Si Goldorak est culte en France, cette oeuvre est loin d’être la plus célèbre de Go Nagai, un des grands maîtres de la pop culture japonaise.
Avec Go Nagai, les frontières sont floues. Telle Osamu Tezuka, dieu du manga, l’artiste ne s’est pas limité aux planches à dessin. Lui aussi a très rapidement compris l’intérêt de s’allier aux autres médias, notamment l’animation, pour développer ses nombreux univers et toucher un plus large public. Considéré par beaucoup comme un des pères fondateurs de la science-fiction japonaise, Go Nagai est l’auteur d’un nombre incalculables d’oeuvres en tout genre qui ont profondément marqué la culture moderne nipponne.
Un monstre de travail
Né en 1945, celui qui s’appelle encore Kyoshi Nagai est comme tant d’autres un enfant du Japon d’après-guerre. Il est donc aussi bien marqué par les cicatrices béantes de son pays que par la montée en puissance des nouvelles technologies de l’époque. Il est influencé dans sa jeunesse par le manga Lost World d’Osamu Tezuka, le maître incontesté du genre qui bouleverse à cet époque les codes de la fiction.
Le déménagement de la famille de Nagai à Tokyo va lui permettre de découvrir la culture moderne, lui offrant un accès simplifié aux mangas et surtout au cinéma. Celui qui deviendra artiste dévore alors des centaines de films vu par an, se considérant comme un otaku avant que le terme ne se popularise. Il approfondit sa culture et tombe sous le charme des travaux de Mitsuteru Yokoyama et Sampei Shirato. Remarqué par le magazine Shonen Sunday de la Shogakukan, il devient assistant du grand maître mangaka Shotaro Ishinomori.
Après quelques années folles où il résiste à l’incroyable pression inhérente à son métier, là où de nombreux collègues abandonnent, celui qu’on appelle désormais Go Nagai publie en 1967 Meakashi Polikichi, une comédie sur les aventures d’un policier à l’époque des samouraïs. Il s’affranchit dès le départ des convenances de l’époque et va toute sa carrière travailler sur tous les genres possibles, guidé par ses envies, n’hésitant pas à multiplier les parodies.
Briser les codes grâce à l’érotisme
Go Nagai n’est pas le plus connu des mangakas en France. Si l’on pense avant tout à son apport à la science-fiction, c’est avec le genre Ecchi que l’artiste se fait un nom au Japon. L’érotisme, souvent associé à d’autrse genres, va lui permettre de franchir des lignes dans une société où certains tabous sont encore puissants.
Avec Harenchi (L’école impudique en français), il participe en 1968 au lancement du désormais célèbre Weekly Shonen Jump. Le magazine qui verra plus tard Dragon Ball et One Piece bercer de nombreux enfants accueille une histoire érotico-comique située dans une école. Fort logiquement, Go Nagai se heurte à la censure mais n’abandonne pas sa vision originale. L’année d’après, il frappe un grand coup avec La Famille Abashiri car ce manga met en avant une héroïne, nommée Kikunosuke. C’est avant-gardiste dans un shonen, le genre roi du manga qui cible les jeunes garçon. En 2017, les plus gros succès ont encore pour personnage central des hommes, c’est dire le chemin à parcourir...
Si Go Nagai va explorer d’autres pistes créatives avec l’arrivée d’une nouvelle décennie, il reste capable de produire simultanément plusieurs oeuvres. On le verra donc travailler encore sur la thématique de la femme forte, notamment avec Cutie Honey (1973) qui met en scène une androïde féminin. Il y aura aussi Kekko Kamen (1974) qui pousse l’audace vers des limites insoupçonnées.
En effet, ce manga présente les aventures d’une ninja portant une cagoule et des bottes rouges, utilisant un nunchaku et puis c’est tout ! Littéralement, elle ne porte pas d’habits. Elle défend des camarades filles qui sont maltraités dans leur lycée car si elles n’obtiennent pas un 19/20, elles subissent des sévices. Parodie et critique de la société se mélangent dans cette oeuvre.
Enfer et mythologie mondiale
Go Nagai travaille donc sur différents projets en même temps et publie constamment de nouveaux mangas. Il dédie sa vie à son oeuvre et se lance constamment de nouveaux défis. C’est avec Mao Dante (1971) qu’il défriche un nouveau genre, celui des affaires démoniaques (en référence à La Divine Comédie). L’histoire mélange démons, cultes satanistes et meurtres. Fait intéressant, Go Nagai n’achève pas cette oeuvre quand le magazine qui la publie disparaît de la circulation, car il reprend le concept pour le faire évoluer en Devilman (1972), qui est incontestablement un de ses deux plus grands succès.
Un jeune héros apprend l’existence de démons et le fait que ces derniers vont se réveiller pour reprendre le contrôle de la Terre. Son propre père a été la victime de ces êtres cherchant à se libérer de leur prison. Nommé Akira (un prénom important dans la pop culture japonaise), il va sacrifier une part de son humanité pour devenir démon et être assez puissant pour protéger le monde. Quand la menace va submerger la planète, c’est carrément une Inquisition totalitaire qui va tout faire pour purger les hommes des démons, avec le pire de ce qui existe en nous dictant les actes des individus.
Devilman va profondément inspirer toute une génération d’artistes et d’oeuvres. Go Nagai reviendra à ce genre avec le manga Susano-O (1979) qui met en scène un jeune héros acquérant des pouvoirs pour empêcher la résurrection de la divinité Susano. Avec ces histoires, l’artiste n’oublie pas la subversivité de ses premiers travaux, poussant son intrigue vers des thématiques modernes en résonance avec les questions de la société japonaise de l’époque, en pleine mutation des moeurs.
Un des pères de la SF japonaise
Go Nagai est ouvert sur le monde et ne limite pas ses influences à la culture japonaise. Il apprécie le mélange des genres et propose avec Oni (1970) puis Shutendoji (1976) une association entre les mythes japonais et la science-fiction. Si Tezuka est le père du robot, avec l’androïde Astro-Boy, c’est Go Nagaï qui va définir un des genres les plus prisés des otaku, celui des robots géants et surtout des mechas. Il n’en a pas la paternité mais va sacraliser la chose avec une oeuvre culte.
Mazinger Z (1972) est un coup de poing à la figure des lecteurs. C’est la modernité du robot, l’oeuvre qui va tout changer en inspirant tout un pan de la pop culture. Le concept est simple : un scientifique a créé un robot géant pour empêcher la conquête du monde par un de ses collègue fou. C’est son petit-fils qui va devoir piloter cette machine géante nommée Mazinger Z. A la fin de la série, le méchant est vaincu mais une nouvelle menace fait son apparition et parvient même à détruire Mazinger Z ! Fort heureusement, un nouveau robot géant, Great Mazinger, va permettre de reprendre la lutte dans une nouvelle série. Je vous conseille la lecture de notre article sur le sujet pour découvrir cette oeuvre culte.
Go Nagai va proposer avec Getter Robo (1974) autre grande saga sur le même thème. Le concept est légèrement différent cette fois puisque le héros solitaire laisse place à un trio d’adolescents pilotants chacun leur robot géant (Getter-1, Getter-2 et Getter-3). L’objectif est ici d’explorer l’espace et devenir par la même occasion la ligne de défense de la Terre. Là aussi, l’oeuvre donne naissance à une franchise tentaculaire et de multiples séries.
Un dernier mot sur le sujet de la science-fiction avec Violence Jack (1973), une oeuvre qui présente un futur sans espoir où vit un justicier qui nous fait penser à Mad Max. Cette série est intéressante pour son incursion dans le genre post-apocalyptique mais aussi sa capacité à recycler plusieurs mangas de l’auteur.
Le cas atypique Goldorak
En France, la “culture manga” est souvent défini par l’arrivée massive de dessins animés sur les chaînes de télévision. Ce n’est vraiment qu’avec la publication d’Akira dans les années 90 que le grand public et les éditeurs vont développer une passion pour les mangas en eux-même. Parmi les séries qui ont fasciné le public dans les années 70, il y a Goldorak, une oeuvre ultra-populaire pour toute une génération.
Ce que l’on ne savait pas à l’époque, c’est que cette série n’était que le troisième opus de la saga Mazinger Z qui se développera encore par la suite. Goldorak, c’est en fait Grendizer ou UFO Robot Grendizer au Japon. Adulé en France, l’oeuvre n’est pas très populaire dans son pays d’origine et reste avant tout une commande faite à Go Nagai par les industriels du jouet qui développent à l’époque, comme avec la franchise Gundam, un appétit pour les produits dérivés.
En lançant sa société Popy, qui sera par la suite intégrée à Bandai, Go Nagai est conscient que de son travail découle des produits tout aussi populaires. Art et business se confondent, on peut dire que c’est une machine à fric qui participe à la vitalité de tout une industrie. Il est donc fascinant de voir que plusieurs pays européens sont devenus fans d’une portion limité d’une franchise plus grande.
Un business digne de George Lucas
Si Go Nagai est aussi considéré au Japon, c’est parce qu’il a su développer ses idées au-delà du manga. Alors que Tezuka a pris en main les adaptations animés de ses oeuvres pour des raisons artistiques (il défriche un nouveau média), Go Nagai comprend dès le départ l’intérêt du public pour les dessins animés, genre déjà établis alors que sa carrière décolle. C’est donc en 1969 que l’artiste fonde Dynamic Productions, chose assez rare à l’époque, une société associé à la Toei, mastodonte de l'animation. Ce faisant, Go Nagai s’affranchit en contrôlant l’adaptation sur écran de son travail.
L’entreprise existe encore actuellement et gère les oeuvres du mangaka. Celui-ci n’a jamais été attaché à un seul éditeur et est souvent invité pour des projets spéciaux d’un seul tome. Il n’hésite pas à collaborer avec des nouveaux partenaires pour proposer des projets inédits. Le coup de génie de Nagai est d’avoir dès Devilman inauguré une production simultanée entre manga et anime. Je n’aborde dans cet article que la partie manga, mais ses dessins animés sont tout aussi voir encore plus cultes. Ils mériteraient un article à part entière...
L’auteur en a bien conscience et lance en 1974 de Dynamic Planning, une filiale de Dynamic Production. Ce studio d’animation va générer ses propres productions et viser dès 1976 le marché international, faisant comme vu plus haut la réputation de l’artiste à travers le monde. Cette boulimie de travail n’est pas possible sans l’apport des ses nombreux assistants, dont Ken Ishikawa et Gosaku Ota qui vont souvent reprendre en main des séries alors que la maître se penche sur d’autres projets. Le trait de Go Nagai est aussi reconnaissable et célèbre que ceux d’Osamu Tezuka ou Leiji Matsumoto, faisant d’eux d’immortels explorateurs de nos imaginaires.
Le travail de Go Nagai a irrémédiablement marqué la culture japonaise, faisant de ses créations des icônes d’une société en pleine mutation. Il est temps de voir son nom reconnu dans le monde entier tant son apport est important.