes en les tatouant avec du poison. En plus de nous mener sur de nombreuses pistes intéressantes, le livre permet de nous ramener à l’origine des aventures de Lincoln Rhyme. De part son titre, tout d’abord, mais aussi par les indices posés ça et là concernant le tueur et ses motivations qui sont liées aux origines de la relation Rhyme/Sachs.
Lincoln Rhyme / Sherlock Holmes
Jusque-là, je n’ai fait que parsemer des indices sur les points communs entre Lincoln Rhyme et Sherlock Holmes. Ce sera désormais le sujet de notre exploration.
Lorsque j’ai posé la question à Jeffery Deaver concernant le lien entre Rhyme et Holmes, il m’a répondu qu’Holmes était l’inspiration de son personnage, car il voulait un héros qui batte ses adversaires grâce à son esprit et pas grâce à une arme ou ses poings. Et, en mettant Rhyme dans une telle condition physique, on peut dire que les triomphes du personnage principal sont dues uniquement à son cerveau exceptionnel.
Les correspondances entre les différents personnages des deux franchises se font assez facilement quand on est au courant de ce parallèle. En plus d’avoir Rhyme et Sachs dans les rôles du couple Holmes/Watson, on a aussi Lon Sellitto en inspecteur Lestrade, Thom en Mrs Hudson et l’Horloger en Moriarty.
Tout comme Holmes a inspiré de nombreux personnages au cours des années, il n’est pas difficile d’imaginer que Rhyme sera la source de création d’autres personnages. À mon sens, les séries télévisées CSI (Les Experts) peuvent trouver de l’inspiration dans les aventures de notre personnage.
Grâce à ses romans mettant en scène Lincoln Rhyme, Jeffery Deaver a réussi à entrer sur le devant de la scène des romans policiers. Il n’est donc pas étonnant que pour l’année 2017, il ait été nommé président de l’association MWA, réunissant les auteurs de romans policiers américains.