3 auteurs, 9 tomes, 1952 pages, un jeu vidéo et une série animée. Une phénomène BD français qui a seulement 3 bonnes années.
Quelle histoire que ce Lastman ! On n’aurait pas cru cela possible sur le marché français, et pourtant des auteurs de bandes dessinées aux horizons différents qui s'associent pour produire une série lorgnant sur la BD japonaise et américaine, c'est bien réel aujourd'hui.
Avec ses débuts en mars 2013, la série a fait du chemin depuis et c'est bien pour ça qu'il faut en parler. Car si on élève un peu le regard, on voit bien que Lastman a atteint des horizons inespérés, pourtant cela manque un peu d'un côté « tout le monde en parle ». Quand on lit la série, on sent bien que la passion du storytelling est présente dans les petits doigts des auteurs et en tant que lecteur il est très difficile d'échapper à cette écriture efficace qui comprend parfaitement les codes de narration d'aujourd'hui.
Si L’œuvre Lastman a dépassé le simple statut de pages dessinées en traversant les médias et les frontières, au fond c'est bien à ce support qu'il faut rendre les honneurs, pour arriver à lui faire atteindre peut-être, le stade de série générationnelle.
D'où tu sors satané Aldana ?!
Partons ensemble sur les terres luxuriantes de la Vallée des rois. C'est dans ce charmant univers que prend place le tout début de l'univers Lastman. Deux premiers tomes singuliers de par le monde mis en place, les graphismes épurés et le rythme soutenu. S'ils ne forment pas à proprement parler une histoire auto contenue, ils constituent en soi un dyptique assez autonome mais non sans conséquences pour la suite.
À vrai dire, s'il est difficile de résister à ce début d'histoire, c'est bien à cause du style adopté, original aujourd'hui mais aussi terriblement rétro dans le propos. On débarque en effet dans un univers presque médiéval où la population vit sereinement et harmonieusement avec la nature et les forces magiques. Toute une société qui s'organise autour d'une activité principale : le combat. Attention, ici on ne parle pas de mandales et de torgnoles, mais bien d'un art enseigné dans de nombreuses écoles aux caractéristiques propres. Tout cela permettant de devenir un jour, peut-être, un combattant reconnu au fameux tournoi des champions, qui voit les plus belles techniques de combat défiler.
Le tout jeune Adrian est ainsi notre petit héros, accompagné de sa mère Marianne. Deux personnages qui semblent réels dès leurs premières apparitions et qui auront un grand rôle dans l'émotion de lecture délivrée par cette série. Mais on le dit souvent, jamais deux sans trois, et c'est ainsi que très rapidement Richard Aldana, un gars bien de chez nous, débarque avec sa bagarre, sa boxe dans cet univers bien codifié. Un homme charismatique à n'en point douter, qui va aider Adrian à participer fièrement au tournoi, mais pour autant un homme assez banal pour nous lecteurs.
Tout le charme va ainsi se créer dans la mise en scène du tournoi. Au fond, l'histoire, dans un premier temps, n'est pas si complexe. On se retrouve rapidement à ressentir des choses qu'on connaît via nos vieux jeux de baston 2D, à se rappeler les duels désespérés du manga Dragon Ball... Il y a un véritable amour pour ce type de récit, qui nous attrape complètement en voyant le costaud Richard s'associer avec le plein d'espoir Adrian. C'est un ressort scénaristique simple mais qui fonctionne à merveille grâce à une belle narration visuelle.
L'essentiel est là au final, on a envie de tourner les pages pour voir quelle technique va employer ce personnage... Un pari réussi qui nous plonge complètement au cœur de la relation Aldana – Adrian – Marianne dans cet univers mystérieux, pour mieux nous cueillir par un revirement total dans les tomes suivants.
Et la véritable histoire fut...
Après une séquence baston des plus agréables, on découvre très rapidement que Lastman est bien plus riche qu'il n'y paraît, en creusant un peu le personnage d'Aldana. Si les deux premiers tomes ont su faire vibrer la fibre enfantine qui aime voir des héros se mettre des tatanes, la suite, elle, fait réagir tous les amateurs d'univers riches où de nombreux personnages ont leur importance.
C'est le départ de notre cher Richard qui cause ce revirement de statu quo. Alors que le tournoi est terminé, il s'en va brusquement de la Vallée des rois, laissant sur le carreau Marianne et Adrian. Cette mère, mais aussi amante, va ainsi se révéler être un personnage immensément intéressant en partant à la poursuite du partenaire de combat de son fils. Le choc est ainsi frappant, on découvre à la fois une femme pleine de potentiel et un nouveau monde fait de mégalopoles, de drogues et de technologies. On est presque dérouté, de voir toutes les traditions du royaume être ici remplacées par une société avide de stars jetables et de personnages véreux.
Le passé de Richard Aldana est ainsi bien trouble au vu de ses fréquentations et de sa ville d'origine : Paxtown. Mais personne ne se doutait que cela serait aussi valable pour la belle Marianne, ou encore le royaume de la Vallée des rois si paisible jusqu'à présent. Et c'est par cette tournure des choses que le coup de maître des auteurs est bien visible, on passe ainsi d'un diptyque euphorisant à une œuvre au cheminement exemplaire. Ils arrivent même à remettre au centre de l'histoire, de manière assez intelligente, les tournois de baston qui sont bien différents de celui vécu par Adrian et Richard.
On se rend compte à la lecture des tomes 3 à 6 que nous faisions face à un univers étendu au début de nos pérégrinations dans la Vallée. Les différents environnements, les histoires de personnages se croisent et naviguent entre les cités. Les menaces deviennent ainsi bien plus grandes, les enjeux aussi, rendant nos héros indispensables. La série plonge dans la sévérité du monde et le drame, tout en conservant le regard innocent, mais si beau, d'Adrian. Alors qu'on pouvait avoir l'impression que la série visait une cible, jeunesse ou nostalgique, on remarque qu'elle est bien moins grand public qu'il n'y paraît. Rien de bien clivant, rassurons-nous, mais les thématiques violentes, la mort de certains personnages et la critique en fond de certains maux de notre société sont à prendre en compte.
3 papas, ça envoie du bois !
Rendons un peu hommage aux personnes à l'origine de tant d'émotions. Car au final, cet univers à part, la beauté simple de Marianne ou encore le côté attachant d'Adrian viennent bien de quelque part. Et c'est aussi en quelque sorte une histoire à part entière, tant cette équipe est peu conventionnelle sur le papier.
Bastien Vivès, Balak et Michael Sanlaville sont les trois compères qui ont imaginé toute cette histoire. Vivès c'est l'auteur branché et intello du trio si l'on peut dire, simplement à cause de deux publications : Le goût du chlore et Pollina. Deux Romans graphiques, comme on aime le dire aujourd'hui, qui marquent un peu la nouvelle scène française de la BD. Des titres « d'auteur » en quelque sorte, qui ont su remporter l'adhésion des critiques : Festival d’Angoulême, l'Association des Critiques de BD... Balak, lui, est le féru de nouvelles technologies, c'est un exemple de la nouvelle génération qui a compris que la BD n'est pas qu'un bouquin de 46 pages à la couverture en carton fin. Il est un des utilisateurs de ce que l'on appelle le turbomédia, qui se développe nettement aux États Unis, cette façon de découper des récits pour des formats informatisés, sur tablette... Sanlaville était peut-être le moins connu des trois, un peu l'ami d'enfance vivant dans l'ombre des autres. Présent dès le début de la carrière de Vivès, avec lequel il collabora sur Hollywood Jan, il a toutefois su montrer son style sur différents ouvrages.
Alors attention, s'il est facile de résumer ce trio d'auteurs à quelques caractéristiques, il n'en reste pas moins que ce sont des artistes complets ayant montré plusieurs fois individuellement leur aptitude au dessin, découpage ou encore scénario. Ainsi cette association a permis d'obtenir un mélange d'influences salutaire pour la série. Mais c'est aussi une alliance stakhanoviste misant sur les spécificités de chacun : Vivès raconte et dessine, Balak met en page et complète le scénario, tandis que Sanlaville illustre les dessins plus techniques. De la productivité donc, qui a permis de trouver un véritable style très épuré en nuances de gris.
Laaaastmaaan, ton univers impitoyaaable
Vous l'aurez compris, Lastman a su toucher les lecteurs de par ses personnages et son univers vaste, mais rarement tendre. Ainsi, il est intéressant de noter que la série transforme des figures de faiblesse en icônes de résistance et de volonté : les femmes et les enfants. Deux catégories de personnages qui, dans l'Histoire, ont rarement été mis en avant comme des modèles. Lastman le fait, mais il y a un lourd prix à payer pour ces personnages.
Si on y réfléchit quelques instants, on constate rapidement que les femmes sont essentielles au cheminement du récit, pourtant fort occupées par des hommes comme le viril Aldana. La première importance revient à Marianne, cette mère dévouée qui devient un véritable exemple de volonté et d'audace pour tout. Derrière l’innocence et la beauté simple de ses premières apparitions, elle va vite devenir la véritable héroïne pour peu qu'on soit moins attiré par le caractère d'Aldana. Cette transformation est un réel exemple pour beaucoup de récits, pour autant les auteurs ne seront clairement pas tendres avec cette mère qui fait face à toutes les épreuves. Tomie Katana, une des conquêtes de Richard, subit elle aussi un sort similaire. Femme détruite par la drogue et son entourage, elle trouvera le courage de se créer une destinée au contact d'Adrian. Mais là encore, les auteurs lui réservent de biens mauvaises surprises.
Les enfants sont, quant à eux, plongés dans un monde d'adultes bien trop horrible pour eux. Adrian est solaire grâce à son envie de découverte et son talent pour faire face dans des moments clés. Mais il est clairement confronté à une violence inouïe pour son jeune âge. La ville de Paxtown est loin d'être un bon terrain de jeux avec ses prostituées et sa came, tandis que les combats sont bien souvent des odes à la violence plus qu'à l'honneur. Il montre en ce sens que ce monde moderne est bien empli de vice. Elorna, quant à elle, est mise en opposition avec le petit Adrian, son ancien ami de la Vallée des rois. Elle a continué sa vie dans le royaume et subit elle aussi la violence adulte, dans un univers plus paisible. Mettre en avant ces deux enfants, qui voient leur importance évoluer au fil de l'histoire, permet de montrer que l'univers de Lastman n'est pas fait pour les faibles, et en quelque sorte que, malgré un environnement délétère, il y a moyen d'y trouver un levier pour s'accomplir aux yeux de tous.
Des combats pour un avenir fastueux
Aujourd'hui Lastman est publié dans plusieurs pays européens, aux États-Unis et même au Japon, marché habituellement fermé aux publications étrangères surtout quand elles lorgnent sur le manga. En France, chaque tome est tiré à environ 20 000 exemplaires, un bon score aujourd'hui dans le marché de la BD, où il est difficile d'accéder à un volume de plusieurs milliers de livres à chaque publication. Surtout quand on sait qu'il faut se frayer un chemin parmi environ 4000 sorties.
Après le tome 6, Lastman a pris un nouveau départ en entamant un nouveau cycle. Fait déjà observé ailleurs, ce nouveau récit est dans la continuité des précédents, mais utilise comme situation de départ une ellipse temporelle de plusieurs années. Tout cela est bien entendu cohérent au vu des révélations et autres disparitions effectuées dans le tome 6. On dépasse ainsi l'âge de l'enfance, et ce sont les nouvelles générations qui vont devoir régler les problèmes de la Vallée des rois. Certains alliés existent toujours, mais ils font l'objet d'évolutions importantes. Le renouvellement dans la continuité en somme.
Lastman cultive le Transmedia
L'univers s'est aussi largement étendu cette année en explorant le passé de la BD. Première digression en septembre 2016 avec le jeu vidéo Lastfight qui, vous l'aurez deviné, permet de faire du VS fighting. Uniquement disponible en téléchargement, le jeu essaye de se démarquer par un graphisme en cell shading et très pop, mais aussi avec des modes moins conventionnels comme des affrontement 2 VS 2 dans des arènes en 3 dimensions. Une dizaine de personnages sont ainsi présentés, dont Richard Aldana. Assez peu de lien au final avec la BD, puisque la quasi totalité des personnages est inconnue. On a ainsi un background qui se développe un peu en amont de l'arrivée d'Aldana dans la Vallée des rois, mais l’œuvre reste avant tout orientée vers un plaisir fun.
Le deuxième essai se fait cette fois ci en novembre 2016, avec l'arrivée d'une série animée de 26 épisodes sur la chaîne France 4. Si les auteurs ont logiquement pensé à l'animation, il n'en reste pas moins qu'ils sont assez peu impliqués dans le projet. Compte tenu de l'univers, il a d'ailleurs été nécessaire d'organiser un financement participatif via Kickstarter, pour obtenir les fonds nécessaires à ce projet un peu trop adulte pour les chaînes de télé. Avec 183 345€ récoltés, on peut dire que le succès était au rendez vous, même si cela était loin de suffire à la production complète. Les studios Everybody On Deck et Je Suis Bien Content ont toutefois pu travailler plus sereinement grâce à ce soutien populaire.
Cette fois-ci, il est clairement montré que la série est importante dans l'histoire de Lastman. Elle raconte ainsi le destin de Richard Aldana, qui deviendra une star du combat, mais aussi celui de Tomie Katana qui va être transformée en Popstar. Si l'histoire se déroule à Paxtown, le lien est bien fait avec la Vallée des rois via les grands méchants. Le scénario pouvant apporter un réel plus aux personnages, on reste néanmoins plus dubitatif sur les choix artistiques. Des épisodes de douze minutes entrecoupés d'affiches fixes, à la manière de Space Dandy, ce qui est peut-être un peu court pour ne pas casser le rythme. Animation 2D et 3D sont mêlées, en particulier pour les objets de la vie courante, un choix qui peut se révéler à double tranchant en empêchant un cohérence visuelle. L'animation, quant à elle, fait le choix d'être de la BD animée, beaucoup de décors et personnages immobiles, rendus vivants par des mouvements de bouche... L'ambiance est clairement là et on appréciera forcément le travail musical produit, mais reste à voir si, malgré la direction artistique originale, la série prendra comme la BD.
Lastman est un univers en pleine expansion sur tous les médias. Il faut toutefois ne pas dévaluer les qualités intrinsèques de la série BD qui a su imposer un style innovant dans le paysage franco-belge. Portée par des personnages très charismatiques et des auteurs qui maîtrisent parfaitement leur histoire, on espère que le plus grand monde tentera l'aventure.